En Syrie, Facebook est aussi un outil de répression

Article  •  Publié sur Souria Houria le 27 mai 2011

En Syrie, Facebook est aussi un outil de répression
Le 23 mai 2011 à 22h14 – Mis à jour le 24 mai 2011 à 12h18

LE MONDE BOUGE – Les services du gouvernement de Bachar el-Assad ont rouvert l’accès au réseau social depuis trois mois. Ils y ont créé des milliers de faux comptes tenus par des mouchards du régime et y traquent sans relâche les opposants. Récit.

Après l’enthousiasme pour les « révolutions Facebook » dans le monde arabe, le désenchantement gagne en Syrie, où une cyber-guerre entre les services du régime et les contestataires prend désormais une tournure inquiétante. En autorisant la réouverture en février dernier, après plus trois ans d’interdiction, du réseau social dans le pays, l’objectif du pouvoir était d’abord de surveiller les activités des utilisateurs. La répression qui s’est accentuée ces dernières semaines sur le terrain passe donc désormais aussi par Facebook.

« N’adressez plus de messages, même privés, sur Facebook, ils sont vus ! », ont fait savoir plusieurs correspondants proches du mouvement de protestation en Syrie à tous leurs contacts extérieurs. Jusque-là, les cyber-activistes ne prenaient de précautions que sur leur page publique, qui affichait souvent des photos de « roses de Damas » ou des liens sur des chansons d’amour… tandis qu’eux continuaient à communiquer à travers la messagerie de leur compte. Mais les cybers-espions du régime ont étendu leurs compétences et leur vigilance.

En fait, un millier d’agents ont été recrutés et formés par les services de sécurité gouvernementaux avant la réouverture de Facebook en Syrie en février dernier. Ces mouchards se sont toutefois retrouvés débordés par l’explosion du nombre de comptes et de pages ouverts en quelques semaines. De jeunes activistes ont ainsi développé une « fourmilière » : chacun ouvre plusieurs comptes sous différents pseudos. Ils y communiquent en plusieurs langues.

Intimidations
Malgré ces astuces, « toutes nos pages et nos gestes sont suivis de près et de plus en plus, » insiste Nour, une expatriée syrienne sympathisante de la contestation. « Des avertissements m’ont été adressés à travers mes frères et mes amis à Damas pour que j’arrête de m’agiter sur Facebook, sinon, j’aurais des problèmes lors de mes vacances au pays. Je ne fais pourtant que partager certains articles de presse et des vidéos de manifestations sur ma page. Je ne pensais pas être si dangereuse !» s’étonne Nour. Elle n’est qu’une des victimes de plus en plus nombreuses des intimidations des services de sécurité basées sur l’observation du réseau social.

Les propagandistes du pouvoir ne se contentent pas de surveiller. Ils alimentent également Facebook en informations bidons. « Des rumeurs sur des bandes de terroristes infiltrés de l’étranger pour déstabiliser le pays sont diffusés par les services gouvernementaux, puis repris par des gens de bonne foi qui les publient sur leur page Facebook, avec par exemple des images d’armes saisies à l’appui », affirme un observateur à Damas.

“Des proches se sont étonnés de me voir
relayer de la propagande. J’ai compris que je n’étais pas
seule à poster des informations sur ma page !”
Une internaute syrienne

Les pages du mouvement de contestation sont bien sûr les premières visées par la censure. Elles sont d’ailleurs inaccessibles depuis la Syrie. La plus importante d’entre elles, « Syrian Revolution 2011 », qui compte plus de 200 000 adhérents, est administrée de l’étranger et reste encore à l’abri des interférences. Elle rassemble toutes les informations qui lui parviennent de ses différentes sources sur le terrain et lance les mots d’ordre de la protestation. Pour attirer et repérer les sympathisants de la révolte, les services de l’Etat en créent de similaires. « On s’est fait piéger une fois suite à un appel au rassemblement pour protester contre une tuerie à Douma (dans la proche banlieue de Damas), raconte un militant. Une fois arrivés sur place, on a trouvé un attroupement d’hommes brandissant des portraits du Président Bachar el-Assad qui scandaient des slogans à sa gloire ! »

Les internautes syriens ont appris à flairer les pièges tendus. Certains opposants connus alertent régulièrement leurs amis au sujet de messages posté à leur insu sur leur page. « Plusieurs de mes proches se sont étonnés de me voir relayer des expressions caractéristiques de la propagande du régime », confirme Rana, étudiante en pharmacie. « J’ai alors compris que je n’étais pas seule à poster des informations sur ma page ! Quelqu’un avait piraté mon compte. »

Faux certificats de sécurité
Face à ces détournements, l’administration de Facebook tente de réagir. Le 13 mai, elle a supprimé la page de « l’armée électronique syrienne » qui comptait 60 000 fans. Elle a découvert qu’outre la propagande pro-régime, cette « armée » lançait des appels et des instructions détaillés pour envoyer des « spams » afin de saturer les pages des opposants. Ce qui est interdit. Plus grave, de faux certificats de sécurité Facebook permettant l’accès aux identifiants et mots de passe des utilisateurs (et donc l’accès à leur compte) ont été repérés. Ils seraient l’œuvre des services du ministère syrien des Télécommunications selon un cyber-activiste syrien qui l’a signalé à la direction du réseau.

Ces derniers jours, les médias officiels syriens ont franchi un cap supplémentaire, en déclarant la guerre à… l’administration de Facebook elle-même ! Le site communautaire vient d’être ajouté à la longue liste des conspirateurs qui cherchent à déstabiliser le pays. Quant à « L’armée électronique syrienne », elle menace Facebook de représailles et dit lui réserver prochainement une « surprise inoubliable élaborée grâce aux programmateurs et étudiants en informatique des universités syriennes ». Ça promet.

Source : Télérama – Hala Kodman
Date : 24/5/2011
http://www.telerama.fr/monde/en-syrie-facebook-est-aussi-un-outil-de-repression,69079.php