La conspiration du Pipelinistan : voici pourquoi la guerre en Syrie n’a jamais rien eu à voir, ni de près ni de loin, avec le gaz naturel ! Par Paul Cochrane

Article  •  Publié sur Souria Houria le 27 juillet 2017

Article publié sur Souria Houria le 4 juin 2017 – traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier

Les hypothèses à base de tuyaux et autres pipelines ne sont pas à la hauteur des réalités des enjeux du transport de l’énergie au travers du Moyen-Orient au 21ème siècle.

Après six années d’un conflit qui a entraîné la mort d’au minimum 400 000 personnes, l’idée est extrêmement répandue selon laquelle l’effusion de sang en Syrie ne serait qu’une guerre, une de plus, autour des ressources énergétiques du Moyen-Orient.

Ce massacre, d’après cette théorie ô combien fumeuse, ne serait qu’une guerre par procuration au sujet de deux projets de pipelines en devenir qui traverseraient la Syrie et se prolongeraient vers l’Europe, via la Turquie.

Ni l’un ni l’autre de ces deux pipelines n’ont vu le jour sur une planche à dessin et il n’en n’a à aucun moment été sérieusement question. Mais qu’importe : cela n’a nullement porté atteinte à la popularité de cette vue de l’esprit selon laquelle le gaz serait « la raison principale du conflit syrien ».

Un Syrien tentant de raffiner du pétrole brut avec « les moyens du bord », dans la région de Raqqa, en avril 2013 (AFP).

Le premier de ces deux pipelines serait soi-disant soutenu et financé par les États-Unis. Il irait du Qatar jusqu’en Syrie, en traversant l’Arabie Saoudite et la Jordanie. Le deuxième est un projet de pipeline supposément soutenu par la Russie, qui irait quant à lui de l’Iran jusqu’à la Syrie, via l’Irak.

Le président syrien Bachar al-Assad, est-il allégué, aurait rejeté le projet de pipeline qatari en 2009 à la demande expresse de Moscou afin d’assurer celui-ci que la dépendance européenne vis-à-vis du gaz naturel russe ne serait pas affaiblie.

Résultat, prétendent certains commentateurs : les États-Unis et leurs alliés en Europe et dans le Golfe arabo-persique, dont le Qatar, auraient décidé d’orchestrer une rébellion contre Assad afin de s’assurer que leurs rêves de pipelines deviendraient une réalité, de préférence à l’option iranienne. La Russie, à son tour, a soutenu la Syrie afin de s’assurer que ses propres intérêts en matière d’énergie prévaudraient (l’Iran est aussi un allié du régime aujourd’hui au pouvoir à Damas).

Ces allégations avaient été reprises par divers médias : ainsi, en 2012, la chaîne télévisée qatarie Al-Jazeera fut la première à lancer le concept d’une « Guerre pour le Pipelinistan ».

Même la publication de l’establishment américain Foreign Affairs et le quotidien britannique The Guardian ont repris cette théorie en 2016, dans un article écrit par Robert Kennedy Jr, qui a été démoli, entre autres, par Jill Stein, du Parti des Verts, ancienne candidate à la présidence américaine.


Voici ce à quoi pourraient ressembler différents projets de pipelines traversant la Syrie.

L’idée en a été reprise à nouveau après le bombardement américain contre une base aérienne syrienne au mois d’avril. C’était là, a-t-il été allégué, une nouvelle « preuve » du désir de Washington de virer Assad afin de permettre à l’Europe de diversifier ses fournitures de gaz naturel et de se détacher de la Russie.

Mais alors même que les États-Unis oeuvraient subrepticement, avec leurs alliés du Golfe, contre le régime Assad, le contrôle des ressources énergétiques et des réseaux de pipelines n’était absolument pas leur priorité. Si tel avait été le cas, cela aurait d’ailleurs été une priorité très subalterne dans le cadre d’un vaste projet de renversement du régime.

