« El-Assad contrôle toujours Damas, mais ne s’y sent plus en sécurité » Par Gokan Gunes,
Le CICR qualifie désormais la situation syrienne de « guerre civile ». Alors que la répression gagne en férocité, de violents combats ont lieu au coeur de Damas, la capitale, jusqu’ici relativement épargnée. Un spécialiste de la Syrie décrypte la situation.
Le Comité international de la Croix-Rouge a qualifié ce lundi de « guerre civile » la situation en Syrie. Depuis plusieurs jours, la répression est montée d’un cran. Dimanche, les combats les plus violents depuis le début de la révolte ont secoué Damas, la capitale. Interrogé par l’Express, Ziad Majed, professeur des études du Moyen Orient à l’Université Américaine de Paris, spécialiste de la Syrie, apporte un éclairage sur la situation.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) parle de « guerre civile ». Êtes-vous d’accord avec l’utilisation de cette expression?
Non. En qualifiant de « guerre civile » la situation en Syrie, le CICR cherche à faire respecter les Conventions de Genève (ensemble de traités et de protocoles qui, depuis 1864, définissent les règles de protection, notamment des civils et des soldats prisonniers, en cas de conflit armé). Cette terminologie est propre au CICR et n’a donc pas de caractère scientifique. Elle correspond à des critères particuliers.
Or, la révolution syrienne n’a pas débuté comme un conflit armé ! C’est, au départ, un mouvement pacifique qui lutte contre un régime despotique, et qui s’est avec le temps et la répression militarisé. Aujourd’hui, il y a toujours une configuration révolutionnaire -la lutte contre le régime de Bachar el-Assad, malgré des confrontations armées. Et il ne faut pas mettre les révolutionnaires et le régime sur un même plan de responsabilités…
Y a-t-il une accélération visible de la répression ? Comment expliquer le recours généralisé, depuis peu, des hélicoptères par l’armée de Damas ?
Il y a une double accélération.
D’une part, il y a une accélération de la répression du régime. Ce dernier a recours de manière croissante aux armes lourdes dans le but de reprendre l’initiative militaire. Damas craint que Moscou accepte de dialoguer avec les occidentaux sur le sort du clan Assad. L’objectif du régime est de reconquérir du terrain, notamment dans l’est et dans la région de Homs (centre) et autour de la capitale pour négocier en position de force. Il lui faut contrôler au moins les principales villes et leurs alentours pour remplir cet objectif. Or il ne contrôle plus que 50% du territoire aujourd’hui. A noter que l’arrivée du mois de ramadan (le 20 juillet) fait craindre au régime une augmentation du nombre de manifestants et des rassemblements quotidiens pacifiques, de même que des attaques militaires sur les positions de ses troupes. Il lui faut donc faire vite.
L’arrivée du mois de ramadan fait craindre au régime une augmentation du nombre de manifestants
D’autre part, l’Armée libre et les différents groupes militaires de l’opposition veulent maintenir la pression et faire preuve de l’évolution de leurs capacités sur le terrain, et de leur « suprématie psychologique » sur les troupes fidèles au régime.
L’escalade de la violence signifie-t-elle que le régime perd le contrôle de son armée ?
Il perd le contrôle d’une partie de l’armée. Mais l’escalade est surtout liée au contexte politique. En revanche, les troupes d’élite restent fidèles au régime. Parmi elle, on peut citer la Garde républicaine (même si un de ses généraux, Manaf Tlass, a récemment fait défection), la quatrième division de Maher et les forces spéciales. Il compte également sur les chabihas, qui sont des « paramilitaires » engagés comme supplétifs, dont la réputation est terrible.
Damas est en proie à de violents combats, notamment dans le sud et dans l’ouest…
Plusieurs opérations sont menées au coeur même de Damas, notamment dans le sud de la ville, près d’un camp de réfugiés palestiniens. Il y a un aspect social dans la localisation des combats. Ce sont surtout des quartiers pauvres, comme Al-Tadamone dans le sud de la ville, qui sont touchés: les habitants y ont moins à perdre. De plus, de nombreux habitants de ces quartiers sont originaires de régions durement réprimées depuis le début de la révolution.
En frappant à Damas, les rebelles veulent montrer qu’ils peuvent atteindre le coeur du régime, sa forteresse sécuritaire. Il y a une vraie solidarité entre ceux qui ont pris les armes et certains résidents: des jeunes ont bloqué des axes de communication en brûlant des pneus afin de ralentir l’acheminement des renforts vers les quartiers où se trouvent les rebelles.
Les blindés de l’armée ont pris position près du centre de la ville, dans le quartier de Midane. Les rebelles peuvent-ils vaincre les forces en place, notamment la quatrième division blindée de Maher el-Assad, le frère de Bachar, qui s’est illustrée lors de l’assaut final sur Homs?
Les forces du régime sont épuisées. Rares sont les soldats qui arrivent à prendre congé pour récupérer. De plus, l’armée ne peut plus compter sur les jeunes appelés. Les désertions, de plus en plus nombreuses, la handicapent également. Cependant, les forces du régime disposent encore d’une élément déterminant: la grande supériorité du feu et de l’équipement lourd. Aujourd’hui, Bachar el-Assad contrôle toujours Damas. Mais il ne s’y sent plus en sécurité.
Le régime doit-il craindre d’autres défections?
Depuis peu, les simples soldats ne sont plus les seuls à déserter. Désormais, nombreux sont les officiers à quitter les rangs de l’armée, pour rejoindre l’opposition, se cacher dans leurs villages ou se réfugier à l’étranger, notamment en Turquie. Certains pensent en effet qu’il faut « quitter le navire qui coule ».
Cependant, déserter reste très difficile. Les militaires ont peur d’exposer leur famille à des représailles s’ils font défection. Et le recours à un matériel de surveillance par le régime, comme les hélicoptères, rend plus facile leur traque.
Où les rebelles se procurent-ils des armes? Comment font-ils pour tenir?
Il y a trois sources d’approvisionnement. D’abord, à l’origine, ce sont les déserteurs qui, fuyant avec armes et bagages, ont équipé l’opposition. En parallèle, il y a un trafic d’armes interne. Celui-ci est ancien, en particulier dans les régions tribales, auquel s’est ajouté un trafic en provenance du Liban et d’Irak. Ces armes sont toutefois peu efficaces contre les blindés de l’armée. Enfin, plus récemment, il est dit que la Turquie a laissé transiter des armes par sa frontière. Depuis qu’un de ses avions de chasse a été abattu par Damas, Ankara a probablement ouvert les vannes.
Une transition, comme le préconisaient les conclusions du Sommet qui s’est tenu le 30 juin à Genève, est-elle toujours possible?
De moins en moins. Kofi Annan (émissaire de l’Onu et de la Ligue arabe) et les Nations Unies n’ont pas assez insisté sur le retrait des armes lourdes des villes assiégées, ni sur la libération des dizaines de milliers de détenus. La proposition de dialogue aurait dû venir une fois ces conditions respectées.
De plus, il y a une certaine discordance de ton. Les différents acteurs, comme Kofi Annan, Ban Ki-moon (actuel Secrétaire général des Nations Unies), certains pays arabes et la France défendent des positions différentes. Les Etats-Unis semblent toujours hésitants. Il y a un certain malaise qui entoure le plan Annan. Ce dernier reste toutefois un « diplomate », et il croit à des missions et réunions comme celle qui se tiendra à Moscou ce lundi soir. Mais il n’est désormais plus écouté par plusieurs acteurs.
Date : 16/07/2012