Hala Alabdalla invitée du festival Est-ce ainsi… « Les images tournées par les jeunes syriens sont des bijoux »
À l’Écran, séance exceptionnelle avec la cinéaste syrienne en forme d’état des lieux en images du cinéma de son pays après cinquante ans de dictature. Elle a répondu aux questions du JSD.
Cette nouvelle édition du Festival de cinéma organisée par l’Écran se déroule dans la salle du centre ville du 1 et 7 février. Pour en savoir plus lire ICI.
Ce dessous l’interview d’une invitée de samedi prochain.
JSD : Qu’allez-vous dire à l’Écran ?
Hala Alabdalla : J’ai envie de parler de la production des films et de la censure, mais aussi des jeunes qui prennent des risques énormes pour mémoriser les événements actuels. C’est pour moi un plaisir de parler de cette jeunesse qui se lève. Ces manifestants cassent le mur du silence en envoyant des images anonymes qui sont des bijoux…
JSD : Quand avez-vous quitté la Syrie ?
Hala Alabdalla : En 1981. J’avais fait quatorze mois de prison pour avoir manifesté mon opposition au régime à travers un journal clandestin. Ensuite, mon compagnon ne pouvait plus travailler et je l’ai suivi en France. Mes films sont tous entre la Syrie et ici. J’y retourne souvent, sinon je meurs. Mais je n’y suis pas allée depuis mars 2011…
JSD : Vous vous attendiez à cette révolution ?
Hala Alabdalla : Ce pouvoir est tellement impitoyable et dégage une telle impression de force et de terreur que ça semblait inimaginable. Mais beaucoup voulaient croire que c’était possible. En fait, c’est le régime lui même qui a tout déclenché en s’attaquant à des enfants. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
JSD : Comment voyez-vous l’avenir ?
Hala Alabdalla : Ce qui se passe dessine l’avenir. On ne reviendra pas en arrière. La révolution s’étend chaque jour, de nouvelles façons de résister, de communiquer, de s’organiser s’inventent. Même si cela demande de nombreux sacrifices, le peuple piétiné, c’est fini !
JSD : Dans toutes ces révolutions, en Syrie mais aussi en Tunisie, Égypte, Lybie, on a remarqué l’importance du rôle des femmes…
Hala Alabdalla : Ce n’est pas nouveau : en Syrie dans les années 1950, elles participaient beaucoup aux manifestations, auparavant dans les années 1930 contre l’occupation française. L’expression féminine a toujours existé, notamment littéraire, mais n’était pas connue. Ce qui est magnifique dans ces révolutions, c’est cette jeunesse mélangée, filles et garçons, égaux dans la lutte car égaux dans la terreur.
JSD : L’intégrisme religieux est-il une menace ?
Hala Alabdalla : Comme partout, les religieux sont opportunistes. Mais ils ne pourront pas confisquer la révolution. Les gens ne lâcheront pas ce qu’ils ont acquis. Si on a brisé une oppression, ce n’est pas pour se soumettre à une autre. S’ils acceptent la démocratie, la liberté, la dignité, nous les accepterons. Sinon, on ne se laissera pas faire. La résistance, notamment des femmes, ne cédera pas. Ce sera difficile, compliqué, mais nous ne plierons pas.
JSD : Quels contacts avez-vous avec votre pays ?
Hala Alabdalla : Nous nous servons bien sûr d’Internet et des réseaux sociaux pour communiquer, mais ces outils sont également utilisés par le pouvoir pour espionner et réprimer. C’est là aussi une bataille à gagner. Mais vous pensez bien que mon cœur et mes pensées sont chez moi. C’est comme une télépathie. On est tous là-bas !
JSD : Quels sont vos projets ?
Hala Alabdalla : Je travaille actuellement à un documentaire sur la caricature et la censure en Syrie et en Égypte qui sera prêt au printemps. Le propos a changé avec le temps : il y aura un avant et un après la révolution. J’en suis au montage. Son titre provisoire est Comme si nous attrapions un cobra, en hommage à Ali Farzat, dessinateur de presse syrien à qui on a brisé les mains en août dernier…
Benoît Lagarrigue
Rencontre avec Hala Alabdalla samedi 4 février à 16 h 30 dans le cadre de Révolutions du festival Est-ce ainsi… à l’Écran (place du Caquet).
Site du festival :http://www.lecranstdenis.org/revolutions/