En justifiant son escapade à Damas, le député Jacques Myard expose sa méconnaissance de la Syrie – par Ignace Leverrier
La meilleure défense étant l’attaque, le « député de la Nation » Jacques Myard, l’un des quatre « gugusses » à s’être rendus en Syrie, s’est fendu à son retour en France d’uncommuniqué de presse destiné à expliquer les raisons de son déplacement et les leçons qu’il en retirait. En réalité, il y expose d’abord sa profonde méconnaissance d’un pays où il s’est pourtant rendu à plusieurs reprises, en sa qualité de membre du Groupe d’amitié parlementaire France-Syrie, mais dans lequel les Syriens ne lui ont jamais laissé voir que ce qu’ils ont voulu. Il y montre ensuite son parti pris en faveur du régime de Bachar al-Assad, dont il considère, contre l’avis des Syriens qu’il refuse d’entendre, qu’il est « moins pire » que Da’ech et qu’il doit faire partie de la solution politique à un problème dont il est pourtant à l’origine et qu’il veille à entretenir. Il y dévoile enfin la naïveté avec laquelle, comme ses compagnons d’ailleurs, il est tombé dans le traquenard que les Syriens, redoutablement habiles en la matière, leur avaient préparé.
Il est d’abord cocasse – ou significatif de l’instrumentalisation de l’Assemblée du Peuple qui prévaut en Syrie… – de découvrir que Jacques Myard inclut dans la liste des « autorités gouvernementales » rencontrées par la délégation le président du Parlement, Jihad al-Lahham. En revanche, avec ses camarades d’équipée il ne semble pas avoir été autorisé – mais l’avaient-ils seulement demandé…? – à s’entretenir avec les membres du Groupe d’amitié parlementaire Syrie-France. Un tel entretien aurait évidemment fait double emploi, les députés syriens, sélectionnés par les Services de Renseignements avant d’être « élus » par le peuple, ne pouvant exprimer qu’à leurs risques et périls d’autres positions que celles du pouvoir en place.
Il n’a rencontré aucun responsable de parti politique, qu’il s’agisse du Baath, l’ancien parti dirigeant de l’Etat et de la société, des partis de gauche jadis réunis dans le Rassemblement national démocratique, ou de ceux de la nouvelle opposition officielle qui n’est tolérée que dans la mesure où elle évite les sujets qui fâchent. Il se targue, en revanche, ce qui est à tout le moins un paradoxe de la part d’un député censé promouvoir la laïcité, d’avoir été invité à dîner par le Mufti général de la République, en compagnie de hautes personnalités religieuses chrétiennes dont il se trompe au passage sur l’identité. Il cite en effet le patriarche grec-catholique, qui répond effectivement au nom de Grégoire III Laham, et son homologue grec-orthodoxe, qui, lui, n’était certainement pas Ignace IV Hazim, puisque ce dernier est décédé depuis plus de deux ans… Il est étrange qu’il n’en ait pas été informé. Quoi qu’il en soit, il n’est pas surprenant que ces honorables religieux lui aient « fait part de leur soutien à la politique du gouvernement », puisque, en Syrie, les moukhabarat ont leur mot à dire lors du choix de tous les responsables de l’ensemble des religions.
On passera sur l’orthographe du nom de l’actuel secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, qui serait surpris de découvrir qu’il a été « arabisé » de Ban Ki-moon en Benkimoun… On passera également – tout en notant que cela fait beaucoup d’approximations en si peu de lignes – sur celui du prénom du président du Courant de la Construction de l’Etat syrien, qui n’est pas Ulaï Husseïn, mais Louaï. On peut d’ailleurs rassurer notre député : la remise en liberté sous caution de cet « opposant modéré », arrêté au début du mois de novembre 2014, n’est certainement pas due à son intervention auprès du vice-ministre des Affaires étrangères : le nom de Louaï Husseïn ne pouvait figurer sur la liste des membres détenus du Centre syrien pour les Médias et la Liberté d’Expression qu’il prétend avoir remise au Dr Ayman Soussan. Dans son amateurisme et sa connaissance approximative de la Syrie, il a encore une fois confondu avec un autre opposant, en l’occurrence avec Mazen Darwich, arrêté pour son militantisme pacifique et son travail de promotion et de défense des droits de l’homme en Syrie en même temps que plusieurs de ses camarades, en février 2012. Son procès, engagé sur la base de fausses accusations, a sans cesse été reporté afin de faire de son cas une leçon.
Si la rencontre de notre député avec Sœur Agnès Marie de la Croix, mère supérieure du couvent de St Jacques le Mutilé à Qara, a pour lui été « inopinée », elle avait soigneusement été planifiée par les véritables ordinateurs des visites à Damas des amis du régime syrien. Jacques Myard ne s’est évidemment pas demandé ce qui avait pu conduire cette religieuse, connue pour être l’une des propagandistes les plus farouches de Bachar al-Assad, à se trouver par hasard dans le hall du palace où il avait été logé avec ses compagnons d’escapade. Une absence de curiosité étonnante, car, s’il est possible de croiser des femmes de petite ou de grande vertu dans de tels lieux, il est beaucoup moins fréquent d’y rencontre « de manière inopinée » des moniales et des femmes de religion.
