Fadwa Suleiman, pasionaria de Homs – par Hala Kodmani
La comédienne est devenue le porte-voix de la contestation dans ce bastion insurgé.
Elle a tenu à brancher la vidéo en entamant la conversation sur le logiciel de communication par Internet, Skype. Débordante d’énergie malgré l’heure matinale, gobelet de café et cigarette à la main, elle veut «réveiller les consciences» et débite à toute allure sa colère contre «les dirigeants du monde entier qui ont oublié les valeurs humaines et font passer l’intérêt de leur Etat avant la vie du peuple syrien».
Nouvelle icône de la révolution syrienne depuis ce vendredi de novembre où elle est apparue sur Al-Jezira au milieu des manifestants à Homs (ouest du pays), Fadwa Suleiman était déjà une star en Syrie avant de s’engager dans le combat contre «le criminel de guerre Bachar al-Assad». Alaouite, comme lui, cette comédienne de théâtre, de cinéma et de feuilletons télévisés à succès ne ressemble plus à ses personnages aux tenues et au maquillage glamours. Cheveux coupés à la garçonne dégageant son visage sculpté, elle joue aujourd’hui son «plus beau rôle parmi des héros qui m’accueillent et me protègent dans cette ville qui résiste au conflit communautaire attisé par le régime». Elle dit disposer de preuves que ce sont les hommes de main du régime qui tuent les gens et jettent leurs corps dans les quartiers de Homs où vivent les minorités pour provoquer la confrontation. «J’ai amélioré l’image des alaouites auprès de toute la population depuis que je suis ici», affirme avec assurance la militante, vêtue d’un gros col roulé rouge sous un gilet de laine pour résister au froid de la maison privée de chauffage – comme toutes les autres dans ce quartier rebelle de Homs -, dans laquelle elle réside. «Le peuple syrien vaut tellement mieux que d’être réduit à des sunnites et des alaouites !» ajoute-t-elle, considérant sa communauté comme victime de la manipulation du régime.
Sniper. C’est au nom de la grandeur de son «peuple civilisé», comme elle le répète à chaque détour de phrase, qu’elle mène la lutte contre le sectarisme et pour la démocratie et la liberté. Sans peur des grands mots et alors qu’elle vient de raconter comment elle a échappé la veille au sniper de la rue du Caire à Homs, surnommée «route de la mort» par les habitants, elle parle de paix, de fraternité, d’universalisme et d’humanisme. Des idéaux qui reviennent dans ses messages vidéo dédiés tantôt à sa «communauté victime de la manipulation du régime», tantôt aux commerçants d’Alep (nord de la Syrie), où elle a grandi, pour les appeler à se joindre à la «grève de la dignité». Dans l’un de ses récents enregistrements, elle adresse un «message d’amour aux forces de l’ordre». «Toi, l’homme de la sécurité, tu dois d’abord assurer celle des tiens, des miens, de tes enfants, de ta mère, de ton père… Tu ne fais que garantir la sécurité d’un seul homme, celui qui s’attaque à ton frère, aux miens, aux nôtres…», dit avec éloquence la comédienne professionnelle en caressant la caméra de ses grands yeux noirs.
Naïveté. Persuadée de son pouvoir d’«éveiller l’humanisme au fond de chacun», elle veut «libérer le tueur de son crime». Souriant à ce souvenir, elle révèle pour la première fois une «action» qu’elle avait menée incognito il y a quelques semaines dans un jardin de Damas, où elle a participé dès le départ à la contestation. «Dans un jardin public, avec cinq jeunes femmes, munies de pinceaux et de peinture, nous nous sommes mises à dessiner par terre. Une douzaine d’hommes armés sont intervenus pour nous demander d’arrêter et de partir. Je leur ai alors proposé de faire des dessins à leur tour. Amusés, certains s’y sont mis en effet mais, très vite, leur chef s’est énervé et s’est mis à les engueuler et les menacer. Je lui ai parlé en l’invitant à prendre le pinceau pour défouler sa colère. Il m’a alors raconté qu’il dessinait très bien dans son enfance à Lattakiehquié [région des alaouites, dans l’ouest du pays, ndlr] et s’y est mis. Puis des enfants sont venus regarder les peintures. Au bout d’une heure, les hommes m’ont remercié en me disant qu’ils faisaient leur travail pour l’argent, comme tous ces miliciens recrutés par le régime pour terroriser les habitants de la capitale.»
Est-ce un militantisme aussi pacifique, à la limite de la naïveté, qui vaut à Fadwa Suleiman d’être aujourd’hui traquée et menacée à Homs, où les forces du régime font des perquisitions, arrêtent et torturent certains pour obtenir des informations sur elle ? Depuis qu’elle s’est installée dans la ville assiégée, après avoir mis son fils à l’abri, sa famille est soumise à toutes sortes de pressions et son frère a dû la dénoncer à la télévision comme «agent à la solde de l’étranger». Rejetant toute appartenance communautaire autre qu’au peuple syrien, elle apporte un démenti quotidien aux allégations du régime. «Je suis là pour témoigner qu’il n’y a pas de bandes armées salafistes qui s’attaquent aux habitants ici, que les attaques ne proviennent que des forces du pouvoir», affirme la pasionaria. Elle se dit d’accord avec les arguments du régime sur un seul point : «C’est vrai que la Syrie est victime d’un complot. Celui-ci est dirigé par Bachar al-Assad.»
Source: http://www.liberation.fr/monde/01012379560-fadwa-suleiman-pasionaria-de-homs