En Turquie, les réfugiés syriens vivent dans la terreur des « réseaux d’Assad »
Réfugiés depuis six mois en Turquie après l’irruption brutale de l’armée dans leurs villages, des milliers de Syriens vivent dans la terreur du régime de Damas et de ses agents, dénonçant des complicités avec les « réseaux d’Assad » jusque dans l’administration turque.
Lundi, 14H00. La situation est tendue devant le camp de réfugiés de Reyhanli (sud). Des dizaines de jeunes Syriens bloquent la route menant vers leur pays d’origine, à quelques kilomètres de là, provoquant la colère de conducteurs empêchés de poursuivre leur route et d’habitants du village voisin.
« On ne veut pas d’eux ici, ils ne créent que des problèmes. Ils sont tous du PKK », crie un Turc massif et moustachu, une barre de fer à la main, faisant référence aux rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
L’accusation n’est guère crédible, concernant des villageois arabes, mais suffit à échauffer les esprits.
De l’autre côté aussi, on est excédé. « Si la Turquie ne peut pas nous protéger, qu’elle nous envoie dans un autre pays », clame un jeune homme barbu devant une rangée de gendarmes en tenue anti-émeutes.
L’objet de leur colère, c’est, affirment les manifestants, la livraison par les autorités turques à leurs homologues syriens de deux réfugiés fraîchement arrivés.
Les deux hommes se sont rendus samedi soir au poste de gendarmerie de Reyhanli pour y être enregistrés, relate Isam Haç Mahmut, le frère du premier et cousin du second. Dimanche soir, l’information de leur remise aux autorités syriennes s’est répandue.
« Ils ont déclaré avoir fui de Syrie de peur d’être tués. Mais dans le procès-verbal, il est écrit qu’ils sont venus ici pour chercher du travail. Ce sont des mensonges, celui qui dit ça est un menteur. Mon frère vivait dans les montagnes depuis trois mois », s’insurge le parent.
Côté gendarmerie, on confirme avoir refoulé des Syriens. « Il ne s’agit pas d’une affaire de réfugiés. Ils sont venus ici illégalement pour chercher du travail », déclare un commandant, qui s’éloigne avant qu’on puisse lui demander son identité.
Pour Hassan Al-Marie, membre du Conseil suprême de la révolution syrienne, un des groupes de l’opposition syrienne, de passage dans la région, l’incident est sérieux. « L’un des deux hommes était de l’armée syrienne (…) En le renvoyant en Syrie vous le condamnez à la torture ou peut-être à la mort », affirme l’opposant.
L’homme n’envisage cependant pas un acte délibéré du gouvernement turc, qui a clairement pris partie pour le départ du président syrien Bachar al-Assad et a affirmé être prêt à accueillir tous les réfugiés syrien. « C’est un problème d’individus », affirme-t-il.
Un problème d’individus, mais pas un problème isolé, estime Mehmet Neci Yunso, un menuisier de 42 ans qui a fui Jisr Al-Choughour (nord-ouest) et dit avoir échappé lui-même de peu deux jours plus tôt à une extradition en Syrie après avoir été accusé de contrebande et maintenu aux arrêts pendant une dizaine d’heures.
« Nous n’avons aucun problème avec le gouvernement turc, nous n’avons aucun doute par rapport à lui. Mais, nous pensons que certaines personnes (à l’échelon local) ont des contacts avec l’Etat syrien », commente l’homme, rencontré dans le camp de réfugiés de Yayladag.
Le menuisier relate aussi l’affaire du colonel syrien déserteur Hussein Harmoush, interrogé en juin par l’AFP à la frontière turque, et dont des « confessions » ont été diffusées quelques mois plus tard à la télévision nationale syrienne, après un retour au pays dans des circonstances troubles. Pour les réfugiés, il ne fait pas de doute que l’homme a été enlevé par des affidés du régime de Damas, à la sortie du camp l’Altinözü.
L’affaire a marqué les esprits dans les camps.
« Le danger, c’est les réseaux d’Assad, ses liens avec des réseaux mafieux ici et ses espions. On a peur de se faire enlever par ces gens là », confie Hussein Misri, un professeur d’arabe de 42 ans venu de Jisr al-Choughour.