Disparitions forcées en Syrie l’autre visage du conflit
28/08/2015
>>Accédez directement à notre pétition
Le 30 août est la Journée internationale des victimes de disparition forcée. A cette occasion nous lançons une campagne internationale pour attirer l’attention sur le sort de milliers de personnes victimes d’une disparition forcée en Syrie, et sur la souffrance de leurs proches.
NE PAS CONNAÎTRE LE SORT DE VOS PROCHES
On parle de « disparition forcée » lorsqu’une personne est arrêtée, placée en détention ou enlevée par des agents de l’État ou par des personnes agissant en leur nom. Cette privation de liberté s’accompagne d’un refus de révéler le sort réservé à la personne disparue et le lieu où elle se trouve ou de reconnaître que cette personne est privée de liberté.
Détenue sans protection de la loi, elle est souvent torturée et craint constamment pour sa vie, elle est privée de tous ses droits et se trouve à la merci de ses ravisseurs. Il s’agit d’une violation continue de ses droits, qui persiste souvent plusieurs années après l’enlèvement et qui laisse des séquelles physiques et psychologiques durables. Les disparitions forcées sont considérées comme un crime par la législation internationale, et même comme un crime contre l’humanité lorsqu’elles sont organisées, orchestrées et perpétrées massivement.
Très souvent, les victimes de disparition forcée ne sont jamais libérées et on ne sait pas ce qu’elles sont devenues. Leur famille et leurs amis ne découvrent parfois jamais ce qui leur est arrivé, ce qui ne fait qu’ajouter à leur souffrance.
Ce que les familles des personnes détenues en Syrie veulent, c’est savoir où elles sont. Quelle antenne de la Sûreté, quelle prison, ou l’endroit où elles ont été enterrées. Elles veulent savoir si leurs proches sont vivants, elles veulent pouvoir leur rendre visite, elles veulent pouvoir leur prendre un avocat, elles veulent savoir s’ils ont accès à des soins médicaux. Elles veulent s’assurer que leurs fils et leurs filles ne sont pas incarcérés pour des raisons inconnues pour une durée illimitée. »
Munira
Militante syrienne qui travaille avec une ONG qui soutient les familles de détenus en Syrie
Les femmes dont le mari a été victime de disparition forcée ou enlevé, sont fragilisées. Elles soivent subvenir aux besoins de leur famille, tout s’occupant des enfants. Les femmes dont les époux ont disparu et qui n’ont pas de certificat de décès sont également confrontées à plus de difficultés pour être intégrées aux processus de réinstallation, si elles souhaitent quitter les pays avoisinants, où il devient de plus en plus difficile d’accéder aux droits sociaux et économiques, tels que l’éducation et la santé.
L’insécurité et la peur engendrées par les disparitions forcées ne touchent pas seulement les victimes directes et leurs proches, mais la société dans son ensemble.
LA PORTE OUVERTE À LA TORTURE
On nous torturait tous les jours. Nous étions une trentaine dans la cellule. Lorsque des personnes mouraient, elles étaient remplacées. Au cours de mes trois ans d’emprisonnement, je n’ai pas quitté ma cellule une seule fois. Je n’ai pas vu la lumière du soleil pendant trois ans. »
Un avocat d’Alep
Ancien détenu libéré en mai 2014
Tortures, mauvais traitements, conditions de détention inhumaines, exécutions sommaires… Si les disparitions forcées sont en elles-mêmes un crime, elles ouvrent souvent la voie aux pires violations des droits humains pour celles et ceux qui en sont les victimes.
Nous savons qu’en Syrie, les conditions de vie dans les centres de détention et d’interrogation officiels et officieux du gouvernement et des milices alliées sont épouvantables. De grands nombres de personnes sont généralement détenus dans des espaces très restreints. Il n’y a pas assez d’eau ni de nourriture ; l’un des détenus nous a raconté que ses co-détenus avaient tellement soif qu’ils buvaient l’eau les toilettes. Les conditions insalubres et le manque de soins médicaux provoquent des maladies graves.
