La prison de Saidnaya, centre d’extermination du régime syrien – par Luc Mathieu
La prison de Saidnaya, à 30 kilomètres au nord de Damas, n’est pas seulement l’une des plus atroces de Syrie, là où tortures et mauvais traitements sont systématiques et institutionnalisés. C’est aussi un lieu de massacre organisé, «un abattoir», selon un rapport d’Amnesty International publié mardi. Entre 5 000 et 13 000 prisonniers y ont été pendus entre septembre 2011 et décembre 2015. «Il n’y a pas de raison de penser que les exécutions extrajudiciaires ont cessé depuis», ajoute l’organisation. Les victimes sont dans la quasi-totalité des cas des civils opposés au régime. «La prison militaire de Saidnaya est un endroit où l’Etat syrien massacre en silence son propre peuple», note Amnesty, qui a interviewé plus de 80 personnes, dont des détenus libérés, des anciens gardes et des anciens juges.
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La procédure débute par un simulacre de procès devant un tribunal militaire dans le quartier d’Al-Qaboun à Damas. Les prisonniers n’ont pas d’avocat. «Ils ne restent qu’une minute ou deux avant d’être renvoyés. Le juge demande le nom du détenu et s’il a commis le crime. Que la réponse soit oui ou non, il sera condamné. Ce tribunal n’a rien à voir avec un Etat de droit. Ce n’est pas un tribunal», a affirmé un ancien juge à Amnesty. Les détenus repartent à Saidnaya dans des minibus ou à l’arrière de camions. Ceux qui ont été condamnés à mort ne le savent pas. Ils ne l’apprendront que quand ils seront face à la potence.
Le jour de la pendaison, des gardiens parcourent les couloirs de la prison, une liste de noms à la main, en début d’après-midi. Dans les cellules, ceux qui sont appelés s’agenouillent face au mur, mains sur les yeux. Ils sont extraits tour à tour, tee-shirt rabattu sur la tête. Les gardiens leur disent qu’ils vont être transférés dans des prisons civiles, le plus souvent à Adra, non loin de Damas, ou à Alep, dans le nord du pays. Ils sont en réalité amenés dans une cellule d’une quinzaine de mètres carrés au sous-sol. «Ils ont interdiction de s’asseoir, ils doivent rester debout. Nous leur hurlons dessus. Et nous commençons à les battre. Quiconque passe peut les taper, jusqu’à ce que l’officier arrive. Nous savons qu’ils vont de toute façon mourir, nous faisons ce qu’on veut d’eux. Ils restent là jusqu’à l’aube», a expliqué un ancien gardien. Ils sont alors transférés dans un autre bâtiment de la prison.
Fosses communes près de Damas
La salle d’exécution a été agrandie en juin 2012. Il y a en réalité deux pièces, l’une où dix personnes peuvent être pendues en même temps, l’autre vingt. Quand ils arrivent, les détenus signent de leur empreinte digitale leur avis de décès et se voient demander leurs dernières volontés. Ils ont les yeux bandés. «Certains restaient silencieux après avoir posé leurs empreintes, d’autres s’évanouissaient. Mais ils ne savaient quand ils seraient exécutés ni comment, par pendaison, par balles ou d’une autre manière», a déclaré un ancien responsable de la prison.
Les prisonniers sont alors amenés sur une plateforme surélevée à un mètre du sol. Ils ont toujours les yeux bandés. Des gardiens leur passent la corde autour du coup. Dans la première pièce, une trappe bascule ; dans la seconde, ils sont poussés dans le vide par un gardien. Ils restent pendus entre dix et quinze minutes. «Certains ne meurent pas parce qu’ils sont trop légers. Pour les jeunes, leur poids ne suffit pas à les tuer», a expliqué un ancien juge du tribunal militaire. Un médecin est chargé de désigner ceux qui ne sont pas morts. «Des assistants de l’officier en charge tirent alors leurs corps vers le bas pour leur casser le cou», a déclaré l’ex-juge. Ces séances d’exécution se tiennent une à deux fois par semaine. Entre 20 et 50 personnes sont tuées à chaque fois.
Les cadavres sont envoyés à l’hôpital militaire de Tishreen, à Damas, pour être répertoriés. Ils sont parfois placés dans des cercueils en bois. Quand il y a trop de corps, et pas assez de place dans le camion, ils sont simplement enveloppés dans un sac en plastique ou simplement laissés tels quels. Les cadavres sont ensuite enterrés dans des fosses communes situées sur des terrains appartenant à l’armée. D’après des témoignages recueillis par Amnesty, mais que l’ONG n’a pu vérifier, n’ayant pas le droit de travailler en Syrie, les corps sont souvent emmenés à Najha, un village entre Damas et Sweida, ou Qatana, une petite ville en banlieue ouest de la capitale syrienne.
L’Etat syrien n’a bien sûr jamais reconnu cette politique d’extermination. Les procédures restent secrètes, connues seulement de ceux, gardes et responsables, qui sont directement impliqués. Mais les exécutions ont été autorisées par les plus hauts niveaux de l’Etat. Les condamnations à mort sont approuvées par le grand mufti de Syrie et soit par le ministre de la Défense, soit par le chef d’état-major, qui agissent de la part du Président, Bachar al-Assad. Dans un rapport publié en février 2016, les Nations unies avaient déjà accusé le gouvernement syrien d’«exterminer» des détenus, ce qui constitue un crime contre l’humanité.