Hamid Sulaiman : « La France, c’était le pays de la BD » (7/10) #Syrie5ans – par Juliette Harau
Si ce n’est son accent, qui arrondit les « u », Hamid Sulaiman a tout du Parisien, assis dans le coin d’une terrasse chauffée, son chapeau posé sur la table, à côté d’une bière blonde. Cet artiste syrien de 30 ans, arrivé en France en 2012, sourit comme il respire et jongle entre ses projets d’exposition, de théâtre et d’édition. A partir du 16 mars, il présentera son premier roman graphique au Salon du livre de Paris : Freedom Hospital raconte l’histoire d’un hôpital clandestin, installé quelque part au milieu du chaos syrien.
Hamid Sulaiman a fui la répression du régime de Bachar Al-Assad en 2011, mais bien avant que la tempête ne se lève, il se savait déjà promis à l’exil. Architecte des beaux quartiers de Damas, côté pile, dessinateur underground côté face, cet objecteur de conscience attendait comme une fatalité le moment d’émigrer pour échapper au service militaire.
« On t’y traite comme une merde », lâche-t-il d’une voix calme, en s’appuyant sur la quinzaine de jours d’appel à laquelle il était contraint, chaque été, lorsqu’il était étudiant. Son départ était en suspens : « Il était déjà en exil dans son propre pays, estime sa femme, Aurélie Ruby, une artiste qu’il a rencontrée en France. Au sein de sa famille, il vivait dans une bulle de libre-pensée. »
La révolution a précipité son déracinement, mais d’abord son monde. « Quand j’y repense, c’est une des plus belles périodes de ma vie », raconte-t-il. Hamid se souvient des premiers signes de changements, des flottements subtils dans un système totalitaire où tout le monde avait appris la méfiance : « Au début des printemps arabes, les gens en Syrie ont commencé à faire des remarques, des blagues. Bien sûr, personne ne relevait les allusions et moi non plus. Jusque-là, je n’avais jamais parlé politique, même avec mes amis les plus proches. » Puis l’espoir s’est installé dans les yeux des rêveurs, en même temps qu’ont émergé les prémices d’élans politiques.
Stratégies d’agent secret
« C’est la première fois que je voyais des mouvements collectifs dans mon pays. La première fois aussi qu’on pouvait expérimenter la liberté. » Hamid a répondu présent dès le premier appel à manifester, le 15 mars 2011, et s’est joint aux nombreuses mobilisations qui ont suivi. La police chargeait inévitablement ces rassemblements et au moment de se disperser, Hamid changeait d’apparence : il attachait ses cheveux, qu’il porte longs et hirsutes, chaussait ses lunettes et se glissait dans une autre veste en espérant passer inaperçu. Ces stratégies d’agent secret improvisé ne l’empêcheront pas, pourtant, d’être arrêté, questionné et menacé.
Après sa libération de prison, Hamid Sulaiman s’est rendu en Jordanie en taxi, puis en Egypte, avec sa mère, une avocate proche du Conseil national syrien. Mais Le Caire, secouée par sa propre révolution, n’était pas propice pour commencer une nouvelle vie. En juin 2012, le fils et la mère ont obtenu un visa pour l’Allemagne, où celle-ci s’est installée depuis. Mais, pour l’auteur de bandes dessinées en devenir, la route ne pouvait pas s’arrêter là : « La France c’était le pays de la BD. » Et Paris, une des trois capitales de son art avec New York et Tokyo, lui apparaissait comme une évidence.
« Apprendre la langue, c’était aussi un moyen d’accéder aux bandes dessinées en français. Avant, je ne pouvais lire que les comics anglo-saxons. En arabe, il n’y a, pour ainsi dire, aucune œuvre. »
A son arrivée à Paris, ce n’est pas un réseau de connaissances syriennes que Hamid Sulaiman a mobilisé, mais des amis français, rencontrés à Damas du temps où il était encore possible pour les étudiants de venir y apprendre l’arabe. Ils lui ont permis de trouver des solutions d’hébergement « alternatives ».
Dans les premiers temps, Hamid Sulaiman a ainsi habité dans une caravane près de l’aéroport d’Orly, tout en écumant les galeries pour proposer ses œuvres. Les professionnels qu’il a rencontrés lui ont enseigné la patience, les refus et un fonctionnement plus protocolaire qu’au Moyen-Orient, raconte-t-il.
« Les réfugiés sont juste des gens normaux »
Plus tard, vivant au-dessus d’un théâtre, dans un studio d’artiste vacant, le dessinateur a rencontré Aurélie Ruby, metteuse en scène. Ils se sont mariés en février 2014 dans le 19e arrondissement de Paris. Ensemble, ils ont monté la pièce Winter Guest, dans laquelle de jeunes réfugiés syriens racontent leur parcours d’exil.
« On entend beaucoup parler de la guerre, de l’EI [l’organisation Etat islamique], des bateaux et des camps de migrants… Mais il y a aussi certains réfugiés qui sont en France et rêvent de finir leurs études et de construire leur vie. Ce sont juste des gens normaux. »
Lui-même espère « être traité comme un artiste de 30 ans, pas plus que ça », même si la guerre continue inévitablement de marquer son travail. « Je ne suis pas l’ambassadeur de ce qu’il se passe en Syrie. Je suis juste un artiste qui se trouvait là-bas. »
Freedom hospital, écrit dans son petit atelier du nord de Paris, est une fiction inspirée de son expérience et de celle de ses proches. On y lit la propagande, l’espoir, mais aussi que « vivre en guerre ce n’est pas souffrir tous les jours. D’une certaine façon, la vie continue, tu cherches à t’amuser, à vivre… »
En exil aussi, « on est parfois obligé de créer de la distance », estime Hamid Sulaiman. C’est plus facile pour lui, dont la famille rapprochée a quitté le pays. Mais il avoue être souvent rattrapé par « la photo d’une roquette tombée sur mon université, dans une rue où je passais souvent » ou par les nouvelles d’un ami.
Avec les attentats qui ont frappé la capitale française en 2015, visant notamment les dessinateurs de Charlie Hebdo, le néo-Parisien s’est vu rattrapé par la violence qu’il voulait quitter : « Je suis né avec l’état d’urgence et la méfiance. Puis je suis arrivé en France, j’ai arrêté de regarder par-dessus mon épaule dans la rue… et ça revient. »
En l’espace de cinq ans, sa révolution s’est transformée en guerre civile, puis en « guerre mondiale ». « Je savais que la démocratie était un processus long, concède l’artiste, mais je n’imaginais pas qu’on entrerait dans cette rivière de sang. »