En Syrie, « la révolution doit aussi englober l’Eglise » – par Ignace Leverrier
Le père Spyridon Tanous, membre du clergé de l’Eglise grecque-orthodoxe exerçant en Suède, a récemment dénoncé un certain nombre de dérives graves incluant le contrôle exercé par le régime syrien sur l’Eglise à laquelle il appartient, mais aussi le vol d’une partie de son patrimoine historique et la soumission de sa hiérarchie aux ordres de Moscou.
Il écrit :
« Il faut mettre les points sur les i et rappeler certaines vérités :
1 / Des gens que je ne nommerai pas ont laissé le régime baathiste au pouvoir en Syrie diriger l’Eglise en leurs lieu et place. C’est ainsi, par exemple, que personne ne peut être ordonné prêtre sans l’accord des autorités sécuritaires, lequel est conditionné à la déclaration par le postulant qu’il soutient la politique du régime.
2 / Des gens que je ne nommerai pas ont empêché l’Eglise d’intervenir, laissant le régime s’emparer du patrimoine orthodoxe qui remonte aux premiers siècles, propriété des Orthodoxes.
3 / Des gens que je ne nommerai pas ont interdit toute enquête sur le meurtre du Patriarche Elias IV Mouawwad.
Les noms et les preuves sont là.
Ils seront ultérieurement divulgués pour que les responsables de ces faits soient poursuivis devant les tribunaux ».
Le mois passé, faisant l’éloge funèbre du « père Fadi Haddad, curé de Qatana et martyr de la révolution syrienne », enlevé et assassiné alors qu’il tentait de faire libérer un membre de sa communauté, le père Spyridon avait accusé le régime d’être responsable de ce crime et imputé le silence observé par l’Eglise orthodoxe de Syrie sur la mort du prêtre « à sa sujétion à la Russie ».
« Il fait lever son soleil sur les bons et les méchants
et accorde la pluie aux justes et aux injustes »
Il avait écrit à cette occasion : « Un prêtre est aujourd’hui assassiné parce qu’il refuse de voir un peuple soumis, égorgé jour et nuit. Il est allé à l’encontre du courant imposé par le régime et ceux qui le soutiennent. Il a voulu suivre l’exemple de la sainteté, l’exemple de notre saint maître d’Antioche, Jean Chrysostome, qui, à son époque, a dit non à l’injustice et a combattu l’oppression du dictateur… Malheureusement, si ceux qui font commerce de l’argent ont indiqué qu’ils avaient négocié avec les meurtriers la somme qu’ils réclamaient, ils ne nous ont jamais dit qui étaient ces meurtriers… Plus malheureusement encore, le communiqué diffusé à cette occasion par le Patriarcat était obscur, comme s’il s’agissait d’une simple escroquerie, ignorant la révolution à laquelle le curé de Qatana participait physiquement et spirituellement… »
Il ajoutait : « Cramponnés à leurs trônes, les agents de la Russie exécutent les plans de leurs maîtres. Mais ils n’échapperont pas aux sanctions qui les attendent, car la révolution s’est levée pour réaliser la Justice. Il n’est pas sérieux de continuer à accuser ce régime, qui est fondamentalement criminel. Nous devons être clairs et comprendre que les régimes russe et iranien travaillent à diviser et à se répartir le pays, et que la mort du martyr de Qatana entre dans ce plan. Les Orthodoxes de Syrie doivent se souvenir que l’Orthodoxie ne vient pas de Moscou. L’Orthodoxie ne possède ni coupoles dorées ni lingots d’or. Elle n’est ni à acheter, ni à vendre. L’Orthodoxie a des martyrs. La lecture erronée de l’Histoire conduit à la faute ».
Le 21 juillet 2012, le père Spyridon avait adressé un message oral à ses frères alaouites, musulmans et chrétiens de Syrie. S’exprimant en son nom personnel, il tendait la main aux uns et aux autres en vue de mettre un terme à l’effusion de sang, de faire prévaloir la raison et de travailler ensemble à la reconstruction d’une Syrie fraternelle et ouverte à tous. A ses frères en religion, il recommandait en particulier de « ne pas se laisser effrayer et de se rappeler qu’aucun régime politique au monde n’a jamais apporté son soutien aux chrétiens… si ce n’est par intérêt ». Il les incitait donc à « combattre avec leurs frères, pour préserver à la révolution son caractère civilisé ».
