« En France, les réfugiés syriens se sentent humiliés de quémander » – par Catherine Gouëset
La France n’accueille qu’une infime partie des Syriens qui ont fui leur pays en guerre. A Paris, une ONG les aide à faire les démarches administratives afin d’obtenir le droit d’asile. L’Express les a rencontrés.
Dans le bureau de la mairie du XXe où elle reçoit ses visiteurs, Sabreen Al Rassace accueille, depuis octobre 2012, les demandeurs d’asile syriens. La frêle jeune femme prend le temps de les écouter, seuls ou en famille, dans une petite salle aux murs dépouillés.
La plupart d’entre eux sont épuisés. Traumatisés par le cauchemar qu’ils ont vécu en Syrie, la prison pour certains d’entre eux, parfois la torture, la perte de leurs proches, souvent de leurs biens et et le long chemin pour parvenir jusqu’ici.
« Beaucoup ne réalisent pas qu’ils ne peuvent pas simplement rester ici. Alors je leur explique. D’abord, les démarches indispensables pour déposer un dossier de demande d’asile. » Puis je les aide à réunir les documents nécessaires, prendre rendez-vous, déposer les dossiers. » Arabophone, Sabreen travaille pour l’association Revivre, fondée en 2004 pour aider les anciens détenus d’opinion syriens. « L’ONG fournissait en particulier une aide médicale rendue nécessaire par les longues années de captivité », explique Michel Morzière, l’un de ses fondateurs.
Après le soulèvement contre la dictature baasiste, en 2011, plusieurs ONG françaises de défense des droits de l’Homme ont soutenu la création d’une permanence assurée par l’association Revivre, pour accueillir les Syriens qui commençaient à chercher refuge en France.
Une partie des réfugiés qui ont réussi à venir dans l’Hexagone l’a fait parce qu’elle avait de la famille ici ou qu’elle avait tissé des liens avec la France, appris la langue française, par exemple. « Ceux-là tombent de haut, explique Sabreen. Ils avaient à l’esprit une image rêvée du pays des droits de l’Homme; ils sont choqués par la lourdeur des formalités à accomplir. Avant la guerre, beaucoup d’entre ont souffert de la répression politique, mais tous avaient un toit. Ils se sentent humiliés d’être amenés à quémander ». Le parcours de démarches pour obtenir l’asile dure plus de six mois. Or au cours de cette période, ils n’ont pas le droit de travailler.
Un visa obtenu dans les pays voisins de la Syrie
La plupart des demandeurs d’asile qui se présentent dans le bureau de Sabreen sont munis d’un visa obtenu dans les consulats de France des pays voisins de la Syrie: Liban, Turquie, Jordanie, voire les pays du Golfe où certains résidaient avec un contrat de travail à durée limitée. Quand celui-ci a expiré, ces Syriens risquaient d’être renvoyés dans leur pays en guerre.
L’association Revivre aide également les réfugiés dans la recherche d’un logement. L’ONG a créé un réseau de volontaires prêts à accueillir pour une durée de 15 jours les nouveaux arrivants dans le besoin, le temps qu’ils se retournent, qu’ils obtiennent une place dans un centre d’hébergement pour demandeur d’asile (Cada). C’est ainsi que Majed, 18 ans, arrivé en France le 19 octobre, a été accueilli par une famille qui l’héberge à Fontenay-sous-Bois.
Passer les mailles du filet pour l’obtention d’un visa –un visa de circulation, valable 3 mois, dans la plupart des cas– tient de l’exploit. « On leur demande tout un tas de justificatifs. Mais comment fournir des preuves de vos ressources pour l’année écoulée quand on a fui sa ville ravagée par la guerre? » interroge Sabreen.
Futur ingénieur et étudiant en droit
Ali et Jassem, comme Majed, font partie des quelques chanceux qui ont obtenu un visa pour la France. Devant la Fontaine des Innocents, à Paris, où le Collectif Urgence solidarité Syrie organise un rassemblement chaque samedi, ils se souviennent de leur déception à leur arrivée. « J’ai passé deux semaines à l’aéroport de Roissy en arrivant il y a cinq mois », raconte Jassem, 27 ans.
