La question Syrienne : Entretien avec Joseph Daher
Auteur-e: Joseph Daher – Amir Kianpour
Depuis le début du soulèvement populaire en Syrie en mars 2011, la majorité des observateurs ont continué d’analyser le processus révolutionnaire syrien en termes géopolitiques, par en haut, en ignorant les dynamiques populaires d’en-bas, politiques et socio-économiques.
Joseph Daher est un activiste socialiste suisso-syrien, chercheur et fondateur du blog « Syria Freedom Forever« . Il est l’auteur de « Hezbollah: Political Economy of the Party of God » (2016, Pluto Press).
Les Réalités et les Représentations
La guerre en Syrie a divisé l’opinion publique à travers le monde entier en deux camps, et on distingue clairement deux tendances, l’une c’est celle qui demande une intervention militaire immédiate des pays occidentaux en réponse aux atrocités d’Assad et ses alliés iranien et russe, et la deuxième c’est celle qui soutient Assad et considère comme légitimes ses actes face aux terroristes wahhabites et salafistes soutenus par l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie. D’un côté, il y a une narration construite autour de la « légitimité d’Assad, la sécurité et la libération d’Alep », et de l’autre, autour de « l’Otan, l’intervention humanitaire et la chute d’Alep », certes, il y a différentes variations entre les deux. Que pensez-vous de ce conflit idéologique des narrations ? Jusqu’où représente-il la réalité de la guerre syrienne ?
Depuis le début du soulèvement populaire en Syrie en mars 2011, la majorité des observateurs ont continué d’analyser le processus révolutionnaire syrien en termes géopolitiques, par en haut, en ignorant les dynamiques populaires d’en-bas, politiques et socio-économiques. Tout est analysé en fonction du conflit entre d’un côté un soi disant « axe de la résistance » constitué de la Syrie, l’Iran, le Hezbollah et la Russie face à un axe occidental allié à la Turquie et aux monarchies du Golfe. Au vu des changements d’alliances, entre États-Unis et Russie, Turquie et Russie, États-Unis et Iran, ou autres, ce genre d’analyses géopolitiques ne peuvent pas expliquer les origines du soulèvement populaire en Syrie ni son développement et ses dynamiques.
Pour comprendre les origines du soulèvement populaire, il est tout d’abord nécessaire dans un premier temps de faire retour sur le développement historique, politique et socio-économique de la Syrie. Il est en effet impossible de comprendre le soulèvement populaire syrien et son évolution sans une approche historique sur le temps long qui remonte à la prise de pouvoir par Hafez al-Assad en 1970, décédé en 2000, auquel son fils, Bachar al-Assad, succède à la tête du pays jusqu’à aujourd’hui, marquant un tournant dans l’histoire de la Syrie. Hafez al-Assad a posé les bases du système patrimonial, autoritaire et capitaliste qu’on connaît en Syrie aujourd’hui. L’arrivée de Hafez al-Assad au pouvoir a marqué un tournant pour le pays. Il s’opposait aux politiques sociales radicales du Baas de la fin des années 60 et de la confrontation avec les pays conservateurs de la région, comme les monarchies du Golfe, cherchait à établir de meilleurs relations avec les états occidentaux, et à maintenir un front calme avec Israël et même tenter de conclure un accord de paix. Il amorcera des politiques de libéralisation économique tout en se maintenant au pouvoir à travers une répression sauvage de toute forme d’opposition, qu’elle soit démocratique, progressiste et/ou réactionnaire, et à travers une politique clientéliste, confessionnelle et d’encouragement des secteurs conservateurs de la société. Il avait néanmoins préservé les organisations corporatistes, toute une série de « syndicats » (travailleurs, paysans, femmes, etc…) et le parti Baas qui étaient des instruments de contrôle, de répression et de mobilisation, mais aussi qui permettaient de maintenir des liens avec des sections des classes populaires et gardant un minimum de protections sociales, malgré leurs affaiblissements et diminutions depuis l’arrivée de Hafez.