Plus récemment, le 15 septembre 2012, il était apparu dans un enregistrement en forme de témoignage sur « La situation des chrétiens de Syrie« . Enfin, le 21 octobre, il avait écrit : « En réalité, nous ne savons plus comment interpeller sa Béatitude le patriarche Hazim. Nous ne savons plus ce qu’il veut. Car il n’a plus les choses en main et il ne dirige plus le Patriarcat. Il y a été supplanté par une mafia qui ne s’intéresse ni à l’Eglise, ni aux hommes de religion. Je pense qu’il est désormais impossible de se reposer sur le Patriarcat et qu’il nous faut trouver une autre manière de travailler, loin de cette clique qui apporte son soutien au régime. Il nous faut protéger notre patriarche, que son grand âge laisse dépourvu de force et de moyens. Ceux qui ont pris le pouvoir à la tête du Patriarcat orthodoxe d’Antioche à Damas avaient collaboré jadis au pillage des trésors de l’Eglise avec Rifaat Al Assad. Ils coopèrent aujourd’hui avec ce régime criminel. C’est pourquoi je lance aujourd’hui cet appel à tous les orthodoxes : Commençons à nous atteler à la tâche, parce que la révolution doit aussi englober l’Eglise ».
Il n’est seul ni à le penser, ni à le dire. Depuis le début du soulèvement populaire contre Bachar Al Assad, les chrétiens ont été nombreux à interpeller le clergé pour le mettre en garde contre le soutien que, consciemment pour les uns et inconsciemment pour les autres, certains de ses membres apportaient au régime en place. Alors que, reprenant à leur compte la propagande du pouvoir, quelques religieux justifiaient la répression contre les manifestants, observaient le silence sur les tortures et les disparitions, et n’exprimaient aucune tristesse pour les victimes innocentes… quand ils n’invitaient pas leurs fidèles à se réjouir du massacre de populations musulmanes, des chrétiens de toutes confessions ont rendu visite ou adressé des messages à leurs curés, à leurs évêques et à leurs patriarches. Ils ont attiré leur attention sur les graves conséquences, pour eux-mêmes et leurs communautés, de leur peur, de leur silence, de leur ignorance et, parfois, de leur haine de l’autre.
Parmi eux figuraient des professeurs d’université, des intellectuels, des artistes, des journalistes, des hommes d’affaires, des militants politiques, des prêtres et des moniales… dont mieux vaut ne pas citer les noms pour prévenir les ennuis que toute publicité intempestive peut valoir en Syrie. Quelques minutes suffisent pour constater la place occupée sur Internet par les « Coordinations chrétiennes » créées dans de nombreuses villes. Les témoignages ne manquent pas sur la générosité et le dévouement manifestés par de jeunes chrétiens et chrétiennes à l’égard de leurs compatriotes d’autres confessions, victimes de la répression, chassés de leurs domiciles et réduits à la faim et à la misère, aidés sans discrimination.
Sur sa page Facebook, le Réseau de Soutien des Chrétiens syriens à la Révolution syrienne définit ainsi son objectif : « Dire à haute voix que le peuple chrétien est une partie de la société syrienne et une composante essentielle de sa révolution contre l’injustice, l’oppression et l’humiliation mises en œuvre par la dictature de la famille Al Assad et du Parti Baath. Par sa seule existence, le Réseau porte un coup puissant aux mensonges du régime, de ses médias et de ses propagandistes, qui accusent la révolution syrienne d’être extrémiste. Le Réseau apporte son soutien à la lutte engagée par la totalité des composantes et des confessions du peuple syrien, décidé à renverser main dans la main le régime au pouvoir ».
Avec les militants politiques participant à la révolution, ce sont eux qui préparent la coexistence, dans la Syrie future, de l’ensemble des composantes de la population syrienne.
source : http://syrie.blog.lemonde.fr/2012/11/18/en-syrie-la-revolution-doit-aussi-englober-leglise/
date : 18/11/2012