Joumblatt à « L’OLJ » : La tutelle syrienne est de retour
Le chef du Rassemblement démocratique, Walid Joumblatt, a multiplié hier les mises en garde contre un retour à la tutelle syrienne sur le Liban, agrémentée cette fois d’une tutelle iranienne et d’un poids pesant de Moscou.
Dans un entretien à la chaîne Sky News, M. Joumblatt a ainsi fait état d’ « un retour à l’hégémonie syrienne directe sur le Liban, sans retour des forces armées syriennes », dans le but de « faire plier le pays ».
« Le Liban deviendrait alors une province de la nouvelle « Syrie utile » que l’axe syro-iranien aspire à édifier, et qui se prolongerait de Deraa à Tartous et Lattaquié, et engloberait le Liban », a poursuivi le chef du Parti socialiste progressiste. « L’Iran et la Syrie améliorent leurs positions sur le terrain en élargissant leur domination de Deraa à Tartous en passant par Homs et la montagne turkmène. Malheureusement, l’intervention russe a donné un coup de fouet à cette expansion du régime syrien aux dépens des ambitions du peuple syrien. Plus leur situation se renforce sur le terrain, plus les conditions politiques, sécuritaires et peut-être même économiques deviennent sévères pour le Liban », a-t-il noté.
« L’ours russe se comporte en vertu de ses intérêts et n’a cure des positions internationales », a ajouté Walid Joumblatt. « La Russie a avalé la Crimée et dépecé l’Ukraine. Elle est maintenant au Moyen-Orient où elle tente d’ancrer une « Syrie utile » sur le terrain, pour consolider les intérêts stratégiques russes dans le port de Tartous et à Lattaquié, surtout après les propos concernant la découverte de nouveaux gisements gaziers et pétroliers en mer », a-t-il précisé. Et de souligner : « Poutine œuvre sur le terrain pour créer un axe très important, s’étendant de Tartous et de Lattaquié à Téhéran via Bagdad. »
La relaxe de Samaha, « l’événement annonciateur »
Contacté par L’Orient-Le Jour, M. Joumblatt, qui se trouve actuellement à Londres, n’a pas épargné les États-Unis dans sa lecture de la conjoncture régionale, estimant que « Washington a livré sans scrupules la Syrie à l’Iran et aux Russes, et laisse aujourd’hui le pays se faire dépecer devant les yeux du monde entier ». Pour le chef du Rassemblement démocratique, il y a donc une complicité manifeste entre Moscou et Washington sur le sort qui est réservé aujourd’hui à la Syrie et au peuple syrien, le tout sous la houlette de l’émissaire onusien Staffan de Mistura. Inutile de dire que Walid Joumblatt a des mots très peu amènes vis-à-vis du jeu trouble auquel se livre M. de Mistura.
Une preuve de cette collusion russo-américaine à sacrifier la Syrie sur l’autel de leurs convoitises serait, selon lui, la situation à Hassaké, dont 30 % est tenue par Daech, et où Moscou et Washington œuvrent à établir chacun une base militaire de part et d’autre de la province.
La conséquence du jeu américain sur le Liban ne fait aucun doute. « La tutelle syrienne, ou plutôt syro-iranienne avec tout le poids des Russes, est de retour. Elle est déjà là. La relaxe de Michel Samaha en est l’événement annonciateur », souligne-t-il à L’OLJ.
Un autre élément qui prouve que l’hégémonie syrienne est de retour, selon lui, est le type de langage utilisé par certains politiques proches du régime Assad à l’encontre de Sleiman Frangié, accusé par l’axe Damas-Téhéran d’« avoir osé s’entendre avec Saad Hariri ». M. Joumblatt ne cache pas ses craintes que le Liban soit désormais lui aussi laissé « aux mains des dépeceurs » de service, russo-iraniens, et que la première victime en soit la présidence de la République, le vide étant appelé à se prolonger indéfiniment.
« Sur un tapis persan »
M. Joumblatt a d’ailleurs exprimé sur son compte Twitter, hier, cette angoisse que la présidence de la République soit désormais entièrement l’otage de l’axe syro-iranien et de la nouvelle hégémonie en devenir. « Il semble que notre futur président va venir sur un tapis persan. Je doute que les députés libanais puissent décider sur le plan de la présidentielle. Nous sommes comme des canards, assis passivement, et c’est quelqu’un d’autre qui décide pour nous. Tout semble particulièrement obscur, et les forces des ténèbres – pardon, les forces lumineuses – ne semblent pas être pressées de s’occuper de nous à l’heure actuelle », a-t-il indiqué.
Et d’ajouter, d’un ton ironique : « Permettez-nous de prédire naïvement l’avenir de notre cher président et de poser de nombreuses questions. Aladdin est-il prêt à nous répondre ? Cher Aladdin, que pensez-vous de ce qui a été proposé ? Que vous dit votre lampe magique ? Quel genre de tapis faut-il adopter et en provenance d’où ? Doit-il venir du bazar de mon ami Ali Nazzal ? Ou bien de chez Mohammad Maktabi, ou plutôt, pardonnez mon erreur, Youssef Maktabi ? Je me suis perdu, parce qu’Aladdin m’a dit que le tapis est la propriété de Bachir Maktabi, qui est aussi un ami. Je laisse à Aladdin le soin de régler le problème, dans la mesure où les présidents potentiels sont nombreux. Aladdin affirme qu’il fera une série de concertations parce qu’il en a marre des candidats qui aspirent à accéder à la présidence. »
« Cela suffit pour aujourd’hui. Peut-être demain Aladdin nous fera-t-il part des intentions du guide suprême, s’il le lui permet naturellement », a conclu Walid Joumblatt.
L’ancien ministre Wi’am Wahhab a aussitôt répondu, toujours sur Twitter, à M. Joumblatt qu’il valait mieux que le futur président « vienne sur un tapis persan plutôt qu’un chameau saoudien ».