La médecine, arme de la répression en Syrie – par Christophe Ayad
Depuis ses débuts, il y a bientôt onze mois, la répression en Syrie n’épargne pas les enfants dont 400 sont morts sur un total de plus de 7 000 victimes, selon le décompte tenu par des militants des droits de l’homme. Mais l’implacable machine répressive du régime de Bachar Al-Assad présente une autre « particularité », moins connue : elle vise en priorité les blessés et les personnels soignants. La médecine transformée en arme de guerre, ou plutôt en « arme de persécution » : c’est cette pratique aujourd’hui systématique en Syrie – comme ce fut le cas en Tchétchénie, en Bosnie et plus récemment à Bahreïn – que dénonce Médecins sans frontières (MSF) dans un communiqué et un rapport rendus publics mercredi 8 février. « Aujourd’hui, en Syrie, résume Marie-Pierre Allié, présidente de MSF, les blessés et les médecins sont pourchassés et courent le risque d’être arrêtés et torturés par les services de sécurité. »
Après des mois de silence, l’ONG française, qui a longtemps espéré – sans succès – obtenir l’autorisation de travailler en Syrie, a décidé de prendre la parole. « Dès le mois de mai, nous avons été interpellés par des médecins syriens vivant à l’étranger et en contact avec leurs confrères de l’intérieur », raconte Dounia Dekhili, responsable ajointe des urgences à MSF.
Sans prétendre à l’exhaustivité, les entretiens réalisés par MSF dans les pays limitrophes de la Syrie démontrent une volonté systématique des forces de sécurité d’empêcher les soins aux manifestants blessés, de les traquer jusque dans les lieux hospitaliers, d’arrêter et de persécuter les médecins se risquant à travailler pour des structures clandestines. Il en résulte des carences médicales catastrophiques en personnel médical et en matériel, alors que le pays compte probablement plusieurs dizaines de milliers de blessés par balles et que le nombre de morts quotidien dépasse régulièrement la centaine depuis une semaine.
Les témoignages, recueillis par MSF dans les pays limitrophes (Liban, Jordanie, Turquie) où ont fui les civils syriens, sont anonymes pour raisons de sécurité. Le « patient 2 » résume la situation : « En Syrie, on ne peut pas aller dans un hôpital, parce que soit ils vous amputent du membre blessé soit ils vous emmènent en prison. J’ai été détenu deux fois et, ce que j’ai vu, c’est que certains prisonniers sont abandonnés, jusqu’à ce que leurs blessures pourrissent. Ils n’étaient pas emmenés à l’hôpital, certains sont morts juste à côté de moi pendant que d’autres urinaient du sang à cause des hémorragies internes dont ils souffraient. »
Syrie : Interview du patient 2 par msf
Tous les hôpitaux publics sont obligés de rapporter aux représentants des services de sécurité présents dans les locaux l’identité des admis et la nature de leurs blessures. Le Croissant-Rouge est lié au régime et le ministère de l’intérieur a pris le contrôle de la banque du sang. « L’hôpital est un lieu dangereux », confirme Mme Dekhili, de MSF, soit parce que l’on peut y être arrêté, soit parce que l’on peut s’y voir refuser des soins, et même y être amputé de force, comme le confirme le patient 1, blessé à la main. « Normalement, dans les pires circonstances, ils auraient retiré un doigt ou tout simplement fait un bandage, mais ils m’ont amputé à partir du poignet (…). L’hôpital de Damas ? Ils avaient tout ce qu’il fallait et ils auraient pu traiter ma main. Mais le plus étrange est qu’ils l’ont amputée. » Le patient 4 assure s’être vu refuser des soins pendant vingt-cinq jours, à l’exception d’une perfusion.
Pire, le patient 5 a été envoyé dans un centre de torture où il a perdu la moitié de sa main. Mme Dekhili, de MSF, explique avoir recueilli des témoignages selon lesquels des patients stabilisés ont été retrouvés le lendemain à la morgue par leur famille.
Il arrive que les établissements eux-mêmes, comme l’hôpital militaire d’Homs, soient transformés en centres d’interrogatoire par les services de renseignement, parfois avec l’aide du personnel soignant. A l’inverse, il advient que le personnel hospitalier traite les blessés en falsifiant leur identité et la nature de leurs blessures.
Conséquence logique de ces entraves, un système de santé clandestin a été mis sur pied avec les moyens du bord. Outre les cliniques privées, qui sont particulièrement surveillées, il s’agit essentiellement de fermes, de caves, garages ou salles de bains transformés pendant quelques jours ou quelques heures en lieu de soins. L’équipement est rudimentaire. Le patient 3 raconte avoir vu un infirmier recoudre des plaies avec une aiguille et du fil, sans anesthésiant.
Syrie : Interview du patient 3 par msf
Ces cliniques improvisées doivent constamment déménager de peur d’être mises au jour par les services de sécurité. Les militants y conduisent médecins et blessés les yeux bandés, par crainte d’infiltrations. Le personnel soignant qui y travaille est une cible privilégiée de la répression. C’est ce qu’explique le « médecin 1 », un chirurgien généraliste obligé de quitter la Syrie, où il risquait d’être arrêté et torturé à l’instar de nombreux confrères. Il souligne les carences en échographes, tables d’opération et respirateurs artificiels. « Il manque aussi des stérilisateurs, des anesthésiants, des poches de sang, des antibiotiques et des fixateurs internes pour les fractures », complète Dounia Dekhili.
Syrie : Interview d’un médecin syrien par msf
MSF travaille avec des réseaux de Syriens à l’étranger qui essaient de faire parvenir de l’aide médicale dans leur pays.