Frappes françaises en Irak : le devoir de vérité
LE MONDE |
Tétanisés par la dégradation de leur économie et une situation politique délétère, les Français n’ont peut-être pas pris toute la mesure, cette semaine, des annonces de l’Elysée sur l’engagement militaire de leur pays au Moyen-Orient.
Ils auraient tort d’en sous-estimer la portée. La France participe, depuis une semaine, au sein d’une coalition sous commandement militaire américain, à des opérations aériennes en Irak contre l’organisation terroriste Etat islamique (EI). Ses avions Rafale basés à Abou Dhabi, accompagnés d’avions-espions, ont, dans un premier temps, mené des vols de reconnaissance et de renseignement. Puis, une fois les cibles identifiées, les premières frappes des Rafale ont détruit, vendredi 19 septembre, dans la région de Mossoul, un dépôt logistique de l’EI qui abritait des véhicules, des armes et du carburant.
Cela peut paraître modeste au regard des opérations menées dans la même zone depuis début août par l’aviation américaine, qui a déjà opéré quelque 180 frappes. Les moyens ne sont évidemment pas comparables, et, même si d’autres alliés, notamment l’Australie et le Canada, se sont déclarés prêts à participer aux opérations contre l’EI, il est clair que ce sont les Etats-Unis qui assureront le gros de l’offensive.
L’ampleur des moyens mis en oeuvre par la France en Irak est également sans commune mesure avec ceux qu’elle a engagés au Mali, en Centrafrique ou au Sahel contre Al-Qaida.
UNE PRÉSENCE QUI N’EST PAS ANODINE
Pour autant, la présence française dans ce nouvel engagement au Moyen-Orient n’est pas anodine. Elle est concrète, alors que de nombreux pays qui ont manifesté leur intention de participer à la coalition anti-EI n’ont pas encore précisé le rôle qu’ils entendaient y jouer. Elle est visible, alors que d’autres, comme les monarchies du Golfe, s’efforcent de rester le plus discrets possibles dans cette guerre entre musulmans. Elle est, enfin, clairement assumée, de la part d’un pays qui a prôné l’intervention en Syrie à une époque où les Etats-Unis y étaient opposés, et qui, de la Libye au Mali, n’a pas eu d’états d’âme pour engager son armée sur des théâtres difficiles dans le monde arabo-musulman.
Le président Hollande a cependant posé deux limites à l’intervention en Irak, laquelle répond à la demande du gouvernement de Bagdad : « Il n’y aura pas de troupes au sol et nous n’interviendrons qu’en Irak. » Et alors que le président Obama se fixe l’objectif de « détruire » l’EI, le chef de l’Etat français se contente, lui, du mot « affaiblir ».
Certes, « le combat contre les terroristes est aussi le nôtre », dit M. Hollande, mais est-il réaliste de laisser entendre, comme le fait M. Obama, que l’on peut venir à bout, sans engager de troupes au sol, d’une organisation qui contrôle, selon diverses estimations, un bon tiers du territoire syrien ?
Cette intervention est, de toute évidence, un engagement à long terme. « Gouverner, c’est dire la vérité », dit Manuel Valls. Il est donc essentiel que, dans le débat salutaire qui est prévu au Parlement la semaine prochaine, le premier ministre mette ce principe en oeuvre, en toute transparence.