La détresse des réfugiés syriens au Liban – par Laure Stephan

Article  •  Publié sur Souria Houria le 19 décembre 2011

Dans ce café de Tripoli, des jeunes éclatent derire à une table voisine. « Mazen » se retourne. Il semble surpris, coupé dans ses pensées. « Depuis des mois, nous ne rions plus, nous n’écoutons plus de musique. Comment pourrions-nous nous réjouir, alors que nos gens souffrent à l’intérieur ? »Mazen (tous les prénoms ont été changés), réfugié au Liban peu après l’éclatement en mars de la révolte en Syrie contre le régime de Bachar Al-Assad, est originaire de Homs, ville martyre de l’insurrection. Ce trentenaire n’a rien de sinistre. Unsourire éclaire souvent son visage. Mais les images que cet homme de terrain évoque avec colère occupent son esprit : celles des morts de la répression. Celles des blessés, dont il supervise le passage vers le Liban et la prise en charge par des secouristes à la frontière.

Mazen prête main-forte à un groupe d’une dizaine de militants syriens qui se sont organisés pour coordonner l’aide aux réfugiés dans le nord du Liban – entre 4 000 et 6 000 – et continuer, ainsi, de servir la révolte. S’ils sont reçus sur le territoire libanais souvent rejoint clandestinement, le statut des réfugiés demeure précaire. Pour bénéficier d’aides officielles (Nations unies, gouvernement libanais), il leur faut s’enregistrer. Or beaucoup y sont réticents, de peur que leurs noms soient transmis aux autorités syriennes. Leurs déplacements ne sont pas autorisés en dehors du Ouadi Khaled (nord). Malgré tout, des femmes et des enfants continuent d’affluer, par la frontière officielle cette fois.

Samer, l’aîné du groupe, sillonne les hameaux de la bande frontalière. C’est là qu’il est installé depuis six mois avec sa famille. Quand la révolte a commencé, ce commerçant qui a vécu plusieurs années à l’étranger a très vite participé à la préparation des manifestations. Les réfugiés qu’il visite, dans la région pauvre duOuadi Khaled, sont souvent originaires de Tall Kalakh, bourgade limitrophe, ou de Homs, voisine du Liban. « J’évalue leurs besoins. Ils sont dépourvus de tout. J’essaie aussi de comprendre qui ils sont, pour éviter que des personnes soient infiltrées par le régime. » Un tel scénario ne s’est pas produit jusqu’ici, reconnaît-il.

Samer passe des jours d’affilée loin de son domicile. A Tripoli, seconde ville du Liban, qui permet une plus grande discrétion selon les militants, il cherche des abris pour les blessés en convalescence. Il faut aussi trouver des fonds, provenant d’associations locales.

Amjad, une vingtaine d’années à peine, veille sur les blessés. Son diplôme de dentiste en poche, il a été promu responsable médical du groupe, qu’il a rejoint par hasard, pour être utile, après avoir gagné le Liban il y a deux mois. Originaire de Baniyas (côte syrienne), il se sentait surveillé. Il avait déjà été arrêté une fois, alors qu’il secourait les blessés, dans sa ville natale.

Le téléphone de Samer, comme celui des autres militants, sonne sans arrêt. Par précaution, il change souvent de numéro. Les militants redoutent d’être arrêtés par les services de sécurité libanais. « On se sent sous pression continue », dit Ahmad Moussa, 27 ans, porte-parole et coordinateur du groupe d’opposants. Depuis trois mois au Liban, ce jeune homme natif de Baniyas change de logement et limite ses déplacements. Fin collier de barbe, portant un costume dans lequel il grelotte par ce temps d’hiver, il ne s’est rendu qu’une fois à Beyrouth, pour tenter d’y nouer des contacts politiques. L’un des points que les membres du groupe aimeraient voirévoluer concerne le statut des Syriens qui ont fui les violences. « Nous sommes des visiteurs ici, pas des réfugiés. Il n’y a pas de camps, comme en Turquie, pour bien signifier que notre présence n’est que tolérée », explique Mazen.

Dans cet appartement où se retrouvent plusieurs militants, une porte entrouverte laisse deviner plusieurs jeunes allongés sur des matelas, la lumière allumée, prenant un court répit. L’un d’eux, Bilal, s’installe dans un bureau, ouvre son ordinateur. Il y monte des images qui ont été filmées à Homs, accompagnées d’un texte qu’il a écrit. Le but : attirer l’attention sur le sort de cette ville assiégée, dont il est originaire. Le sort de Homs préoccupe le groupe, craignant un assaut final des forces de l’ordre. Bilal relaie aussi les vidéos vers les médias et tient les statistiques de la répression.

Etudiant issu d’une famille modeste, Ahmad Moussa est disert sur la « grande révolte ». En Syrie, il appartenait aux « centaines de jeunes politisés » qui, au sein de diverses coordinations, organisent les manifestations contre le pouvoir et dialoguent avec la rue « pour traduire politiquement les aspirations des uns et des autres », au-delà du voeu de voir le régime s’effondrer. Chaque jour, il communique avec l’intérieur du pays. « Le mouvement a diminué à Baniyas, du fait de la répression. Mais les rassemblements se poursuivent. Ils sont plus rapides. L’armée est partout. »

Affairés, les militants réfléchissent aussi à l’évolution de la révolte. Ahmad soutient le Conseil national syrien (CNS), principale coalition de l’opposition. Samer, lui, est réticent, car il juge que le CNS rassemble « trop d’expatriés, qui connaissent mal la rue ». Il n’est pas tendre non plus à l’égard des opposants de l’intérieur, à quelques rares exceptions. Revient aussi souvent, dans leur bouche, la crainte d’êtreassimilés à des islamistes, ce qu’ils récusent. Dans ce petit cercle engagé, « les nuits et les repas sont devenus accessoires », conclut Mazen.

source: http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/12/17/la-detresse-des-refugies-syriens-au-liban_1620050_3218.html