Franco-syriennes, voilà pourquoi nous ne voterons pas Mélenchon – par Salam Abbara

Article • Publié sur Souria Houria le 23 avril 2017

Syrie : devant une tragédie humaine qui montre aujourd’hui le rapport de chaque homme politique au pouvoir, à la Justice, à la Liberté, à l’Humanité, les prises de position de chacun sur la question sont révélatrices.

Françaises d’origine syrienne, plus proches de la gauche que de la droite, et n’ayant de toute façon aucune affinité pour le programme de Fillon ou de Le Pen, nous nous sommes intéressées de près à la position de Mélenchon, au-delà des courtes citations dans les articles et des raccourcis dans les vidéos. Pour découvrir à quel point sa position sur la Syrie dénote, à notre sens, d’une profonde immoralité. Vous trouverez dans les références de quoi étayer nos propos et nourrir votre réflexion.

1. Pas de soutien de Poutine, sauf… en Syrie

JLM affirme lors de son meeting au Havre qu’il ne soutient pas Poutine, soit (1). Néanmoins, sur la question syrienne, le discours n’est pas le même. Partant d’un exemple très particulier et discuté (2), le fait que les russes auraient coupé une sortie du pétrole de Daesh par la Turquie, et d’une citation, « La première victime d’une guerre, c’est la vérité », JLM généralise, paradoxalement très sûr de lui, en disant qu’il ne pense pas que les russes ciblent en majorité des civils et des révolutionnaires, et qu’ils font, en gros, du bon travail en Syrie (3). S’il a besoin de preuves, qu’il discute avec les médecins dans les hôpitaux de campagne de Médecins sans frontières (4–6) ou de l’UOSSM (7) ou de Syria Charity (8), bombardés par l’aviation syrienne & russe. Qu’il lise les rapports de Human Rights Watch (9), Amnesty International (10–11), et j’en passe, citant les crimes de guerre commis par la Russie en Syrie.

2. L’absence de condamnation des agissements de Bachar el Assad

Ce qui sidère sans doute le plus, c’est que depuis 2011, JLM n’a à aucun moment clairement condamné les agissements de Bachar al Assad. Dans le dernier rapport du SNHR, sur les 207000 civils décédés recensés depuis 2011, plus de 94% auraient été tués par l’alliance syro-irano-russe (28). Face à un désastre humanitaire incroyable, près de 11 millions de déplacés ou réfugiés, plus de 450 000 morts, une nouvelle « génération perdue », l’extermination en masse de dizaines de milliers de personnes -y compris des enfants- dans les prisons du régime (9), l’utilisation avérée de l’arme chimique et de bombes incendiaires par le régime syrien, JLM continue à faire l’autruche. Sans oublier les bombes-barils explosives larguées depuis des hélicoptères et qui tuent sans distinction parmi la population civile (11). Il n’est plus un secret pour personne aujourd’hui que Bachar al Assad est la cause première du désastre syrien. NON, il ne s’agit pas, en toute simplicité, comme JLM pense le résumer, d’une guerre de gazoducs et d’oléoducs (12–14). Il s’agit de la volonté initiale d’un peuple de se libérer d’une dictature. Il s’agit d’une frustration, d’une révolte, qui a débuté avec la torture d’enfants à Deraa en 2011 (15–16). Après des manifestations pacifiques du peuple, c’est la répression sanguinaire du clan Assad, la torture, les cadavres, le goût du sang, et les défections dans l’armée qui ont poussé les révolutionnaires aux armes. Puis c’est secondairement dans les ruines d’une Syrie bombardée par son dictateur et ses alliés russes et iraniens que les groupes extrémistes comme Daesh ont pu proliférer. Lors de la dernière attaque au gaz chimique, JLM a encore une fois condamné quiconque aurait fait cette attaque, sans nommer le coupable (17–18). Eh bien non : le coupable a un nom, il a une adresse, il a des alliés. Et le coupable c’est Bachar al Assad. Ne pas condamner ses agissements aujourd’hui, c’est les approuver. Concernant l’arme chimique, les bombes incendiaires, la torture, les bombardements, je renverrais n’importe quelle personne doutant encore, aux rapport d’Human Rights Watch sur la Syrie (9), mais également aux paroles et vidéos des ONG médicales qui oeuvrent dans les zones de conflit en Syrie, aux photos de milliers de torturés prises par César dans les prisons militaires (19), aux témoignages des soignants qui soignent au quotidien les victimes.