La torture et autres mauvais traitements sont monnaie courante : des personnes ont raconté avoir été battues à l’aide d’objets divers, et mises dans des positions douloureuses. Ces conditions sont d’autant plus dangereuses pour les détenus souffrant de problèmes de santé, qu’ils soient préexistants, ou résultant de torture. Cela contribue au nombre élevé de décès en détention.
D’une façon similaire, bien qu’à une moindre échelle, les groupes armés non étatiques, et en particulier celui se faisant appeler l’« État Islamique », commettent des violations dans le contexte de la détention. Cela comprend des enlèvements et des rapts, ainsi que des actes de torture et d’autres mauvais traitements et des exécutions sommaires, souvent après de prétendus « procès »
UNE PRATIQUE DE LONGUE DATE EN SYRIE
Les disparitions forcées constituent une grave préoccupation depuis l’accession au pouvoir de la famille Assad. Amnesty International fait état de ce type de disparitions en Syrie depuis la fin des années 1970, mais le nombre des disparitions signalées a augmenté fortement depuis le début de la crise de 2011. Des organisations locales affirment que des milliers de civils ont été tués aux mains des forces de sécurité syriennes, qu’environ 85 000 personnes ont été victimes de disparitions forcées et que des dizaines de milliers de personnes ont été soumises à la torture et autres mauvais traitements par le gouvernement.
Au bout de deux mois de tortures et d’interrogatoires, on m’a dit que je devrais passer à la télévision syrienne et « avouer » que j’étais un terroriste et que je participais à des activités terroristes. »
Shiyar Khalil
Journaliste syrien relatant en juin 2015 ce qu’il a vécu pendant sa détention dans les prisons du gouvernement syrien
Pour faire taire un opposant, qu’il soit militant, journaliste, professionnel de santé, avocat… on l’enlève chez lui ou on l’arrête dans la rue et il disparaît dans un véritable trou noir. Ce système de la terreur est aussi un signal pour faire taire tous ceux qui voudraient s’exprimer.
Le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté en février 2014 une résolution (résolution 2139) demandant la fin des disparitions forcées, des actes de torture et d’autres mauvais traitements en détention et la libération des personnes détenues de façon arbitraire. Les promesses selon lesquelles les membres du Conseil de sécurité des Nations unies prendraient des mesures contre ceux qui enfreignent de manière flagrante les termes de la résolution n’ont manifestement pas été tenues.
Beaucoup de gens ont vécu ce genre d’histoire. Beaucoup n’ont pas tenu jusqu’au bout. J’aimerais que le monde entende nos témoignages. Je veux être la voix de ces gens qui n’ont plus d’avenir. Je suis l’un d’eux.
Etudiant et manifestant pacifique syrien libéré en 2014 après plus de deux ans passés dans les prisons du gouvernement syrien.
Dans les faits, cela revient à donner au gouvernement syrien carte blanche pour poursuivre son impitoyable campagne de disparitions forcées en toute impunité.
PAS DE CARTE BLANCHE POUR LE GOUVERNEMENT SYRIEN
Les familles des détenus cherchent désespérément à obtenir des informations pour savoir ce qui est arrivé à leurs êtres chers : où ils sont, s’ils sont toujours en vie, et si non, où se trouvent leurs restes et quand ils sont morts. Elles veulent également avoir le droit de rendre visite à leurs proches et s’assurer qu’ils disposent d’un avocat, d’un accès aux soins médicaux, et la garantie qu’ils sont protégés de tout acte de torture et autre mauvais traitement. Elles veulent la fin des périodes prolongées de détention provisoire et souhaitent obtenir un procès équitable pour leurs proches.
Par conséquent, nous demandons l’accès pour les observateurs indépendants, comme la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne mandatée par l’ONU, à toute personne privée de sa liberté en Syrie, c’est-à-dire à tous les centres de détention, officiels et non officiels. Les mandatés pourraient s’assurer que les familles sont bien informées, observer les conditions de détention, et s’exprimer publiquement pour lutter contre les violations.
Quatre ans après sa mise en place et après de nombreuses résolutions du Conseil des droits de l’homme et de l’Assemblée générale de l’ONU, la Commission d’enquête n’a toujours pas réussi à obtenir l’accès à la Syrie. Il est plus urgent que jamais d’agir.