Pourquoi ? Tout d’abord, parce que le timing n’était pas le bon. Les actions clandestines du gouvernement américain contre le régime syrien avait débuté en 2005, bien avant la soi-disant offre de pipeline faite par le Qatar à la Syrie en 2009.

“Nous constatons l’existence d’une action de la part du gouvernement américain contre le régime Assad bien avant que la notion même de ce pipeline ait vu le jour », a indiqué Justin Dargin, un spécialiste de l’énergie de l’Université d’Oxford.

De plus, ces hypothèses fumeuses sur des pipelines ne correspondent en rien à la réalité en matière de transport d’énergie à travers le Moyen-Orient et elles ignorent totalement les obstacles auxquels les projets de pipeline ont à faire face, beaucoup d’entre eux n’aboutissant jamais. Même le Pipeline du Gaz Arabe, dont la seconde phase a débuté en 2005, s’est enlisé dans de multiples problèmes.

Robin Yassin-Kassab, qui est l’auteur de l’ouvrage « Un pays en flammes : les Syriens dans la Révolution et dans la guerre » (Burning Country: Syrians in Revolution and War) dit que la théorie du Pipelinistan ignore totalement la façon dont le conflit en Syrie a débuté, ainsi que les premiers mois de la Révolution syrienne.

« Comme toutes les théories du complot, ces billevesées se repaissent de l’absence de tout contenu et de toute connaissance approfondie du pays », dit-il.

 

1 – La demande intérieure

En 2009, la Syrie a annoncé une politique (énergétique) qui n’a suscité qu’une attention minime, à l’époque, même à l’intérieur de ses frontières. Appelée « Stratégie des quatre mers », cette politique visait à faire de la Syrie un hub de transit pour le gaz naturel entre les pays du Golfe, la Mer Noire, le Caucase et la Méditerranée, au prix de l’extension du réseau des quelque 6 300 kilomètres de gazoducs et de pipelines qui zèbrent le pays et en utilisant le pipeline euro-arabe de l’Orient arabe (Mashreq), l’AGP (Euro-Arab Mashreq Gaz Pipeline).

Cet AGP n’est pas un simple figurant dans la grande fresque romanesque du Pipelinistan,  il donne une idée des problèmes auxquels l’on doit faire face lorsqu’il s’agit de projeter la construction de pipelines dans cette région troublée du monde.

Après être resté près de vingt ans sur la planche à dessiner, la construction de l’AGP débuta en 2003. Son coût projeté était de 1,2 milliard de dollars et il aurait dû s’étendre sur 1 200 kilomètres, depuis l’Egypte vers la Jordanie et la Syrie, avant d’atteindre la Turquie. Là, il aurait dû rejoindre le pipeline en projet Nabucco, dont il était prévu qu’il acheminât du gaz vers l’Europe.

Pipeline en flammes à la suite d’un attentat perpétré dans le nord du Sinaï en février 2011 (AFP).

Un des éléments-clés du projet d’AGP était que l’Égypte aurait pompé du gaz en direction de la Syrie et de la Jordanie. La Syrie aurait utilisé le gaz égyptien, après quoi elle aurait alimenté le pipeline avec du gaz provenant de ses propres gisements situés dans le nord du pays, celui-ci étant par la suite exporté vers le nord.

Lorsque la guerre civile a éclaté en Syrie, en 2011, le dernier embranchement de l’AGP (s’étendant d’Alep à Kilis, en Turquie) était en cours de construction : il n’allait jamais être fini. Mais ce pipeline avait rencontré bien des problèmes, à tel point que le coût de sa construction était monté jusqu’à 1,5 million de dollars du kilomètre, avant même que le conflit syrien eut commencé.

Jim Deacons est un consultant écossais en matière d’énergie, il a travaillé au projet d’AGP en Syrie, notamment à la planification de la phase finale de ce projet.

