La Marie-Antoinette de Damas – par Alastair Beach
Jouissant d’une image de femme moderne et glamour dans les médias occidentaux, Asma, l’épouse du président syrien, n’a montré que de l’indifférence face à la tragédie qui secoue son pays.
Le magazine Vogue l’a qualifiée de “rose du désert”et Paris Match de “lumière dans un pays plein de zones d’ombre”. Mais, quand la très séduisante première dame de Syrie a invité, fin septembre, un groupe d’humanitaires pour discuter de la sécurité, elle semblait avoir perdu de son attrait. Pendant l’entretien, Asma El-Assad, qui est née en Grande-Bretagne, a grandi à Acton [quartier ouest de Londres] et a étudié dans une école anglicane de l’Ouest londonien, s’est trouvée devant des témoins directs des violences commises par le régime de son mari. Pourtant, selon un bénévole qui faisait partie du groupe, cette femme issue du monde de la finance et mère de trois enfants a semblé totalement indifférente en apprenant le sort réservé aux manifestants.
“Nous lui avons parlé des meurtres de manifestants”, rapporte cet homme, qui a souhaité conserver l’anonymat par crainte de représailles. “Nous lui avons parlé des forces de l’ordre qui attaquent les manifestants, sortent les blessés des voitures pour les empêcher de se rendre à l’hôpital. Elle n’a pas réagi du tout. C’était comme si on lui racontait une histoire banale, quelque chose qui arrive tous les jours.” Ces Syriens qui collaborent avec des organisations humanitaires pour venir en aide à des milliers de blessés tandis que les forces du président Bachar El-Assad déploient chars, artillerie et puissance aérienne pour écraser un soulèvement qui dure depuis sept mois espéraient beaucoup mieux. Le secrétariat de la première dame avait pris contact avec eux car elle souhaitait les entendre parler des difficultés qu’ils rencontraient sur le terrain. La rencontre a eu lieu à Damas.
“Elle nous a posé des questions sur les risques qu’il y avait à travailler dans les conditions actuelles”, poursuit le bénévole. Mais, quand il a été question des abus de pouvoir commis par la police secrète de son mari, le visage sans expression de Mme Assad les a déconcertés. “Elle voit tout ce qui se passe ici. Toute la presse en parle. Il est impossible qu’elle ne soit pas au courant”, dit-il. Cependant, même si Mme Assad n’ignore pas les atrocités perpétrées par le régime ni les 300 000 civils qui, selon des associations de défense des droits de l’homme, auraient été tués, beaucoup de ceux qui l’ont rencontrée se demandent ce qu’elle peut y faire. “Quelle que soit son opinion, elle est totalement paralysée”, estime Chris Doyle, le directeur du Conseil pour l’entente arabo-britannique. “Le régime ne lui laissera jamais la possibilité d’exprimer un quelconque désaccord ni de quitter le pays. N’y songez pas.”
Mme Assad, diplômée en informatique du King’s College [à Londres], a été élevée en Grande-Bretagne par ses parents syriens, qui étaient des amis proches de l’ancien président Hafez El-Assad. Elle a commencé à fréquenter Bachar El-Assad quand elle avait 20 ans et l’a épousée en 2000, date à laquelle elle est allée vivre en Syrie. Selon un éminent biographe occidental de la famille Assad, Bachar a choisi Asma contre l’avis de sa sœur et de sa mère. “Il a eu beaucoup de petites amies très belles avant elle”, confie ce journaliste, qui n’a pas souhaité que son nom soit publié. “L’opposition venait du fait qu’Asma était sunnite alors que lui-même est alaouite. Bachar El-Assad s’est marié en dehors de son clan.”
Mme Assad a soutenu plusieurs programmes de développement et apporté un véritable changement en aidant à créer des ONG en Syrie, en attirant l’attention sur les conditions des enfants handicapés et en jetant les bases des projets de réhabilitation de plusieurs dizaines de musées délabrés. Pour certains, elle est le visage moderne d’un ancien Etat paria ; pour d’autres, c’est un personnage distant, une Marie-Antoinette du XXIe siècle. Dans un cas comme dans l’autre, rien sans doute n’a aussi bien résumé la situation de la première dame de Syrie que l’interview publiée par Vogue en mars dernier, un moment particulièrement mal choisi.
Au milieu d’obséquieuses descriptions de bijoux Chanel et de plaisanteries échangées avec Brad Pitt durant le séjour de la star hollywoodienne en Syrie, en 2009, l’article raconte comment la vie domestique des Assad est régie par des “principes extrêmement démocratiques”. “Nous votons chacun pour ce que nous voulons et où nous le voulons”, explique Mme Assad. Outrés, beaucoup de Syriens se sont naturellement demandé pourquoi le couple Assad ne faisait pas preuve de la même courtoisie à leur égard.
source: http://www.courrierinternational.com/article/2011/10/27/la-marie-antoinette-de-damas