En 2000, Bachar al-Assad s’est inscrit dans sa continuité ; il a accéléré la mise en place de politiques néolibérales, tout en maintenant la répression contre toute forme d’opposition organisée. Ces politiques néolibérales ont bénéficié en particulier à une petite oligarchie qui a littéralement proliféré depuis l’ère de son père, en raison de sa maîtrise des réseaux de patronage économiques, mais aussi à quelques-uns de ses clients loyaux. Ces processus ont encore augmenté durant l’ère de Bachar. Le cousin de Bachar al-Assad, Rami Makhlouf, a parfaitement incarné ce processus mafieux de privatisation mené par le régime en faveur des siens. Fils d’un ancien commandant de la Garde républicaine syrienne et cousin germain du nouveau dictateur, M. Makhlouf contrôlait ainsi directement ou indirectement, à la veille du soulèvement de 2011, près de 60% de l’économie du pays grâce à un réseau complexe de holdings.
La différence principale avec le régime du père réside néanmoins dans la marginalisation des organisations corporatistes qui étaient perçues comme des barrières à l’accélération des politiques néolibérales, affaiblissant en même temps la pénétration et les liens du régime avec les couches populaires, et les poussant encore davantage dans la pauvreté.
La croissance réelle du PIB et le revenu réel par habitant ont diminué depuis le début des années 1990. Le processus de libéralisation économique a créé une inégalité toujours croissante au sein du pays. À la veille du soulèvement de mars 2011, le taux de chômage était à 14,9% selon les chiffres officiels – 20-25 % selon d’autres sources ; il atteignait respectivement 33,7% et 39,3% chez les 20-24 ans et les 15-19 ans. En 2007, le pourcentage des Syriens vivant en dessous du seuil de pauvreté était de 33 %, ce qui représentait environ sept millions de personnes, tandis que 30% d’entre eux arrivaient juste au-dessus de ce niveau. La proportion de pauvres est plus élevée en milieu rural (62%) que dans les zones urbaines (38%). La pauvreté est plus répandue, plus ancrée et plus marquée (58,1%) dans le Nord-Ouest et le Nord-Est (provinces d’Idlib, d’Alep, de Raqqa, de Deir Ezzor et d’Hassakeh), où vit 45% de la population.
Par ailleurs, le régime syrien, s’inscrivant dans la tradition libérale, s’est attelé à réformer son système de subventions, pénalisant encore davantage les classes populaires et les plus pauvres, tandis que les privatisations se multipliaient. Cela s’est accompagné de la réduction de la qualité et de la quantité des services de santé publique, ce qui a contraint les populations à se tourner vers le secteur privé, plus cher, pour pouvoir bénéficier des services de base.
L’absence de démocratie et l’appauvrissement croissant de pans importants de la société syrienne, dans un climat de corruption et d’inégalités sociales croissantes, ont préparé le terrain à l’insurrection populaire, qui ainsi n’attendait plus qu’une étincelle qui a d’abord été externe avec la chute des dictateurs en Tunisie et en Égypte et ensuite interne avec la torture des enfants de Dar’a. Ces éléments déclencheront le processus.
Donc le soulèvement populaire syrien fait partie intégrante des processus révolutionnaires de la région et n’en est pas séparé ni ne peut être réduit à des conflits géopolitiques.
Il s’est passé beaucoup de choses depuis le soulèvement populaire syrien, et la carte politique de « la guerre en Syrie » n’est pas du tout celle – la même de la «révolution syrienne » depuis les vagues d’islamisation, de militarisation et d’étrangéisation de l’insurrection initiale en Syrie, où on peut trouver toujours les vestiges de révolution ? Est-ce que les conseils révolutionnaires locaux sont-ils toujours actifs, surtout dans les régions arabo-peuplées de la Syrie ?
Personne ne nie que nous ne sommes plus en mars 2011 et que la situation des forces démocratiques et progressistes est satisfaisante. Nous sommes en effet en face de deux contre révolutions avancées, celle du régime et des forces fondamentalistes islamiques qui s’opposent toutes les deux aux objectifs initiaux de la révolution pour la démocratie, la justice sociale et l’égalité et contre le confessionnalisme et le racisme. Tout cela dans un chaos destructeur.