Voir comme il le fait, dans la présence dans le même hôtel de Ramsey Clarck, ancien Procureur général des Etats-Unis, la « preuve qu’il existe bien des contacts certes indirects avec les Américains », est aller un peu vite en besogne. C’est ignorer que l’intéressé est un électron libre, et que, depuis la fin de ses fonctions officielles il y a près d’un demi-siècle, en 1969, il s’est résolument inscrit contre la politique officielle des différents présidents de son pays, allant jusqu’à prendre la défense de quelques-uns des plus grands criminels des dernières décennies, Charles Taylor, Slobodan Milosevic ou Saddam Husseïn, pour ne citer qu’eux. Cela équivaudrait à voir, dans le défunt avocat Jacques Vergès, un possible missi dominici du gouvernement français.
La visite organisée à l’intention de la délégation dans un hôpital gouvernemental fournit à notre député l’occasion de s’apitoyer sur le sort de fillettes entre la vie et la mort. En revanche, elle ne lui suggère aucune réflexion sur le sort réservé par le régime du Dr Bachar al-Assad à ses collègues médecins et aux autres membres du corps médical arrêtés et liquidés, depuis le début du soulèvement populaire, pour avoir apporté leur aide aux révolutionnaires civils et militaires. Le triste spectacle qui lui a été présenté lui a également fait oublier que, en Syrie, les hôpitaux peuvent aussi bien être volontairement bombardés, lorsqu’ils sont dans les zones rebelles, qu’être utilisés comme des lieux de torture dans les zones aux mains du pouvoir. S’il connaissait quelque chose à la Syrie, il aurait par ailleurs évité de se scandaliser pour l’embargo sur les médicaments qui font actuellement défaut aux Syriens. La pénurie n’y serait pas ce qu’elle est si les complices du régime en place, comme le président de la Chambre d’Industrie d’Alep Fares al-Chihabi, ne profitaient pas de la crise pour vendre leur production de médicaments en devises, à l’étranger, en Irak par exemple.
Puisqu’il a « visité une ancienne école qui accueille 40 familles de réfugiés », dont il ne dit pas par qui et suite à quels bombardements elles ont été contraintes de fuir leurs domiciles, peut-on lui suggérer, pour équilibrer les choses, d’effectuer à bref délai une visite dans l’un des multiples camps de réfugiés dans lesquels s’entassent, dans des conditions de pauvreté et de promiscuité insupportables, des centaines de milliers de Syrien dans le nord de la Syrie, en Turquie, en Jordanie ou au Liban ? Ce n’est pas Da’ech, ni les autres groupes armés, qui ont obligé la majorité de ces malheureux à prendre la fuite en abandonnant tout ce qu’ils possédaient derrière eux, mais la destruction délibérée de leurs villes ou de leurs villages par l’aviation syrienne.
Jacques Myard a raison d’affirmer qu’il « n’existe pas à ce stade de possibilités de victoire militaire sur le terrain d’un parti ou d’un autre ». Mais on ne saisit pas bien la logique qui lui fait mettre en regard « le gouvernement (qui) tient une grande partie du pays » et « les terroristes syriens (qui) seraient entre 50 et 80 000 ». N’y aurait-il qu’eux en Syrie ? Peut-on lui demander ce qu’il fait des quelques millions de Syriens qui vivent encore dans leur pays et dans quel camp il les place ?
Il est risible en revanche de le voir faire de Bachar al-Assad « le seul à pouvoir maintenir l’unité de l’armée », alors que c’est précisément lui qui, en instrumentalisant l’institution militaire au service de son maintien au pouvoir contre la volonté d’une partie de sa population, a provoqué la fuite de dizaines de milliers de soldats et d’officiers de tous rangs. Si Bachar al-Assad est bien un « homme providentiel », c’est alors à Pétain beaucoup plus qu’à de Gaulle qu’il faudrait le comparer, puisque, dans son intérêt personnel, il a délibérément ouvert et vendu son pays à ses alliés et protecteurs iraniens, sans l’aide desquels il aurait sans doute été contraint d’abandonner depuis longtemps le pouvoir.
Il est exact que « seul un règlement politique peut ramener la paix ». Mais c’est précisément pour cette raison que Bachar al-Assad ne peut en faire partie. Après avoir délibérément poussé sa population dans un conflit armé qu’elle ne voulait pas, après avoir libéré des centaines de djihadistes pour détourner la contestation de ses objectifs politiques, après avoir chassé de leur pays des centaines d’opposants prêts au dialogue et éliminé des milliers d’activistes pacifiques, il a fait en sorte, en janvier 2014, de mener dans une impasse les négociations de Genève 2. Certes, il a envoyé une délégation de bas niveau à la « rencontre de dialogue » de Moscou, mais après avoir pris soin de dicter aux Russes la liste des interlocuteurs pour lui acceptables et de leur suggérer d’en écarter les opposants les plus résolus. Autrement dit, si Bachar al-Assad souhaite, comme il le prétend, une solution politique, celle-ci ne doit rien modifier au statu quo actuel et ne doit entraîner aucune limitation du pouvoir absolu qu’il a reçu en héritage de son père. Elle doit se traduire par ce que le régime syrien qualifie de « retour à la maison de l’obéissance » et par la remise en place, autour de la population, du mur de la peur.
Cela ne semble pas déranger le « député de la Nation » Jacques Myard, qui prétend lutter contre notre « politique confuse et brouillée en Syrie » en étalant une méconnaissance affligeante de ce pays et de son régime.
date : 28/02/2015