En Syrie, la guerre civile a commencé il y a 42 ans avec la dynastie Assad – Mustafa Khalifeh

Article  •  Publié sur Souria Houria le 17 avril 2012

A la veille de la « Vague blanche », mardi à 19 heures, lancée par la FIDH pour dire « stop » aux massacres en Syrie, l’écrivain et ancien prisonnier politique syrien Mustapha Khalifé dresse un réquisitoire contre le régime de Damas, et ceux qui agitent le spectre de la guerre civile pour éviter d’agir.

Rien de décisif ne pointe à l’horizon treize mois après l’embrasement en Syrie. On est encore dans le brouillard d’un équilibre qu’aucune force ne semble pouvoir éclaircir.

Le régime de Bachar El-Assad a montré un appétit inhumain pour la tuerie tandis qu’en face, la détermination et le courage restent extraordinaires. Une vidéo nous a montré comment les révolutionnaires préparent les cercueils de ceux qui vont tomber le lendemain ! Les images faisaient penser à un magasin où l’on prépare les paquets cadeaux pour la Saint-Valentin ou la Fête des mères.

La vue de ces manifestants qui continuent de descendre dans la rue tous les jours en sachant que plusieurs d’entre eux seront des martyrs et ces forces d’Assad qui ne les déçoivent jamais relève du théâtre de l’absurde.

Dans le même temps, on dirait que chaque partie trompe le temps en faisant ses comptes. Certains insurgés passent leur journée à compter les bombes qui tombent sur tel ou tel quartier ou le nombre de morts, mais pas les blessés – ils n’ont pas autant de temps à perdre. Quelle importance en effet qu’un enfant ou un jeune homme perde une main ou un pied quand la mort est quotidienne et ordinaire ?

Quant au premier responsable de l’Etat syrien, son Président Bachar El-Assad, pour tromper l’ennui, il compte les jolies jeunes femmes qu’il va appeler à rejoindre son harem de consultantes. Pendant que son épouse britannique énumère les magasins européens de luxe où elle pourra acheter ses chaussures et ses habits…

Et tandis que l’opposition syrienne traditionnelle affiche ses désaccords sur le nombre d’interventions extérieures qu’elle peut assurer pour la protection des civils syriens, les membres permanents du Conseil de sécurité capables de protéger le peuple syrien, rivalisent pour rassurer le régime syrien en déclarant qu’une intervention étrangère en Syrie est hors de question, sachant que c’est le seul moyen de faire peur et d’influer sur le comportement d’Assad.

Complicité avec les massacreurs

Ces assurances sont-elles innocentes ? Beaucoup de Syriens les prennent pour signes de complicité et d’acceptation des massacres commis contre le peuple syrien.

Madame Clinton avait fixé dès le départ le nombre de Syriens que Bachar est autorisé à tuer par jour sans gêner ou courroucer Washington. C’est pourquoi elle compte elle aussi le nombre de morts et on peut voir son sourire radieux quand le chiffre fixé n’est pas dépassé mais quand il l’est, elle bloque les fonds que le régime ne détient pas aux Etats-Unis.

Quant au Tsar Poutine, il se réunit avec les piliers de son régime formé des anciens du KGB et des chefs de la mafia russe qui considèrent le régime de Bachar El-Assad comme une ligne rouge ! Car les trafics de drogue, d’armes et de prostituées ainsi que le blanchiment d’argent sale sont bien plus importants que les échanges commerciaux officiels entre la Russie et la Syrie.

Il a ainsi donné des instructions à Lavrov, son ministre des Affaires étrangères, d’estimer le nombre de vetos russes possibles pour la contribution au massacre du peuple syrien. Lavrov s’est alors rendu à Damas avec son chef des renseignements pour dépasser les chiffres autorisés par madame Clinton en disant à Assad de multiplier par deux ou trois le nombre de morts par jour sans risque.

Les Chinois comme d’habitude font de la politique avec une mentalité d’épicier ou d’usurier. Ils se contentent actuellement de compter leurs bénéfices en dollars pour chaque mort syrien et comptent les initiatives qu’ils peuvent présenter et que personne ne lira.

William Hague a annoncé une aide au peuple syrien qui sied à la grandeur britannique : 1,5 million de dollars ! ! ! Il s’est retrouvé très fatigué après la journée qu’il a passé à compter cette somme.

Mais le plus étonnant parmi les positions des grandes puissances, c’est la découverte par Monsieur Alain Juppé que les minorités en Syrie étaient en grand danger, rejoignant ainsi l’argument que le régime syrien ne cesse de répéter !

Après quatorze siècles de vie commune entre les différentes composantes du peuple syrien, M. Juppé cherche le moyen de protéger les minorités ! On peut craindre qu’il n’adhère à l’idée d’Assad que le meilleur moyen de le faire est d’exterminer la majorité !

Les choses étant ainsi, où va la Syrie ? Et quelle pourrait être l’issue de la confrontation entre le régime et ses opposants ?

Il faut souligner tout d’abord que toute solution politique impliquant le régime est devenue impossible pour deux raisons.

  • D’abord parce que le régime lui-même la rejette en proclamant : moi ou le chaos.
  • La deuxième raison c’est que l’opposition sur le terrain ou politique rejette totalement une solution politique avec le régime après les massacres et la destruction commis.

