Feu Assef Chawkat, beau-frère et âme damnée de Bachar El-Assad

Article  •  Publié sur Souria Houria le 19 juillet 2012

L’attentat-suicide perpétré à Damas ce 18 juillet a causé la mort du ministre de la Défense, mais aussi et surtout celle d’Assef Chawkat, beau-frère et ami du président syrien. Portrait de celui qui était considéré comme l’homme le plus puissant de Syrie.

Assef Chawkat au "Palais du Peuple" (palais présidentiel) de Damas, en 2000.

Nombreux sont ceux qui se demandent qui est Assef Chawkat et pourquoi on en parle autant dans les médias. Général et beau-frère du président Bachar El-Assad, il aurait surtout été une personnalité importante des services de sécurité. Il aurait été le véritable maître de Damas. Il est né en 1950 à Tartous, une ville de la côte méditerranéenne. Il est d’une famille ordinaire qu’on dit d’origine bédouine. Elle se serait sédentarisée dans la région de Tartous, dans un village dont la plupart des habitants sont nos frères alaouites. La famille s’est intégrée dans le village et est devenue à son tour alaouite, alors qu’elle n’a aucun enracinement historique dans ce village.

En 1968, Chawkat s’installe à Damas pour ses études supérieures. En 1972, il est diplômé en droit et commence à étudier l’histoire. Il entame une thèse sur la révolution syrienne de 1925 en s’intéressant exclusivement à ses chefs d’origine rurale [le mot « rural » est souvent utilisé pour signifier l’appartenance à la communauté alaouite]. Mais il perd l’intérêt pour ce sujet et emploie un spécialiste pour rédiger sa thèse à sa place. La supercherie est découverte et il doit recommencer pour finalement obtenir son diplôme en 1976.

La même année, il entre à la faculté militaire et devient, en 1979, officier de l’armée de terre. Il intègre une unité spéciale qui participe aux événements de Hama [en 1982], où le régime réprima la révolte des Frères musulmans. A la tête d’une brigade, il prend d’assaut des maisons, arrête et liquide, y compris femmes, enfants et vieillards. Ensuite, il rejoint les services du renseignement au sein d’une unité comme il en fut créées dans chaque province ; elles étaient célèbres pour terroriser la population, pour les arrestations, les assauts et les meurtres.

Fidèle combattant du régime

Chawkat a également été accusé d’avoir mené des opérations à l’étranger. En 1983, les ambassadeurs de Jordanie en Inde et en Grande-Bretagne ont été blessés dans des attaques avec des armes à feu. La même année, un employé jordanien a été tué et un autre blessé gravement à Athènes et un conseiller blessé à Madrid. En 1984, une bombe a explosé à l’extérieur d’un hôtel international à Amman et le chargé de mission jordanien à Athènes ne doit sa survie qu’au fait que l’arme de l’assaillant s’est enrayée. Toujours la même année, un conseiller à l’ambassade jordanienne à Bucarest a été tué par balles. Chawkat a aussi été accusé d’être derrière l’attaque contre l’ambassade jordanienne à Rome en 1985 et l’explosion d’une bombe dans les bureaux de la compagnie aérienne jordanienne à Madrid, ainsi que de la mort du Premier secrétaire de l’ambassade jordanienne à Ankara, vue comme un message envoyé à la Jordanie et à la Turquie afin qu’elles cessent d’accueillir des dissidents syriens.

Eu égard à ces opérations, Chawkat était considéré comme un fidèle combattant du régime. Feu Hafez El-Assad [père de l’actuel président] l’avait donc appelé au palais présidentiel et chargé de la protection rapprochée de sa fille Bouchra El-Assad. Au milieu des années quatre-vingt, son étoile brillait de plus en plus. Il savait profiter des occasions qui se présentaient à lui, telles la rencontre avec Bouchra, une jeune fille belle et intelligente, de dix années sa cadette. Elle devait épouser Mohsen Bilal, à l’époque député à l’Assemblée du peuple. Or lors d’un voyage en Suisse – elle devait y acheter des bijoux pour les fiançailles – elle apprenait par une amie installée là-bas que Bilal était un coureur de jupons et rompait immédiatement.