« Lorsque j’ai quitté Damas, en 2010, la Jordanie n’alimentait pas suffisamment le gazoduc », dit-il. « Les Égyptiens étaient coincés : ils n’avaient pas suffisamment de gaz à exporter, bien qu’ils eurent signé des contrats à tort et à travers, si bien qu’ils étaient dans l’incapacité de remplir leurs obligations contractuelles ».

La production égyptienne chuta de 220 millions de pieds cubiques par jour en 2010 à seulement 80 millions en 2011. L’AGP a été fermé en 2012 à la suite d’attentats terroristes contre ce pipeline dans le Sinaï et un besoin croissant de gaz des Égyptiens pour leur consommation domestique, et il n’a jamais été remis en service.

Du fait d’un manque de gaz, l’AGP est devenu un “éléphant blanc”. « Effectivement, l’ensemble du projet consistait à exporter du gaz égyptien vers l’Europe », explique M. Deacons. « Mais en réalité, il n’allait jamais y avoir suffisamment de gaz pour que le projet devienne rentable et jouable ».

Le problème qui avait entraîné la fin de l’AGP allait se reproduire pour tous les projets de pipelines iraniens en direction de la Syrie, à savoir : le manque de gaz.

« Très longtemps, l’Iran a tenté de développer son champ gazier de Pars, dans le Sud du pays [sur le Golfe persique], explique M. Dargin, « mais il y a d’énormes obstacles, dont les moindres ne sont pas les obstacles intérieurs à l’Iran lui-même où plusieurs théories sont en compétition en matière de développement, notamment sur la question de savoir, entre plusieurs plans de développement économique, lequel doit se voir accorder la priorité. Une idée a tendance à prévaloir, celle de la nécessité d’utiliser le gaz iranien nationalement, les Iraniens ayant beaucoup de mal à satisfaire leurs propres besoins ».

De fait, l’Iran manquait cruellement de gaz, à un tel point que ce pays fut même contraint de conclure un accord d’approvisionnement en gaz avec Damas, en 2011.

Deacons explique : « La question se résume au fait que tandis que la Syrie discutait activement gaz avec l’Iran, Téhéran était obligé d’importer du gaz d’Azerbaïdjan pour pouvoir passer les mois d’hiver… »

« Voilà qui démolit la théorie de la mainmise sur le gaz de la belle manière. Que l’Iran ait voulu fournir du gaz à la Syrie, c’est totalement absurde, et je l’ai d’ailleurs dit au ministre syrien de l’Énergie, à l’époque ».

 

2 – La pièce de puzzle manquante

La viabilité du projet AGP au-delà de la Syrie dépendait aussi du pipeline Nabucco, un autre pipeline projeté qui aurait dû servir à diversifier les importations gazières des pays européens.

L’idée en avait été lancée en 2002 par un consortium de compagnies énergétiques européennes et turques. La réalisation de ce projet aurait coûté plus de 10 milliards de dollars. Il aurait permis de faire transiter quelque31 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an depuis une distance de près de 3 000 kilomètres, à partir de l’Asie Centrale, via la Turquie et jusqu’à la localité de Baumgarten, en Autriche. Mais en 2009 la construction du pipeline Nabucco n’avait toujours pas débuté, et le coût prévisionnel de sa construction avait explosé, passant à plus de 25 milliards de dollars.

 

Le projet Turkstream a été annulé après que la Turquie eut abattu un avion de guerre russe du type Sukhoï-24 (qui avait pénétré dans son espace aérien, ndt).

Huit ans plus tard, la construction du pipeline Nabucco n’a toujours pas avancé, en raison de son coût exorbitant et des tensions politiques qui l’entourent. M. Dargin explique : « Lors des conférences consacrées à l’énergie, on ramène toujours ce projet Nabucco. Mais c’est un peu comme l’Arlésienne ou « En attendant Godot » – c’est absolument grotesque ! »

Le pipeline Nabucco serait pourtant indispensable pour les deux autres projets de pipelines concurrents qui en auraient de toutes les manières besoin pour acheminer leur gaz vers l’Europe. Mais même lorsque la Russie était opposée au projet Nabucco et à l’idée d’un pipeline qatari, son opposition n’était pas un motif suffisant pour un conflit, explique M. Dargin. « Vous avez effectivement un mobile et une victime, mais il manque l’arme du crime. Il n’y a pas de pièce à conviction ».

