Femmes d’ici, femmes d’ailleurs: paroles d’exilées : Samar, l’exil aux deux visages
par Anne Bernas
Samar Yazbek est écrivaine et militante pour la protection des femmes dans son pays, la Syrie. Elle est exilée en France depuis deux ans et demi. Un exil qui la transforme. La déracine. Mais un exil qui est aussi une découverte de soi.
« C’est fini […]. J’avance vers la mort d’un pas assuré, car quitter la Syrie ne signifie rien d’autre que de mourir, sentir ma peau muer et mon cœur s’arracher à tout ce que je voulais achever. L’esprit troublé, je prépare mes valises et, pendant que je plie mes vêtements, j’envisage mille fois de tout jeter derrière moi […], de me cacher dans l’obscurité de la nuit et d’être enfin ce que j’ai toujours voulu être. Et pourtant, c’est la première fois que je suis ce que je veux* ».
Syrie, samedi 9 juillet 2011. C’est le début de l’exil pour Samar Yazbek. Ou presque. Attablée autour d’un café dans le quartier de Belleville, l’écrivaine née en 1970, à Jablé, au sud de Lattaquié, prend soigneusement le temps de peser ses mots. Mystérieuse, elle raconte qu’elle vit à Paris avec sa fille de 20 ans. Mais elle n’en dit pas plus ni sur sa vie privée ni sur ses origines. Depuis son exil, elle s’occupe de l’organisation qu’elle a fondée dans la région d’Idlib pour venir en aide aux femmes de l’intérieur, celles qui n’ont pu ou qui n’ont pas voulu quitter le chaos qui règne désormais en maître absolu en Syrie.
« Je suis le prolongement de mon pays à l’extérieur »
« Parce que j’ai pu faire des voyages en Syrie, je n’ai pas réellement ressenti l’exil, raconte la jeune femme au longs cheveux blonds. Mais maintenant que j’ai décidé de rester à l’extérieur de mon pays, je commence à comprendre le sens de ce mot. L’instabilité qu’il crée ». Ce que ressent Samar Yazbek ? « De la tristesse, de la mélancolie ». Ses yeux clairs s’emplissent de larmes. « Je n’aime pas parler de ça », explique-t-elle alors en anglais, la seule phrase qu’elle prononcera dans une autre langue que la sienne, l’arabe, comme pour mieux se détacher des choses, prendre du recul.
Elle qui a vécu de l’intérieur les premiers mois de la révolution syrienne, elle qui a été témoin de la barbarie du régime, qui en a fait un livre*, a du mal à se retrouver loin des siens désormais quand elle pense au drame qui se déroule chez elle. « J’ai mes amis là-bas. Certains sont morts. Notre route, notre combat, est encore longue ».
« Il faut alors que je vive mon exil pour les miens. Que je sois une voix à l’extérieur pour mon pays. Je suis la propagation de mon pays à l’étranger », poursuit l’écrivaine pour qui les mots sont une arme. « Une grande partie des Syriens est en exil, et je suis une partie de cette émigration. Pour cela, je dois être forte. Ensemble, nous devons être tenaces, nous devons nous serrer les coudes pour sauver la Syrie, même si nous sommes exilés ». Et sa bataille, principalement pour les femmes, elle la poursuit même en exil. Samar Yazbek sait de quoi elle parle. Dans son unique roman traduit en français, Un parfum de cannelle **, elle dénonce avec une plume incisive et bouleversante, bien avant le début de la révolution, les conditions de vie de la femme dans la société syrienne. La dédicace de l’ouvrage parle d’elle-même : « […] en mémoire de ces temps de solitude où nous nous sommes dérobées à la folie du monde ».
Transformations
Mais pour Samar Yazbek, l’exil a deux visages. L’un d’eux est ainsi celui de la tristesse, de la mort. « Coupée de mes racines, de ma culture, de mes lieux, de ma langue, l’exil est douloureux, surtout lorsqu’il se réalise tardivement. Les quarante années qui sont derrière moi sont en Syrie. C’est toute ma vie », confie-t-elle la voix tremblante. Dès lors, pour Samar Yazbek, l’exil devient une lutte. « Je dois devenir une partie du pays où je vis désormais, la France », témoigne la jeune femme. Et cela passe par exemple par la langue, pour elle qui comprend le français mais qui ne le parle pas.
« Mais l’exil, surtout pour un écrivain, a aussi un visage positif, tempère-t-elle. C’est une expérience inédite quant à la perception des choses, de la vie, de la conscience », raconte Samar Yazbek en mentionnant que, « bien sûr », l’exil aura sa place dans le livre qu’elle est sur le point de terminer. Cet exil qu’elle considère comme une occasion d’introspection, une découverte, une transformation. « Dans un an ou dans dix ans, mon ressenti de l’exil sera encore différent », explique-t-elle en mentionnant qu’heureusement, la douleur de l’exil est tempérée de nos jours grâce aux moyens de communication modernes. Et de faire référence à l’immense intellectuel américano-palestinien Edward W. Said pour qui l’exil « peut engendrer de la rancœur et du regret, mais aussi affuter le regard sur le monde ***».
Samar Yazbek, comme tout intellectuel, aime la France, sa culture. Pourtant, son unique souhait est de retrouver son pays, sa terre, les siens. « Quand la guerre s’achèvera, même s’il faut attendre dix années, je rentrerai. L’exil est un lieu provisoire. Un déracinement. La Syrie est mon pays », conclut-elle dans une atmosphère pesante de retenue et de dignité. Parce que, comme l’écrit Edward W. Said, « l’exil est la fissure à jamais creusée entre l’être humain et sa terre natale, entre l’individu et son vrai foyer, et la tristesse qu’il implique n’est pas surmontable ».
* Feux croisés, journal de la révolution syrienne, Samar Yazbek, Paris, Buchet Chastel, 203 pages, 19 euros
** Un parfum de cannelle, Samar Yazbek, Paris, Buchet Chastel, 131 pages, 14 euros
*** Réflexions sur l’exil, Edward W.Said, traduction de Charlotte Woillez, Paris, Actes Sud, 2008, 757 pages, 32 euros
Source : http://www.rfi.fr/moyen-orient/20140306-syrie-femmes-exil-samar-yazbek-deux-visages-immigration/