« Eau argentée », le cinéma de l’insoutenable venu de Syrie

Article  •  Publié sur Souria Houria le 17 mai 2014

Présenté vendredi en séance spéciale à Cannes, le long-métrage « Eau argentée » explore de nouvelles formes de narration en racontant la tragédie syrienne à travers les images amateur tournées aux premières heures du conflit.

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Bien malin celui qui saura déterminer le genre sous lequel ranger « Eau argentée, Syrie autoportrait ». Document ? Témoignage ? Essai ? Poème ? Chant ? Ou, comme le suggère son sous-titre, description d’un pays par lui-même. Peu importe finalement. Présenté ce 16 mai dans le cadre des séances spéciales du Festival de Cannes, l’unique long-métrage arabe de la sélection officielle est un pur objet de cinéma, territoire où image et parole se mobilisent ici pour tenter de dire l’indicible : l’horreur de la guerre, l’exil coupable, l’espoir sans cesse contraint de se renouveler…

Reconnaissons aux organisateurs la sagesse d’avoir exempté de compétition le travail du duo de cinéastes syriens que forment Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan, tout en lui réservant une place de choix. Le film syrien fait effectivement partie de ces œuvres qu’il est délicat de soumettre à la concurrence mais que le Festival tient toutefois à mettre en avant parce qu’elles sont une fenêtre ouverte sur des drames contemporains auxquels le cinéma n’avait encore eu ni le temps ni les moyens de se consacrer.

Cinéma des victimes, cinéma des bourreaux

Les moyens d’ »Eau argentée » se réduisent peu ou prou à ceux d’un banc de montage. La première partie du film, qui s’attache de suivre les premières heures du soulèvement syrien, trouve en effet sa matière première dans les images amateur que les opposants à Bachar al-Assad captaient à l’aide de leurs téléphones portables. Nous sommes en mars 2011, l’onde de choc du printemps arabe vient tout juste d’arriver en Syrie, et les protestataires, conscients de l’extraordinaire caisse de résonnance que représente Internet, filment leur révolte afin de montrer au monde entier qu’eux aussi ont brisé le mur de la peur.

Les vidéos de ces « Youtubeurs » ont ouvert les journaux télévisés avant de se perdre dans le fatras de l’actualité. C’était il y trois ans mais qu’elles semblent loin ces images d’hommes et de femmes défilant dans les rues de Deraa, Lattaquié et Banias afin de réclamer la chute du régime de Damas.

Car, aux scènes de contestation ont succédé, depuis, celles de la répression : les hélicoptères de l’armée survolant les cortèges de manifestants, les premières salves de mitraillettes, les blessures par balles, les corps ensanglantés gisant sur le sol…

Aux images des victimes tombant sous les balles répondent, comme un jeu de champ-contre-champ, celles, tout aussi insoutenables, des bourreaux mettant en scène leur barbarie. On y voit les nervis du régime d’Al-Assad molestant des « opposants », les obligeant à embrasser les portraits du raïs ou les bottes de leurs tortionnaires. Seuls témoins de l’horreur qui se joue chez eux, les Syriens sont devenus les cinéastes de leur guerre. « Et le cinéma fut », commente en voix-off Ossama Mohammed, qui a décidé d’en être le grand rapporteur.

« Syrie mon amour »

Contraint de quitter la Syrie pour la France dès mai 2011, le réalisateur fabrique « Eau argentée » loin du drame. De son exil parisien vécu comme une désertion, Ossama Mohammed filme la culpabilité de ne pas « y être ». Son Paris est à mille lieues du Paris des cartes postales. Le ciel y est lourd, la pluie incessante, les toits de la capitale vus à travers des grillages. « Tu n’as rien vu de la Syrie », semble se répéter à lui-même le réalisateur comme en écho à « Hiroshima mon amour » d’Alain Resnais.

C’est alors qu’une jeune cinéaste kurde du nom de Wiam Simav Bedirxan se propose via Internet de tourner pour lui. « Je suis à Homs, lui écrit-elle par mail. Qu’aurais-tu filmé là-bas ? » Le dialogue qui s’engage entre les deux réalisateurs ouvre alors la seconde partie.

Lui évoque les tourments du déracinement, elle déambule dans la ville qu’un long siège a totalement défigurée. Elle y filme les immeubles éventrés, les rues désertées et, grand moment de pudeur, des chats mutilés ne semblant rien comprendre à la fureur des hommes. Mettant de côté pour un temps sa fonction de cinéaste, Simav crée une école de quartier que les islamistes finiront par faire fermer. La révolution est en train de dévorer ses enfants, déplore-t-elle impuissante. Mais, malgré leur âpreté, jamais les images ne cèdent au désespoir.

Alors qu’il se promène en plein après-midi à travers les ruines d’une Homs désertée, un orphelin de guerre pour lequel la cinéaste s’est pris d’affection décrit innocemment le spectacle de désolation qu’il retrouve chaque jour sous ses yeux : « On dirait la nuit, mais il y a la lumière. » La lumière du cinéma pour tenter de sortir la Syrie des ténèbres.

« Eau argentée. Syrie autoportrait » d’Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan, 1h30

Source : http://m.france24.com/fr/20140516-festival-cannes-eau-argentee-cinema-syrie-guerre-civile-assad-homs-deraa/