De plus, la Russie a réussi à porter le coup fatal au projet Nabucco en annonçant, en 2007, son projet de pipeline South Stream, qui allait contourner carrément la Turquie en traversant la Mer Noire directement en direction de la Bulgarie, et au-delà, vers les autres pays européens.

Mais ce projet a été à son tour abandonné en 2014 en raison des tensions politiques entre la Russie et l’Union européenne.

C’est alors que Moscou a proposé, toujours en 2014,  son projet de gazoduc Turkstream, qui devait lui aussi traverser la Mer Noire, mais cette fois-ci en direction des côtes européennes de la Turquie. Ce projet a été annulé après qu’un avion de combat russe eut été abattu par la défense aérienne turque au mois de novembre 2015.

Même si ces deux projets ont été remis sur la table, en particulier le projet Turkstream, ni l’un ni l’autre ne permettrait d’acheminer du gaz iranien ou du gaz qatari au travers de la Turquie.

 

3 – Le Qatar n’a jamais fait aucune offre à Damas

Cette saga des pipelines, à partir de 2013, fait aussi souvent mention du fait que Damas aurait decline une soi-disant proposition qatarie de construction d’un pipeline en Syrie. Cette partie de l’histoire tourne autour de propos tenus par des diplomates jamais nommés par leurs noms reprises par une dépêche de l’Agence France-Presse au sujet d’une rencontre entre le président russe Vladimir Poutine et le prince saoudien Bandar bin Sultan.

L’Emir du Qatar de l’époque (aujourd’hui décédé), le Sheikh Hamad Ibn Khalifa al-Thani et la Première dame Sheikha Mozah Bing Nasser al-Misned accueillirent le président syrien Bachar al-Assad et son épouse Asma à l’aéroport de Doha, en janvier 2010.

La dépêche AFP en question dit : « En 2009, Assad a refusé de signer un accord avec le Qatar prévoyant la construction d’un pipeline transcontinental reliant les pays du Golfe à l’Europe via la Syrie afin de protéger les intérêts de son allié russe, qui est le principal fournisseur de gaz naturel des pays européens ».

Mais M. Dargin explique : « Il n’y a aucune source crédible qui montrerait que le Qatar aurait ne serait-ce que fait des approches en direction de la Syrie en 2009 et qu’il se serait heurté à une rebuffade du régime syrien. Je n’affirme pas que cela n’a jamais eu lieu, simplement, ce que je dis, c’est qu’il n’existe pas de preuve étayant cette thèse ».

Les experts syriens sont de l’avis de M. Dargin, ils mettent en exergue les liens économiques florissants entre Doha et Damas.

Yassin-Kassab dit : « C’est d’autant plus absurde que les relations entre le régime Assad et le Qatar sont restées excellentes jusqu’à l’été 2011. Assad et son épouse et le couple royal qatari ont toujours été présentés comme étant des amis personnels ».

Même si Assad a à plusieurs reprises critiqué le Qatar, à partir de l’automne 2011, au motif que ce pays aurait soutenu les « terroristes » censés opérer en Syrie, il n’a jamais affirmé publiquement que le soutien apporté par le Qatar aux rebelles syriens aurait été motivé par un quelconque projet de futur pipeline.

L’éditeur du site Syria Report, M. Jihad Yazigi, indique : « Un important aspect dont nous ne parlons jamais est le fait que le gouvernement syrien n’a jamais affirmé que les Qataris auraient participé au conflit pour une histoire de pipeline. Cela revient à dire qu’Assad n’en a jamais fait état ».

