Khaled Khoja, une figure de l’opposition syrienne : L’Occident est responsable du maintien d’Assad au pouvoir ; les États-Unis ont permis à la Russie de devenir un acteur essentiel dans la crise
Khaled Khoja, président de la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution jusqu’en mars 2016, a donné une interview au quotidien saoudien Al-Sharq Al-Awsat, basé à Londres, le 17 avril 2016, où il a fustige la communauté internationale, et particulièrement les États-Unis. Selon lui, les États-Unis, n’ayant jamais désiré de changement de régime en Syrie, n’ont pas pris de position décisive contre Bachar Al-Assad, malgré ses nombreux crimes, ni soutenu de manière significative l’opposition syrienne.
D’après l’auteur, les Américains ont maifesté une certaine apathie, permettant à la Russie de combler le vide – en servant ses propres intérêts. Et d’ajouter que l’objectif de l’aide militaire américaine aux Kurdes était de leur créer un canton, et que cette politique de cantons mènerait à la fragmentation de la Syrie. Il affirme que pour le Haut Comité des négociations syrien, la première étape consiste à mettre en place la transition, et qu’ensuite seulement il sera possible d’envisager une nouvelle constitution, des élections, et de traiter enfin d’autres sujets.
Notons que l’interview a été donnée avant l’annonce du 19 avril par le chef du Haut Comité des négociations syrien, Riyad Hijab, que sa délégation suspendait sa participation aux pourparlers de Genève.
Nous insistons sur la necessité d’une transition sérieuse du pouvoir et de toutes les compétences
Khoja a commencé par mentionner les attentes du Haut Comité syrien des négociations du round actuel des pourparlers de Genève : ”Nous sommes ici pour nous concentrer sur la formation d’un organe de gouvernement pour la phase transitoire. L’envoyé spécial des Etats-Unis Staffan de Mistura poursuit ses efforts incessants pour entamer des discussions sur la phase politique transitoire, qui seront fondées sur la création d’un « organe de gouvernement », comme indiqué dans le communiqué de Genève, la Résolution 2218 du Conseil de Sécurité des Nations unies et les autres résolutions. Nous avons été habilités par les forces d’opposition à discuter de la réalisation de ces objectifs et ne pouvons pas nous en écarter. Les négociations actuelles devraient reprendre là où celles de Genève II se sont interrompues [en février 2014], sous la supervision de [l’ancien envoyé spécial des NU en Syrie] Lakhbar Brahimi.
Nous devons commencer par former cet organe de gouvernement et entamer ensuite la discussion sur les questions de la Constitution, des élections et sur les autres questions qui entrent dans la compétence de l’organe de gouvernement. Naturellement, nous avons des idées très claires sur toutes ces questions, que nous divulguerons au moment opportun. Je souhaite préciser que nous rejetons les lapsus qui ont remplacé la phrase ‘organe de gouvernement de transition’ par ‘régime de transition’ ou ‘gouvernement transitoire’, et adhérons à ‘l’organe de gouvernement de phase transitoire’ et tout ce qu’il implique – ce qui signifie une transition sérieuse du pouvoir et de toutes les compétences”.
L’aide internationale et américaine à l’opposition est faible
Selon Khoja, “l’aide internationale, et en particulier américaine, à l’opposition syrienne, est faible. Ce qui est triste, c’est que les positions véritables [des Etats-Unis et de la communauté internationale] concernant Assad sont faibles et vagues, en dépit de toutes les preuves qui font de Bashar Al-Assad un ‘criminel de guerre’ ,et malgré les nombreuses déclarations américaines qui le tiennent pour responsable des tueries et massacres en cours. Le manque de volonté politique internationale de pousser à la mise en place d’une phase de transition politique en Syrie a laissé à Assad et à ceux qui le soutiennent, qu’ils soient Iraniens ou russes, un espace de manoeuvre, lui permettant [à Assad] de continuer à diriger le régime et de rester un facteur créateur de chaos dans la région, [un facteur] qui exacerbe la crise des réfugiés et l’emploie comme une carte pour faire pression sur les pays voisins et sur l’Europe, et qui exporte l’EI et le terrorisme…”
L’apathie américaine est un facteur essentiel qui a permis à la Russie de devenir un acteur central
Khoja a encore déclaré : ”Il y a clairement une apathie américaine concernant le Moyen-Orient, qui ouvre la porte à la Russie pour combler le vide laissé par les Américains… Lorsque nous parlons de l’extermination massive des Syriens, de leur expulsion, de l’emploi d’armes chimiques contre eux, des preuves des crimes commis par le régime dans les centres de détention, des disparitions forcées, des assassinats planifiés et des lignes rouges qui sont devenues des lignes vertes – tout cela entraîne les observateurs à perdre foi dans la position américaine… Si les Américains n’avaient pas créé ce vide, nous ne serions pas là où nous en sommes, et la Russie ne serait pas devenue l’acteur principal de cette crise, qui tient les rênes de toute initiative…
En termes politiques, je pense que la position américaine n’a pas beaucoup changé depuis le début de la révolution syrienne… [Depuis le début] il n’y a pas eu de soutien véritable des Américains au changement… L’aide militaire que nous avons reçue [des Américains] n’est pas comparable à celle qu’a reçu le Parti de l’Union démocratique kurde et les Unités de protection du peuple kurde. Nous pensons que cette aide aux Kurdes était destinée à créer un nouveau ‘canton’ kurde et à engendrer une nouvelle réalité, comme une conclusion courue d’avance. L’apathie américaine a transformé la Syrie en une série de ‘cantons’. Le ‘canton du Sud’, qui est séparé du ‘Canton du Nord’, le ‘canton kurde’, et le ‘canton alaouite’. Nous ne pouvons pas éluder la possibilité que, dans le cadre du processus politique, on assister au renforcement du [phénomène] des cantons, et nous ne l’accepterons absolument pas…”
La Syrie ne peut pas rester un groupe de cantons à moyen et long terme
Khoja a affirmé que durant le second round de négociations, on avait évoqué une solution fédérale qui était “vendue par les Américains, les Russes et l’envoyé spécial des NU, de Mistura, qui a parlé ouvertement et explicitement lors d’une conférence de presse du sujet de la confédération. Sauf qu’il n’a pas évoqué cette question avec nous, mais seulement avec les autres parties. Les Russes n’ont pas caché leur soutien à la solution fédérale, et à mon avis, il y a eu une tentative sérieuse de créer des faits sur le terrain en Syrie pour renforcer la solution des ‘cantons’.
Toute solution internationale, indépendamment des parties qui la promeuvent, ne peut imposer une situation que le peuple syrien n’a pas acceptée. Il est possible que la situation actuelle se perpétue dans un avenir proche, mais pas à moyen et long terme. La preuve en est que, dans les années 1920, les Français avaient tenté d’étabir quatre mini-Etats en Syrie, mais ils n’ont durée que quelques années”.