En Syrie, la guerre des bombes barils Par Christophe Ayad, Francesca Fattori, Jules Grandin, Véronique Malécot et Henri Olivier
Le Monde.fr | • Mis à jour le | Par Christophe Ayad, Francesca Fattori, Jules Grandin, Véronique Malécot et Henri Olivier
Syrie : la guerre des bombes-barils
Aussi rudimentaires que destructrices, ces armes sont utilisées en masse par le régime
Assad depuis plus de deux ans. Les civils en sont les premières victimes.
Au début, tout le monde s’est moqué de Bachar Al-Assad et
de son armée en loques. Lorsque les premiers barils
d’explosifs ont été utilisés par l’armée de l’air syrienne pour
bombarder les villes, villages et positions passés sous le contrôle de la rébellion à l’aide de cette arme
rudimentaire, les rares journalistes présents en Syrie à la fin de l’été 2012 n’en ont pas cru leurs yeux.
Des hélicoptères militaires utilisés comme de vulgaires catapultes du Moyen Age, d’où l’on faisait
basculer des fûts de poix et d’huile bouillante ? C’était le signe que la fin approchait, que les
munitions manquaient et que le régime s’épuisait.
C’était au début. Car, deux années et demie plus tard, cette arme aussi rudimentaire que terrifiante
est probablement à l’origine de la majorité des quelque 200 000 morts – essentiellement des civils
– de l’hécatombe syrienne qui dure depuis mars 2011. Bien plus que l’arme chimique, utilisée à
plusieurs reprises en quantités limitées et une seule fois massivement, le 21 août 2013, causant 1
500 morts dans la plaine agricole et les villages qui entourent Damas. Mais, utilisées par dizaines
quotidiennement à Alep, Homs, Deir ez-Zor ou dans les environs de Damas, les bombes-barils ont
tué et détruit bien plus de vies que toute autre arme en Syrie.
Tactique du tiers-monde
Les bombes-barils ne sont pas une invention syrienne. L’armée soudanaise a terrorisé le Darfour
dans les années 2000, et aujourd’hui le Nil Bleu et les monts Nouba, à l’aide d’explosifs
rudimentaires jetés depuis les soutes d’avions de transport Antonov afin de terroriser les villageois.
Une tactique du tiers-monde destinée à chasser de pauvres hères face à l’avancée de troupes et de
miliciens au sol. Ce que l’armée syrienne a inventé, c’est l’industrialisation de cette pratique, pas tant
par manque de moyens – Moscou ne lésine pas sur les livraisons – que par méfiance envers le corps
des pilotes de chasse, dont plusieurs ont fait défection.
Les bombes-barils sont produites à la chaîne en Syrie. Elles ne coûtent presque rien, il suffit d’un
baril vide rempli d’un mélange d’explosifs, de ferraille (pour faire le plus de dégâts humains
possible), d’engrais chimique et de combustible (pour accroître le pouvoir détonant). Ces engins de
mort sont largués à la main depuis des hélicoptères. On a vu, sur des vidéos, des soldats allumer la
mèche avec un cigare ou un briquet au début. Par la suite, un petit détonateur à l’impact a été placé
sur les parois du baril, doté aussi d’ailerons pour stabiliser sa trajectoire.
Vus du sol, les barils d’explosifs ont ceci d’insupportable que leur trajectoire est aléatoire et leur
chute lente. Entre le moment où l’hélicoptère les largue et l’impact, il peut s’écouler plusieurs
secondes durant lesquelles on se voit littéralement mourir. L’explosion est dévastatrice. Les engins,
qui pèsent jusqu’à 500 kilos, pulvérisent des immeubles entiers. Il arrive que même les fondations et
les caves cèdent. A l’usage, cette arme s’est révélée bien plus destructrice que certaines bombes
guidées, tirées par des Mig et coûtant plusieurs dizaines de milliers de dollars pièce.
Le pouvoir de destruction des barils rend très difficile de s’en protéger. Souvent, les occupants d’un
immeuble sont ensevelis sous les décombres et, s’ils ne sont pas morts dans l’explosion, succombent
des suites de leurs blessures sous plusieurs tonnes de gravats.
En fait, les bombes-barils se sont avérées une invention militaire géniale face à une guérilla sans
moyens antiaériens. Rapportées à leur prix, elles ont un potentiel de destruction immense et
terrifient les combattants autant que les civils. Enfin, la communauté internationale, notamment les
diplomates et militaires occidentaux, a mis longtemps à prendre cette arme au sérieux. Il a fallu
attendre septembre 2014 pour qu’une coalition de 130 ONG internationales lance un appel à mettre
fin à ces attaques indiscriminées contre les civils.
Christophe Ayad, Infographie : HENRI-OLIVIER, Francesca Fattori, Véronique
Malécot
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