Hors d’une solution politique, une issue décisive devant intervenir dans la confrontation plus ou moins longue entre les deux parties, plusieurs possibilités peuvent être envisagées mais peuvent se résumer à deux principales :

  • La première serait la réussite de la solution militaire avec la victoire des Assad qui soumettrait les opposants par le fer et le feu. Cette issue est majoritairement perçue comme la plus catastrophique pour la Syrie et son peuple.
  • Deuxième possibilité : que l’opposition réussisse à réaliser son objectif de faire tomber le régime avec tous ses symboles, ses forces et ses institutions. Mais nul n’a encore su présenter une alternative. Alors que les mouvements d’opposition, dont la principale composante islamique, proposent un Etat civil et démocratique, certains analystes et politiques, étrangers notamment, mettent en garde contre le chaos, la division du pays ou la guerre civile. Cette dernière possibilité mérite d’être discutée pour la dramatisation dont elle fait l’objet et ses ambiguïtés qui sont loin d’être innocentes.

Vers la guerre civile ?

Les craintes de certains pays de voir la Syrie glisser vers la guerre civile sont-elles sérieuses ou, comme le considèrent beaucoup de Syriens, ne sont-elles pas prétexte à complicité avec Assad ? Au mieux, elles serviraient à couvrir l’impuissance à apporter l’aide au peuple syrien qui subit un quasi génocide.

Pour examiner les détails de la situation syrienne, il faut d’abord revenir sur le concept de guerre civile en général puis tenter de voir comment il s’applique à la réalité de la Syrie sous le régime des Assad.

Une guerre civile est une confrontation armée entre deux composantes ou plus d’une société. Elle résulte d’un conflit d’intérêt entre ces parties pour des raisons tribales, communautaires, ethniques ou sociales. Chaque partie tente de s’imposer soit pour se séparer de l’autre si son objectif est de se libérer de l’injustice et d’obtenir l’égalité des droits entre tous, soit de vaincre en parvenant à dominer l’autre partie et monopoliser le pouvoir ainsi que toute la richesse de la société.

Revenons en arrière pour approfondir la réalité syrienne. En fait, la guerre civile a commencé depuis le jour où Hafez El-Assad s’est emparé du pouvoir dans le pays (en 1970).

Le coup d’Etat militaire qu’il a fait contre ses partenaires sans livrer de bataille ou de conflit armé contre une partie de la société, lui a permis en un instant de mettre la main sur toutes les forces notamment militaires du pays. Tout en cherchant à assoir sa dictature autocratique, il a mené le combat au nom de sa communauté et grâce à l’élite politique et militaire de celle-ci.

Par souci de vérité historique, il faut souligner, que la majorité de la communauté alaouite n’a pas approuvé Hafez El-Assad et a même manifesté contre son coup d’Etat, contrairement aux sunnites qui l’ont bien accueilli. Les commerçants de Damas avaient même écrit sur une grande banderole :

« Nous avons demandé l’aide de Dieu et il nous a envoyé Hafez El-Assad. »

L’opposition des Alaouites et le soutien des sunnites à Assad père sont très significatifs de la maturité de la société syrienne au moment où Hafez a pris le pouvoir puisque la question communautaire ne se posait pas.

Assad père a réussi à absorber toute la contestation, tantôt par la force, tantôt par la corruption. Il s’est mis à cultiver le réflexe communautaire parmi les Alaouites qui se sont très vite ralliés à son pouvoir compte tenu des bénéfices qu’ils allaient en tirer pour leurs enfants et sous l’influence de ses élites politiques et militaires transformées en bande de corrompus.

On peut dire en somme que la guerre civile qui a commencé en Syrie quand Assad a concentré tous les pouvoirs entre ses mains et rallié la communauté alaouite qui s’est en réalité mise au service de son régime et non l’inverse, s’est traduite sur le terrain par une monopolisation du pouvoir, unique au monde. Toutes les autres composantes de la société ont été réduites en esclavage après cette victoire et la richesse a progressivement changé de main en Syrie.

Entre 100 et 150 000 victimes sous la dynastie Assad

Comme toute guerre civile, celle-ci a fait des victimes : entre 100 et 150 000 selon les rapports des organisations des droits de l’Homme. La ville de Hama a été détruite (en 1982), des dizaines de massacres communautaires se sont produits, des milliers de sunnites ont été exécutés et des centaines de milliers de Syriens ont quitté le pays, de gré ou de force.

La guerre civile n’est donc pas une éventualité probable en Syrie comme le prétendent certains aujourd’hui. Elle se poursuit en fait depuis 42 ans.

Ceux qui craignent son déclenchement en cas de chute du régime Assad se font des illusions ou cherchent des prétextes.

Au contraire, quand on perçoit le degré de conscience nationale chez les révolutionnaires syriens sur le terrain, le seul espoir de mettre fin à la guerre civile en Syrie réside dans la victoire de la révolution et la chute du régime.

Il en coûtera peut-être quelques incidents et confrontations à caractère communautaire, mais la fin de ce régime est la clé pour entamer un processus de construction d’un Etat de tous les citoyens, un Etat de droit où tous les Syriens sont égaux en droits et en devoirs.

Traduit de l’Arabe par Hala Kodmani

source: http://www.rue89.com/2012/04/16/syrie-la-guerre-civile-commence-il-y-42-ans-avec-la-dynastie-assad-231241