La machine à torturer syrienne révélée – par Cordélia Bonal

Article  •  Publié sur Souria Houria le 22 janvier 2014

 

Un Syrien photographié torturé puis relâché par les forces du régime, près d'Alep, le 23 août 2012. (Photo James Lawler Duggan. AFP)

Trois anciens procureurs internationaux prouvent, des milliers de photos à l’appui, la torture et l’assassinat à grande échelle des prisonniers détenus par le régime de Bachar al-Assad.

 

La torture par le régime syrien sur ses détenus de l’opposition est une réalité, et une réalité à grande échelle. Les prisonniers sont «systématiquement» mutilés, affamés et tués dans les geôles syriennes, selon un rapport publié ce mardi (voir le document ci-dessous) par Carter-Ruck and Co, un cabinet juridique britannique. Cette enquête, commandée par le Qatar, qui soutient les rebelles syriens, sort à la veille de la conférence de Genève II, censée tenter de sortir la Syrie de la guerre.

Elle a été menée par trois avocats, deux Britanniques et un Américain, spécialistes reconnus des crimes de guerre : Desmond de Silva et David Crane sont tous deux anciens procureurs du tribunal spécial pour le Sierra Leone, et Geoffrey Nice est l’ancien procureur en chef du procès de l’ex-président yougoslave Slobodan Milosevic. Ils ont été assistés d’une équipe de médecins légistes.

«CÉSAR», PHOTOGRAPHE DE SCÈNES DE CRIMES

Leur travail s’appuie sur plusieurs dizaines de milliers de photos divulguées par un déserteur de la police militaire syrienne, dont le nom de code attribué pour l’enquête est «César». Ancien photographe de scènes de crimes, sa fonction a consisté, à partir du début du conflit en mars 2011, à photographier pour le compte du régime les corps des détenus exécutés, une fois transférés dans un hôpital militaire. Les trois avocats ont longuement interrogé cet homme, hors de Syrie, entre le 12 et le 18 janvier 2014. Ils ont conclu à la fiabilité de son témoignage. Des experts ont certifié l’authenticité des 55 000 photos, prises entre mars 2011 et août 2013 par César ou par l’un de ses collègues et mémorisées sur une carte.

Les photos avaient un double objectif, a expliqué César : permettre l’émission d’un certificat de décès sans que les familles n’aient à voir le corps, et montrer aux supérieurs que l’ordre de torture et d’exécution a bien été appliqué. César photographiait jusqu’à 50 corps par jour. Au mieux, les familles étaient informées que leur frère, fils, neveu était mort d’un «arrêt cardiaque» ou de «troubles respiratoires».

«UN VÉRITABLE ABATTOIR»

A partir du moment où il a pris la décision de déserter et de fuir le pays avec sa famille, César s’est arrangé pour prendre des photos de corps regroupés, «pour montrer que c’était un véritable abattoir», «pour que les assassins puissent plus tard être traduits en justice». De fait, certaines photos rappellent celles des camps de concentration – nous en publions deux ici, d’autres sont visibles sur le rapport. Elles confirment ce que certains témoignages d’ex-détenuset compte-rendus d’ONG avaient déjà révélé dès les premiers temps du conflit, mais à moindre échelle : les prisonniers, souvent des hommes jeunes, sont battus, affamés, étranglés, électrocutés, énucléés…

Ce que ce rapport montre, c’est la systématisation, l’industrialisation, de la torture par le régime. De quoi établir des accusations de crimes de guerre et crimes contre l’humanité par le régime syrien, concluent les auteurs, qui ont mis le résultat de leur travail à la disposition de l’ONU, des gouvernements et des organisations de défense des droits de l’homme. Leur seule enquête permet d’attester 11 000 cas de torture et exécutions dans un seul lieu – que les auteurs préfèrent ne pas révéler. A l’échelle du pays, on peut donc imaginer un chiffre beaucoup plus important.

16% des corps photographiés présentent des marques de strangulation. (Photo Carter-Ruck and Co.)

L’état décharné de la majorité des corps photographiés montre que la faim est un moyen de torture répandu. (Photo Carter-Ruck and Co.)

 

Le rapport de Carter-Ruck and Co

Cordélia BONAL
source : http://www.liberation.fr/monde/2014/01/21/la-machine-a-torturer-syrienne-revelee_974443
date : 21/01/2014