Echecs en Irak et en Syrie : pour la France, c’est la faute d’Obama – par Pierre Haski
C’est la faute à Obama : François Hollande, puis Laurent Fabius, ont implicitement rendu le Président américain responsable de la crise majeure que vit le monde en Syrie et en Irak, et même au-delà. Des critiques à peine voilées en forme d’aveu d’impuissance : la France avait peut-être raison, mais elle n’a pu entraîner ni ses partenaires européens, ni changer la donne sans la participation des Etats-Unis.
Au moment où François Hollande propose une grande conférence internationale pour coordonner la stratégie face aux djihadistes, ces critiques sont aussi destinées à éviter que la même indécision ne conduise aux mêmes erreurs face à l’Etat islamique, érigé en ennemi public planétaire numéro un.
La première salve a été tirée dans Le Monde par François Hollande :
« La communauté internationale porte une responsabilité très grave dans ce qui se passe en Syrie. Si, il y a deux ans, il y avait eu une action pour installer une transition, nous n’aurions pas eu l’Etat islamique.
Si, il y a un an, il y avait eu une réaction des grandes puissances à la hauteur de l’utilisation (par Bachar Al-Assad) des armes chimiques, nous n’aurions pas été face à ce choix terrible entre un dictateur et un groupe terroriste, alors que les rebelles méritent tout notre soutien. »
Par « communauté internationale », il faut traduire Etats-Unis, puisqu’on se souvient de la frustration de l’Elysée de voir Barack Obama renoncer au dernier moment aux frappes franco-américaines contre la Syrie lors de la crise des armes chimiques il y a précisément un an.
L’« erreur » d’Obama
Laurent Fabius a été plus explicite encore dans l’après-midi devant la Commission des Affaires étrangères des deux chambres, réunies exceptionnellement en août : c’était son anniversaire. et ça explique peut-être ses envolées…
Le ministre des Affaires étrangères a répété plusieurs fois qu’il ne voulait pas « refaire l’histoire », mais a pointé les moments où l’Amérique d’Obama a failli. Il a même cité à la rescousse Hillary Clinton, qui, dans une récente interview à The Atlantic (et pas Atlantico, comme a dit le ministre…), a qualifié d’« erreur » la décision du Président dont elle était la secrétaire d’Etat de ne pas avoir aidé de manière décisive l’« opposition modérée » syrienne.
Le chef de la diplomatie française a confirmé, dans la foulée de la déclaration du Président, que la France avait bien livré des armes à l’Armée syrienne libre (ASL), la branche non-djihadiste de l’opposition syrienne.
« Du matériel conforme aux engagements européens », avait précisé le chef de l’Etat sans plus de précision, un propos vague puisque l’Union européenne s’était contentée de ne pas renouveler l’embargo sur les livraisons d’armes qui existait sur les belligérants syriens.
Laurent Fabius a rappelé qu’en 2012, lorsque le conflit syrien a pris un tour armé, il n’y avait que deux protagonistes : le régime d’Assad et l’opposition dite modérée, favorable à l’unité de la Syrie et à la « laïcité ».
« Il n’y avait pas encore le Hezbollah en Syrie, pas non plus de groupes terroristes. »
Il fallait aider l’opposition modérée, a-t-il dit, et apporter le « coup de butoir » nécessaire à faire tomber Bachar el-Assad. « La seule question qui se posait alors était de savoir dans quel pays se rendrait Assad en exil », a-t-il dit.
« Vision vague »
Les opposants syriens partagent assurément cette analyse : les habitants de Kafranbel, en Syrie, qui commentent l’actualité par des banderoles placées sur les réseaux sociaux, ont opposé mercredi le sacrifice du journaliste James Foley à la « vision vague » de Barack Obama…
La France a peut-être livré des armes, mais ça n’a rien changé. L’ASL et l’opposition dite modérée ont progressivement perdu du terrain face à l’émergence des djihadistes, et particulièrement ceux de l’Armée islamique d’Irak et du Levant (EIIL), devenu cette année l’Etat islamique. Et ce dernier a grandi jusqu’à devenir une menace en Irak aussi.
Pire, lorsque les « lignes rouges » fixées par Barack Obama sur les armes chimiques ont été franchies, celui-ci a reculé devant l’obstacle. S’attirant cette pique de Laurent Fabius, pensant aux développements ultérieurs en Ukraine :
« Qui peut penser que ça n’a pas eu d’incidence sur le comportement du Président russe »…
Aujourd’hui, la donne a changé. L’Etat islamique est devenu le groupe armé le plus puissant au monde, avec un trésor de guerre considérable, des revenus pétroliers, et même du matériel militaire américain sophistiqué saisi aux forces irakiennes en déroute…
Face à cette menace et à la cruauté des méthodes employées, qu’il s’agisse des minorités persécutées ou de la décapitation annoncée mardi de James Foley, confirmée ce mercredi par la Maison Blanche, le besoin de cohérence est plus que jamais nécessaire.
Un monde « zero polaire »
Combattants Peshmergas kurdes pendant l’offensive contre l’Etat islamique, le 18 août 2014 (AHMAD AL-RUBAYE / AFP)
Faut-il intervenir ? Jusqu’où ? Comment ? Parmi les parlementaires, il est intéressant de constater que les principales contradictions étaient à droite, entre ceux qui se félicitaient des initiatives françaises, y compris François Fillon qui parlait pourtant de « risque de déshonneur » dans une tribune au Monde la semaine dernière, et ceux qui, parmi les souverainistes de droite comme Jacques Myard et Alain Marsaud, allaient jusqu’à prôner une alliance avec … Bachar el-Assad !
Mais surtout, Laurent Fabius a été interpelé sur quelques contradictions.
- Pourquoi ne pas participer aux frappes contre l’EI au côté des Américains alors qu’on était prêts à le faire l’an dernier contre Assad ? Réponse : pas de feu vert du Conseil de sécurité de l’ONU cette fois ?
- Comment éviter que les armes livrées aux Kurdes ne se retrouvent pas dans les « mauvaises mains » ? Réponse : elles sont « sécurisées ».
- Quid du cavalier seul de la France en l’absence de réponse européenne ? Ça bouge, a promis Laurent Fabius, y compris du côté allemand sur les livraisons d’armes…
Tout cela montre un monde extrêmement désuni et désemparé face à la multiplication des crises internationales, Syrie, Irak, Ukraine, Libye, Gaza, pour ne citer que les plus chaudes du moment. Un monde que Laurent Fabius qualifie de « zéro-polaire », par opposition à la bipolarité de la guerre froide, et à l’unipolarité de l’immédiate après-guerre froide.
Il aura fallu la détresse des minorités irakiennes pour que la gravité saute aux yeux de tous, malgré les 170 000 morts de Syrie, le chaos libyen, la destruction de Gaza… Les réponses ne sont pas pour autant évidentes.
source : http://rue89.nouvelobs.com/2014/08/20/echecs-irak-syrie-france-cest-faute-dobama-254317
date : 20/08/2014