Au lieu d’un membre éminent de bonne famille comme Mohsen Bilal, Bouchra El-Assad a donc épousé Assef Chawkat, petit officier d’une famille quelconque dont le seul capital était sa formation universitaire. Son frère Bassel El-Assad s’était opposé à la liaison, faisant valoir que Chawkat n’était pas d’une famille convenable et qu’il ne voulait pas devenir le beau-frère d’un « noçaïri aux origines peu fiables » [Noçaïri est un terme péjoratif pour désigner les alaouites]. Chawkat a insisté, ce qui lui a valu d’être arrêté sur ordre de Bassel. Puis Bouchra a insisté, et Hafez El-Assad l’a fait libérer. Cela s’est reproduit à quatre reprises, toujours afin d’empêcher Chawkat de rencontrer Bouchra.

Un mariage à Rome

En 1994, Bassel El-Assad meurt dans un accident de voiture, accident officiellement causé par la brume, mais que certains imputent à Rifaat El-Assad [le frère cadet de d’Hafez El-Assad], installé en France, et qui commençait à craindre un redoutable concurrent pour la succession à la présidence du pays. D’autres encore désignent Bouchra Al-Assad et Assef Chawkat, qui semblait le mieux placé pour trafiquer la voiture de Rifaat.

Mais malgré la mort de Bassel, les deux tourtereaux n’étaient pas au bout de leurs peines. Un an après, ils s’enfuient à Rome pour mettre la famille Assad devant le fait accompli, à savoir un mariage sans leur accord. Le jeune couple allait rester deux mois à Rome avant de regagner la Syrie, où il a fini par rentrer en grâce auprès d’Hafez El-Assad.

Entre temps, Bachar est rappelé de Londres, où il poursuivait des études d’ophtalmologie, afin de combler le vide laissé par la mort de son frère Bassel. Hafez El-Assad avait décidé de le préparer pour lui succéder à la présidence, et c’est Chawkat qu’il charge de cette tâche. Assef et Bachar se lient alors d’amitié et à partir de 1998, on dit qu’il était devenu l’homme le plus puissant de Syrie. Avec l’accord de Bachar, il intervient également dans les affaires libanaises. [Dès lors, la concurrence et les divisions entre différents pôles de pouvoir et services de l’appareil sécuritaire s’intensifient. Ils s’affrontent notamment sur le terrain libanais. C’est alors aussi que croît l’inimitié avec Maher El-Assad, frère cadet de Bachar et commandant d’une unité d’élite de l’armée.] Cette animosité entre les deux hommes aboutit à une dispute au cours de laquelle Maher, connu pour ses mauvaises manières, sort son revolver et blesse grièvement son beau-frère. Chawkat est d’abord secouru à Damas, puis transféré à Beyrouth et finalement soigné dans un hôpital dans la banlieue parisienne, comme l’avait alors révélé le journal Libération.

Soutien de Bachar

A son retour à Damas, et après sa réconciliation avec Maher, il est nommé vice-directeur du renseignement miliaire, étant entendu qu’il en était le véritable chef, le directeur officiel n’ayant guère son mot à dire. Ensuite, Bouchra soupçonne son mari de la tromper avec une autre femme. Maher mène alors l’assaut contre la maison dans laquelle Assef Chawkat aurait reçu l’amante, tirant à nouveau sur lui.

En 2000, Hafez Al-Assad décède et son fils Bachar prend la succession. Celui-ci s’appuie alors sur Chawkat pour asseoir son pouvoir. Chawkat serait alors vraiment devenu l’homme le plus puissant de Syrie, exerçant son influence en coulisses. Et cela alors qu’il n’avait ni base populaire, ni ancrage fort dans la communauté alaouite. Sa carrière lui a valu une forte animosité de la part d’autres hauts responsables dans l’Etat.

Source : http://www.courrierinternational.com/article/2012/07/18/feu-assef-chawkat-beau-frere-et-ame-damnee-de-bachar-el-assad

Date : 18/07/2012