Hommage à Wladimir Glassman par Ignace Dalle
Hommage à Wladimir Glassman
27/09/2015 – par Ignace Dalle pour Souria Houria
C’est en travaillant sur la Syrie pour mon livre « La V ème République et le monde arabe » que j’ai fait la connaissance de Wladimir, il y a deux ans et demi environ. Avant de le rencontrer, J’avais lu un certain nombre de papiers sur la Syrie qu’il publiait sous le pseudonyme d’Ignace Leverrier et j’avais été impressionné à la fois par sa connaissance approfondie de la société syrienne et ses analyses. Puis, au fil du temps, l’idée nous est venue de proposer à mon éditeur Fayard un livre sur la Syrie. Il s’occuperait de la Syrie et des acteurs régionaux et je m’occuperai des acteurs internationaux.
Pour revenir à notre première rencontre et aux relations franco-syriennes, Wladimir m’a parlé de Jacques Chirac que Bachar a profondément déçu. On ignore généralement en France que deux hauts fonctionnaires Jacques Fournier et Sophie Bechter ont passé plusieurs mois pour préparer une réforme de la fonction publique et de la justice. Bachar n’en a retenu que quelques miettes et les deux rapports ont été mis au placard. Le rapport sur la justice n’a même pas été traduit en arabe. La nomenklatura était opposée à ces réformes et Farouk al-Chareh déplorait que la Syrie laisse la France « regarder sous ses tapis » . Dans ses mémoires Chirac dit que en mai 2001, il ne reste déjà plus rien de l’espoir d’ouverture et que Bachar est déjà enfermé dans son système de pouvoir et préoccupé de ses seuls intérets personnels familiaux et communautaires.
Wladimir m’a aussi expliqué que la détérioration des relations entre la France et la Syrie ne datait pas de l’assassinat de Rafiq HARIRI mais avait commencé avant, à l’occasion de la guerre en Irak de 2003. La France et la Syrie, même si elles avaient travaillé la main dans la main au Conseil de sécurité pour empecher les Américains d’avoir un blanc seing de l’ONU ont aussitôt après la victoire américaine divergé. Le régime syrien a eu peur d’être le suivant sur la liste des néoconservateurs et ont décidé de tout faire pour pourrir la vie des forces américaines en Irak. Les Français qui avaient sans doute beaucoup à se faire pardonner pensaient qu’il valait mieux que les Etats-Unis gagnent aussi la paix. Pour Wladimir, ce moment de l’histoire syrienne où le régime a libéré des centaines d’islamistes pour les envoyer en Irak préfigurait ce qu’ils allaient faire une petite dizaine d’années plus tard en libérant à nouveau plus d’un millier de jihadistes pour servir d’épouvantail.
La fin de l’ère Chirac avec l’assassinat de son ami Hariri considéré par les Syriens comme responsable de la résolution 1559 puis les entraves apportées aux mesures d’assainissement économique réclamées au gouvernement libanais lors du sommet de Paris II se passe mal.
Arrive donc Nicolas Sarkozy. C’est peu dire, écrit Wladimir dans une longue analyse publiée dans Afrique du Nord, Moyen Orient, que la ligne aussitôt adoptée à l’égard de Damas par le président Nicolas SARKOZY a constitué, pour les Syriens, une « divine surprise ». Certes, ils avaient la conviction que rien ne pouvait leur arriver de plus fâcheux que ce qu’ils avaient connu durant les dernières années du second mandat de Jacques CHIRAC. Mais ils ne s’attendaient pas à une telle volte-face de la part de son successeur, issu de la même famille politique.
Légaliste, Wladimir évoque les raisons guidant les choix de Sarkozy qui ne se limitent pas à sa volonté de se démarquer des choix de son prédécesseur mais aussi son ambition de permettre à la France de récupérer dans la région des positions politiques et une influence diplomatique perdues, sans oublier, dit-il, le désir de répondre favorablement aux suggestions de l’émir du Qatar, qui s’était montré très coopératif lors de la libération des infirmières bulgares retenues en Libye. Wladimir reconnait aussi à Sarkozy d’avoir permis l’élection de Michel Sleiman et l’ouverture des ambassades de Syrie etdu Liban à Beyrouth et Damas. Ceci grâce à une invitation à siéger le 14 juillet dans la tribune présidentielle.
Wladimir reproche cependant à Sarkozy, qui ne connaissait pas bien le monde arabe, d’avoir té trop vite en besogne. Il est entendu que les affirmations de la Syrie selon lesquelles la Syrie « n’intervient plus » dans les affaires libanaises depuis le retrait de son Armée du Liban n’engagent que ceux qui veulent bien les croire. Le retrait de ses militaires ne lui a fait perdre ni ses agents, ni ses alliés, ni ses relais. Sarkozy n’a donc pas compris la politique systématique d’ébranlement et donc d’affaiblissement de l’édifice étatique libanais que la Syrie a menée visant à modifier les résultats acquis dans les urnes au mois de juin 2009. Il a eu le tort de faire confiance à un régime dont les inquiétudes pour sa propre survie et le fait de n’avoir jamais de comptes à rendre à quiconque dans son propre pays, justifient le recours à des comportements en complet décalage avec le discours.
