En Syrie, la menace d’une guerre islamo kurde – Par Christophe Ayad
En Syrie, la menace d’une guerre islamo kurde
Jeudi Premier Août 2013
Par Christophe Ayad
Déjà mise à mal par la contre offensive du régime et les atermoiements de la communauté internationale, la rébellion syrienne est désormais sous la menace d’un conflit interne qui pourrait dégénérer en conflit ethnique.
La guerre intestine entre kurdes et djihadistes, qui ravage le nord et l’est de la Syrie depuis la mi-juillet, a pris un nouveau tour, Mercredi 31 Juillet 2013, avec la prise en otage de quelque deux cent civils kurdes par les rebelles fondamentalistes du Front al Nosra et de l’Etat Islamique en Irak et au Levant dans les villages kurdes de Tall Haren et Tall Hassel (province d’Alep). Nul ne sait où les habitants ont été emmenés par ces deux groupes proches d’al Qaïda.
Depuis deux semaines, de violents combats opposent des djihadistes aux miliciens kurdes, pourtant également farouchement hostiles au régime de Bachar al Assad. Ces affrontements, qui ont déjà causé plusieurs dizaines de morts, menacent de dégénérer en guerre ethnique entre kurdes et arabes et soumettent le reste de la rébellion, essentiellement arabe et sunnite, à un choix cornélien entre solidarité ethnico-religieuse et politique de bon voisinage avec la puissante minorité kurde de Syrie, soutenue par ses homologues de Turquie et d’Irak.
La prise d’otages de masse de mercredi, qui rappelle les sinistres méthodes d’al Qaïda en Irak, semble répondre aux récentes défaites de l’Etat Islamique en Irak et au Levant face aux forces kurdes, notamment dans la localité clé de Ras al Aïn, à la frontière avec la Turquie. Dans le secteur de Tall Abyad, l’Etat islamique a été lâché par les autres forces rebelles, notamment la onzième division de l’Armée Syrienne Libre, mais aussi des groupes salafistes, qui refusent de mener un combat jugé inutile et fratricide.
Hostilité d’une bonne partie des rebelles
Ce groupe djihadiste connu pour son radicalisme est originaire d’Irak mais de plus en plus présent en Syrie. Il a tenté en vain une OPA sur le Front al Nosra, la branche syrienne d’al Qaïda, qui a refusé la fusion mais continue d’entretenir des liens avec la branche irakienne. Il a également été désavoué par Ayman al Zawahiri, le chef d’al Qaïda depuis la mort d’Oussama Ben Laden. Surtout, le groupe s’est attiré l’hostilité d’une bonne partie des rebelles, qui l’accusent de passer plus de temps à combattre la rébellion pour agrandir son territoire qu’à affronter l’armée du régime syrien.
Ainsi, à la mi-juillet, un membre de l’Etat islamique avait assassiné Abou Bassir, le principal chef rebelle dans la région du djebel turkmène, choquant un grand nombre de syriens. L’Etat Islamique en Irak et au Levant est également soupçonné d’avoir fait tuer Issa Hesso, un cadre important du PYD, le principal parti kurde syrien, dans un attentat à la bombe à Kamechliyé, mardi. Les observateurs n’écartent toutefois pas la possibilité que cet assassinat ait été commis par les services de renseignement syriens, qui voient d’un mauvais oeil le rapprochement en cours entre le PYD et la Turquie, par l’entremise du PKK, la principale force politique kurde de Turquie, en plein processus de paix avec Ankara.
Toutefois, Issa Hesso, qui était chargé des relations extérieures au sein du conseil suprême kurde, regroupant toutes les forces politiques kurdes de Syrie, avait violemment critiqué, peu de temps auparavant, l’Etat islamique en Irak et au Levant.
Le PYD a rompu avec le régime en mars
Le PYD, qui, au début de la révolution syrienne, s’en était tenu à une stricte neutralité, a rompu définitivement avec le régime au mois de mars. Mais le parti entend bien gérer, avec l’aide des autres formations kurdes, les zones kurdes libérées de manière autonome. Le conflit en cours pourrait accentuer sa méfiance atavique envers les forces arabes, qu’elles soient favorables ou hostiles au régime en place à Damas. Après la mort d’Issa Hasso, les YPG, la branche armée du PYD, ont lancé un appel aux forces kurdes à se joindre à elles pour combattre les extrémistes religieux.
Conscient des risques potentiels d’un tel conflit pour l’avenir de la révolution syrienne, qu’il soutient activement, le père jésuite Paolo d’All Oglio, qui réside à Souleimaniyé, dans le Kurdistan irakien, s’est rendu le 28 juillet à Rakka, dans le nord-est de la Syrie, afin de mener une médiation entre islamistes et kurdes. La ville est en effet tenue par l’Etat Islamique en Irak et au Levant, en collaboration avec la brigade Ahrar al Cham, l’un de ses derniers alliés en Syrie. Depuis son installation, l’Etat islamique a multiplié les exécutions publiques de « traîtres », fait disparaître le notable local qui dirigeait le conseil élu après la libération de la ville et est soupçonné d’avoir enlevé deux journalistes français.
D’après des informations non confirmées, le père Paolo Dall’Oglio serait retenu par les hommes de l’Etat islamique à Rakka. Le ministère italien des affaires étrangères et la communauté d’origine du père Paolo refusent de confirmer pour l’instant un rapt. Mais le pape François, lui-même issu de la compagnie de Jésus, a exprimé sa préoccupation mercredi, lors d’une messe célébrée à Rome.