3. Daesh, ceux qu’il faut écraser, et les kurdes, ceux qui doivent gagner

Vu le franc-parler de JLM, on peine à croire que le fait qu’il ne condamne pas Assad relève d’une hésitation sur le sujet. D’ailleurs il le dit, pour lui, c’est la victoire d’une minorité, les kurdes, qu’il souhaite (3). Très clairement, cela équivaut à cracher sur tous les syriens — de toutes croyances — qui sont morts ou ont vu leurs proches mourir pour un idéal de Liberté en se positionnant uniquement pour une minorité. Car respecter leur mort et leur lutte impose de condamner fermement leur bourreau, Assad.

L’humilité lui étant visiblement inconnue, JLM a des positions très tranchées sur un sujet dont il n’a qu’une méconnaissance flagrante. Il va même jusqu’à avoir le culot de se soucier pendant le débat présidentiel du 4 avril du sort du lycée français de Damas. On aimerait qu’il se soucie d’abord des milliers de torturés à morts dans la prison militaire mitoyenne à ce lycée, dont les corps ont été photographiés par César (20–22).

Quant à Daesh, JLM fait mine d’oublier que si Daesh a pu proliférer c’est dans les ruines d’un pays mortifié par Assad. Il oublie également le jeu de tolérance mutuel entre Assad et Daesh — et autres groupes extrémistes –(23–24). Les exemples sont nombreux, citons ponctuellement 2011, quand Assad libère à deux reprises de ses prisons des centaines d’islamistes dont certains boosteront la création d’Al-Nosra (24). Mais également, aujourd’hui Daesh massacre dans les rangs des révolutionnaires. Assad a voulu se faire passer pour l’unique rempart face aux groupes extrémistes islamistes, et a contribué à réaliser sa propre prophétie. Frappons Daesh uniquement, et dans les ruines de la Syrie renaitrons de nouveaux extrémistes. Tant qu’il n’y aura pas de réelle action pour une transition politique où Assad n’a aucune place, dire que l’on lutte contre le terrorisme en Syrie est hypocrite (26).

4. Un retour à la paix rapide, l’hypocrisie de JLM

Organiser des élections, aller vers un retour à la paix rapide. Si JLM souhaitait réellement un retour à la paix rapide et l’organisation d’élections populaires, il aurait pu se positionner en faveur d’un blocus aérien demandé par la population en Syrie dès le début du conflit, avant que la révolution ne soit armée. Il aurait pu soutenir les tentatives du Conseil National Syrien il y a quelques années pour organiser une transition en Syrie. Il aurait pu oeuvrer en ce sens à un moment où il n’était pas question de Daesh en Syrie, où les choses n’étaient pas si complexes. Peut être qu’on aurait pu endiguer le conflit, voir naître une démocratie, et tarir les tentatives d’extrémistes d’infiltrer la Syrie. Mais non ! JLM parle d’élections et de retour à la paix, sans avoir durant ces six ans condamné Assad, et en soutenant l’action des russes en Syrie. Soyons clairs : nos ennemis en Syrie sont tout autant Daesh que Assad.

Quelle paix veut-il ? JLM n’a-t-il pas vu comment une courte trêve en mars 2016 s’est suivie par le retour de manifestations populaires ? (25) Seule la poudre et les obus font taire les syriens, et tant qu’Assad est au pouvoir toute paix est impossible. A moins d’une fausse “paix” totalitaire, dictatoriale, armée, et violente. Car si la violence s’arrête, les foyers de contestation se rallumeront.

5. La nécessité d’une position indépendante française

Obsédé par les Etats Unis, la Turquie et la volonté d’avoir une position qui s’alignerait à « nos intérêts » en France, JLM en oublie toute morale et enterre la dignité humaine et la lutte du peuple syrien. Avoir une position indépendante ne signifie pas rejeter en bloc des milliers de preuves sous prétexte qu’elles sont soutenue entre autres par les Etats Unis et qu’elles mettent en cause en partie la Russie. Vouloir lutter efficacement contre Daesh ne se fera pas en laissant l’aviation russe bombarder les forces de l’opposition armée modérée qui se battent au quotidien contre Daesh, et en laissant Assad -cause première du mal- au pouvoir. Avoir une position indépendante et morale sur la Syrie, et vouloir la paix, commence par faire un diagnostic correct, et condamner les bourreaux dans le conflit en les citant : Assad, les russes, l’Iran, Daesh, ainsi que les groupes armés extrémistes. Puis, oeuvrer pour une transition politique démocratique citoyenne sans Assad, et juger les criminels devant un tribunal international. Toute paix basée sur la perpétuation d’une injustice n’est qu’hypocrisie et faux semblants. Alors qu’on le dise clairement : JLM n’est pas pour une paix juste (26–27).

Voilà pourquoi nous ne mettrons pas dans l’urne ni le nom de Jean Luc Mélenchon, ni celui de François Fillon ou Marine Le Pen.

Salam & Alia Abbara