 

4 – La connexion Moscou-Téhéran

Et puis il y a aussi l’autre versant du puzzle Pipelinistan, le pipeline Iran-Syrie, également connu sous le nom de Pipeline Islamique.

Yazigi explique : « On a parlé de ce fameux Pipeline Islamique des années durant. Il y a eu des mémorandums d’accords sur des précontrats, mais jusqu’en juillet 2011, il n’y a jamais eu de signature formelle (entre la Syrie et l’Iran). Il serait absurde d’affirmer que cela aurait pu être une raison suffisante pour détruire carrément toute la Syrie ».

Le président iranien Hassan Rohani et son homologue russe Vladimir Poutine lors du Forum des Pays Exportateurs de Gaz (GECF) tenu à Téhéran en novembre 2015 (AFP).

Alors que ce projet était politiquement habile, il ignorait les réalités économiques en particulier dans le domaine de l’énergie. Tout d’abord, son coût était estimé à 10 milliards de dollars, mais la question de savoir qui honorerait la facture n’était pas claire, cela d’autant plus que Téhéran était déjà frappé – comme il continue à l’être aujourd’hui – par des sanctions économiques américaines et internationales, tout comme d’ailleurs l’est la Syrie depuis 2011. Et par ailleurs l’Iran n’a pas la capacité d’exporter d’importantes quantités de gaz. Les sanctions qui le frappent ont pour effet que l’Iran n’a pas accès à la technologie avancée américaine qui seule pourrait lui permettre d’exploiter le gaz du gisement South Parth limitrophe du Qatar.

L’idée que la Russie contraindrait Damas à opposer son véto à un pipeline qatari au profit d’un pipeline iranien ignore elle aussi une autre réalité, celle que Moscou et Téhéran sont des rivaux potentiels en matière énergétique.

« La compétition pour l’accès au gaz dans la région n’oppose pas le Qatar à l’Iran : elle oppose la Russie à l’Iran », indique M. Yazigi.

« Ceux qui détiennent la majorité du marché européen, ce sont les Russes, et ils veulent sécuriser leur position. Ce sont eux qui sont à craindre, pas les Iraniens ! »

En dépit de propos selon lesquels une guerre des pipelines permettrait à l’Europe de diversifier ses approvisionnements et de réduire sa dépendance vis-à-vis du gaz russe, les exportations de gaz russes vers l’Europe ont atteint un niveau record en janvier 2017.

En 2016, le trader Glencore et la  Qatar Investment Authority, le fond souverain qatari, ont acquis 19.5% des actions de Rosneft, la compagnie étatique russe, pour un montant de 11 milliards de dollars.

Résultat : le Qatar a réussi à accéder au marché européen, et ce, beaucoup plus facilement qu’aucun pipeline traversant la Syrie ne lui aurait permis de le faire.

 

5 – Un pipeline motivé par des raisons politiques

Le pipeline iranien devrait traverser l’Irak. Mis à part les problèmes posés par la construction d’une telle infrastructure dans une zone de guerre, un gazoduc destinée à transporter du gaz sur une distance aussi courte qu’entre l’Irak et la Syrie n’aurait pas été économiquement viable, même en 2009.

Deacons dit que les Irakiens étaient associés en tant qu’observateurs au projet GP et qu’il avait également discuté avec l’ambassadeur d’Irak d’un projet visant à acheminer du gaz en Syrie en traversant l’Euphrate.

Le site industriel de Laffan, photographié ici en octobre 2007, est un site clé du Qatar pour la production de gaz naturel liquéfié (GNL)(photo AFP).

« Mais tous cela a dû être abandonné pour des raisons politiques.  De plus, l’infrastructure irakienne avait été tellement mal entretenue et détruite que les Irakiens auraient été dans l’obligation de la reconstruire entièrement, et non de simplement la réparer.

« D’énormes investissements dans les infrastructures auraient été nécessaires, avant même d’importer des tuyaux de pipeline ».

De la même manière, la politique aurait impacté un quelconque projet qatari.