Finalement, cet étudiant originaire de Jarabulus près de la frontière turque, a été mis en contact, grâce à la Croix Rouge, avec l’association Revivre. Celle-ci l’a aidé à faire les démarches pour être hébergé dans un foyer d’accueil pour réfugiés à Boissy-Saint-Léger. « J’espère pouvoir prendre des cours de français à l’université » avance-t-il en souriant. Il est déjà très fier des progrès réalisés avec les cours dispensés au foyer, « mais deux heures par semaine, ce n’est pas assez ». Parce qu’il aimerait bien, un jour, reprendre ses études d’ingénieur, commencées à Alep. Ali, 28 ans, natif de Deraa, la ville du sud de la Syrie d’où est parti le vent de contestation en 2011, ne sait pas ce qu’il va devenir, même s’il est soulagé, après un an de procédure, d’avoir obtenu sa carte de réfugié. Il était sur le point de terminer des études de droit à Damas.
La crise de réfugiés la plus grave depuis celle du Rwanda
Mais Ali, Jassem et Majed ne représentent qu’une infime minorité dans l’océan des 2,4 millions de réfugiés chassés de leur foyer par la guerre. Depuis l’ouverture de la permanence à l’automne 2012, Sabreen et les bénévoles de l’association Revivre ont monté 130 dossiers de demande d’asile. Paris a reçu 700 demandes d’asile de Syriens en 2012, autant sur les six premiers mois de 2013, et le gouvernement a annoncé en septembre vouloir en accueillir 500 de plus.
Amnesty international a dénoncé, la semaine dernière, l’incroyable insuffisance de l’accueil des déplacés syriens par les pays d’Europe. Lundi, l’ONU prévenait que faute d’un accord de paix, il fallait s’attendre à ce que le nombre de réfugiés double en 2014 et atteigne 4,1 millions. La crise syrienne a beau être la crise de réfugiés la plus grave depuis celle du Rwanda, les membres de l’UE n’ont proposé d’ouvrir leurs portes qu’à 12.000 parmi les déplacés les plus vulnérables, soit seulement 0,5% de ceux qui ont fui le pays, dénonce Amnesty.
L’Allemagne, de loin le pays le plus généreux, s’est engagée à accueillir 10 000 réfugiés. La Suède en a accueilli 14.000 depuis janvier. Les 500 places que propose la France représentent 0,02% du nombre total de personnes qui ont fui la Syrie. « A titre de comparaison, après le coup d’Etat au Chili en 1973, 10.000 à 15.000 Chiliens avaient trouvé asile en France », rappelle Michel Morzière.
Seule consolation, face à ce très faible nombre de demandeurs d’asile, il n’y a quasiment pas de cas rejet. Ceux qui n’obtiennent pas le statut de réfugié bénéficient de la « protection subsidiaire »: ils bénéficient des mêmes droits; les premiers reçoivent une carte de séjour valable dix ans, tandis que les seconds doivent renouveler leur statut chaque année. Pour ceux-là, l’asile est assuré tant que dure le conflit.
« J’ai parlé avec des amis en Suède, par Skype, explique Majed, le lycéen. On les a envoyés dans des petites villes dans le nord du pays, loin de tout. Moi, tant que mon pays sera en guerre, je préfère rester en France. On est mieux ici. »
A l’approche de Noël, le Collectif Urgence Syrie organise, le samedi 21 décembre, un rassemblement devant la Fontaine de le place des Innocents, près des Halles, en hommage aux enfants victimes de ce conflit.
Quelques-uns des signataires: ACAT – Amnesty International – ATTAC – CCFD – Chams Collectif Syrie – Comité de la Déclaration de Damas – Collectif du 15 mars pour la démocratie en Syrie – Conseil National Kurde syrien – EE les Verts – FIDH – France Terre d’Asile – Ila Souria – LDH – La Vague blanche pour la Syrie – MRAP – NPA – Revivre – Souria Houria – Syrie Moderne Démocratique Laïque…
date : 20/12/2013