Respectueux des institutions françaises, Wladimir pouvait cependant se montrer critique quand les représentants de la France commettaient des impairs. Il avait trouvé plus que maladroit le fait que Eric Chevallier, 24 heures après son arrivée reçoive à la résidence et non à l’ambassade Rami Makhlout et, surtout, accepte d’aller se promener dans le souk Hamidiyeh t en sa compagnie. Pourquoi se compromettre publiquement dès son arrivée avec l’un des hommes les plus détestés du pays ? Pourquoi aussi défendre le régime devant la presse française au cours des premiers mois ? Il reconnaissait toutefois que sa tache n’était pas facile.
Sur son blog qu’il alimentait grâce à un réseau étendu de correspondants, grâce à la lecture attentive de la presse arabe et internationale et grâce aussi à plusieurs séjours effectués à la frontière turco-syrienne pour y retrouver des amis, il a fourni pendant 4 ans des informations précises étayées d’analyses pertinentes. L’Elysée et le Quai d’Orsay le consultaient régulièrement et je ne l’ai pas entendu critiquer le gouvernement français. Il regrettait cependant l’extrême modestie de l’aide française aux rebelles non jihadistes qui, à ses yeux, a accéléré le développement de la mouvance jihadiste. Quand je lui disais qu’on avait l’impression que l’ALS avait pratiquement disparu, il la défendait disant qu’elle avait un rôle important dans le sud du pays. Ce qui est d’ailleurs toujours exact.
Il était très sévère avec les Iraniens et leurs provocations à caractère religieux. Il jugeait les milices chiites aussi cruelles que les jihadistes. En revanche, il était indulgent pour la Turquie qui, selon lui, a fait beaucoup pour les réfugiés et qui est restée longtemps populaire chez les rebelles.
Il y avait beaucoup de sujets qui le préoccupaient. Dans les dernières semaines, il m’a demandé d’écrire quelques pages sur les Palestiniens de Syrie, victimes de la double peine puisque interdits de sortie. Le peu de générosité de la France – mais cela se passait avant l’arrivée massive en Europe de réfugiés – qui n’avait alors délivré l’asile politique qu’à 3000 personnes l’inquiétait.
Parmi les innombrables recherches qu’il a effectuées, il y a une généalogie de la famille al-Assad avec plusieurs centaines de noms. Pour chacun de ses membres, il y a une petite note indiquant la fonction occupée, les faveurs ou les passedroits dont il a bénérficié, les abus commis et les réactions. On découvre à la lecture de ce travail à quel point le clan Assad a mis le pays en coupe réglée. Médecin. Il s’est marié à Damas, en 2008. La noce a suscité de nombreuses critiques, le lieu choisi et autorisé pour cette manifestation, le Palais Azem, appartenant au patrimoine de tous les Syriens et pouvant souffrir de ce genre de cérémonies auxquelles il n’est évidemment ni destiné, ni adapté.
Dans un mail récupéré des ordinateurs de la Présidence, Asma AL AKHRAS transmet à son mari une demande de libération adressée par sa « sœur Sara »
J’ignore comment il aurait réagi aux premières frappes françaises sur des cibles jihadistes en Syrie. En revanche, dans notre livre figure un passage dont je vous lis quelques lignes : Ce qui choque profondément de nombreux Syriens depuis cette époque et dont les Occidentaux n’ont malheureusement pas conscience, c’est que l’aviation « loyaliste » continue ses bombardements sur le territoire syrien, parfois à proximité des zones frappées par la coalition. Bachar al-Assad ne donne évidemment pas pour mission à ses appareils de bombarder, eux aussi, les positions, les colonnes ou les rassemblements de l’Etat islamique, qui n’a jamais été son véritable ennemi. Il laisse ce travail aux forces de la coalition qui prétendent s’en charger. Il ordonne en revanche à ses pilotes de poursuivre leurs agressions, à coups de barils de TNT, de gaz au chlore, de bombes à fragmentation, de bombes aérosols ou de bombes à sous-munitions, sur leurs cibles habituelles : les villes et les villages des régions « libérées ». Leur population, la chose est connue, n’est composée que de « terroristes ». Les forces coalisées ne réagissant pas, ne le mettant même pas en garde et ne cherchant surtout pas à prévenir ses interventions, aussi meurtrières soient-elles, il poursuit son manège.