Dargin explique : « Un tel pipeline aurait dû traverser le territoire saoudien, ce qui aurait sans doute été un obstacle encore plus important qu’en Syrie, Riyadh ayant déjà bloqué et fait obstruction à nombre de propositions de construction de pipelines régionaux ».

De fait, l’obstruction saoudienne avait contraint des planificateurs, au milieu de la décennie 2000, à redessiner leurs projets de pipeline Dauphin destiné à acheminer du gaz depuis le Qatar aux Émirats Arabes Unis (les trois pays sont membres du Conseil de Coopération des pays du Golfe).

« L’Arabie saoudite a opposé nombre d’obstacles au passage du pipeline Dauphin au fond de la mer, car celui-ci aurait traversé ses frontières maritimes », indique M. Dargin, qui poursuit : « L’opposition saoudienne est la principale responsable du fait qu’il n’y a jamais eu de pipeline reliant le Qatar au Bahreïn ou encore au Koweït ».

De fait, l’opposition saoudienne au pipeline qatari a été tellement forte que Doha a changé de stratégie, optant carrément pour une usine de liquéfaction du gaz pour obtenir du GNL, en lieu et place de pipelines.

En conséquence, Doha est devenu le premier exportateur de GNL au cours des quinze années écoulées. Le Qatar a investi plus de 11 milliards de dollars dans l’achat d’une flotte de méthaniers : ceux-ci sont par définition indépendants des infrastructures fixes que sont des pipelines et ils peuvent acheminer du GNL partout. Les marchés gaziers les plus dynamiques sont ceux d’Asie, en particulier ceux du Japon, de la Chine, de la Corée du Sud et de l’Inde.

Le GNL est par ailleurs une option plus compétitive que l’acheminement de gaz par pipeline vers l’Europe, où la demande en gaz est stagnante et où les prévisions sont en récessions comparativement à l’Asie et au Moyen-Orient lui-même.

L’expert indépendant ès-énergie qatari Naser Tamimi : « Avec l’infrastructure existante, le Qatar n’a pas suffisamment de gaz à vendre à l’Europe via un pipeline, la majorité des contrats étant actuellement conclus avec l’Asie, et ce, à long terme, cependant que la demande intérieure en croissante, au Qatar ».

« Un pipeline doit être économiquement justifié et il doit assurer la couverture de la demande des acheteurs à long terme afin d’amortir le coût de sa construction ».

“Entretenir un pipeline et verser des royalties de transit aux pays traverses, dans un scenario extrêmement optimiste, coûterait entre 7 et 9 dollars de la BTU (British Thermal Unit) pour atteindre l’Europe. Le GNL est moins chef, son prix s’établit, même pour les scénarii les plus coûteux, à 5 dollars – 5.50 dollars de la BTU ».

Tous ces différents facteurs convergent pour rendre les suggestions de pipelines tant qataris qu’iraniens en Syrie pratiquement irréalisables.

Comme l’explique M. Tamimi : « Si la Syrie et l’Irak se stabilisaient et si les relations politiques entre l’Arabie saoudite et l’Irak s’amélioraient, alors là, oui, vous pourriez réfléchir à la construction d’un pipeline…  Mais en l’état actuel des choses, il s’agit plutôt de rêves en tube ».

Les opinions exprimées dans cet article sont de la responsabilité de leur auteur et elles ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Paul Cochrane est un journaliste free-lance basé à Beyrouth, où il vit depuis 2002.  Il couvre le Moyen-Orient et l’Asie Centrale pour des publications spécialisées, des magazines économiques et des quotidiens d’information. Il a contribué à plus de 70 publications, dont l’agence Reuters, Money Laudering Bulletin Accountancy Futures, Commercial Crime International, Petroleum Review et Jane’s. Formé en Grande-Bretagne et aux États-Unis, il a obtenu une maîtrise en études moyen-orientale à l’Université Américaine de Beyrouth.