Pour cela, l’urgence absolue est d’arrêter la guerre, qui ne cesse de créer des souffrances terribles, empêche le retour des réfugié·e·s et des déplacé·e·s internes, et ne profite qu’aux forces contrerévolutionnaires issues des deux bords. Il importe également de dénoncer toutes les interventions étrangères qui s’opposent aux aspirations à des changements démocratiques en Syrie, que ce soit sous la forme d’un soutien au régime (Russie, Iran, Hezbollah) ou en se proclamant « amis du peuple syrien» (Arabie Saoudite, Qatar et Turquie) et les états occidentaux intéressé en priorité à la soi disant « guerre contre le terrorisme ». Le peuple syrien en lutte pour la liberté et la dignité n’a jamais eu d’amis dans son combat…
Cela dit, nous devons refuser toutes les tentatives, qui se multiplient actuellement, de légitimer à nouveau le régime d’Assad au niveau international, visant à permettre à ce dernier de jouer un rôle dans le futur du pays. En outre, un blanc-seing donné aujourd’hui à Assad et à ses crimes accroîtrait immanquablement le sentiment d’impunité des États autoritaires, de la région et d’ailleurs, leur permettant d’écraser à leur tour leurs populations si celles-ci venaient à se révolter.
Dans cette perspective, nous réaffirmons notre solidarité avec les forces démocratiques et progressistes restantes qui luttent contre le régime criminel d’Assad et les forces fondamentalistes religieuses, tout en exigeant des protections pour les civils. Car malgré une situation toujours plus chaotique, des résistances civiles et démocratiques se poursuivent à la fois contre le régime et les forces fondamentalistes religieuses. Dans la campagne d’Alep, la population de la ville d’Atareb s’est opposée durant le mois de février aux pratiques autoritaires de la coalition « Hay’at Tahrir a-Sham » (HTS), dominée par les djihadistes de Fateh al-Sham (ex al-Qaida). Des manifestations ont notamment eu lieu pour dénoncer les attaques du HTS contre le quartier général d’un groupe local de l’Armée syrienne libre (ASL), ou contre les tentatives djihadistes de prendre le contrôle de la boulangerie de la ville. Dernièrement dans la province de Damas, la Ghouta orientale, des manifestations ont eu lieu pour dénoncer les combats internes entres forces d’oppositions armées fondamentaliste islamiques, et également condamner les pratiques autoritaires, notamment contre Jaysh al-Islam qui a réprimé des manifestations en tirant sur les manifestant-es.
De même, des conseils locaux sont toujours actifs. Au mois de janvier, des élections ont d’ailleurs eu lieu pour élire le conseil local d’Idlib géré par des civils, tandis que les forces d’oppositions armées, dont Fateh al-Sham et AhrarSham (mouvement salafiste) ont été repoussés en dehors de la ville par les locaux et après des manifestations. On a pu voir à la fin de l’année 2016 et début de l’année 2017 de nombreuses manifestations dans la province d’Idlib et la province d’Alep par des conseils locaux et population locales demandant aux forces d’oppositions armées de ne plus intervenir dans les affaires civiles et de ne plus être présentes à l‘intérieur des localités. De nombreuses autres initiatives civiles, autour de l’agriculture, l’« empowerement » des femmes, et d’autres thèmes avaient toujours lieu à la fin de l’année 2016.
Il reste encore environ 250 conseils locaux dans les régions libérées, tandis qu’il en existait plus de 700 au début de l’année 2013.
Cela démontre à nouveau que malgré la domination croissante de groupes militaires réactionnaires, les forces démocratiques civiles sont toujours présentes et actives, défiant les autorités lorsque les combats et les bombardements du régime et de son allié russe cessent. C’est pourquoi il est important de mettre un terme à la guerre qui ne profite qu’aux deux acteurs de la contre-révolution – le régime et les forces fondamentalistes réactionnaires – tout en refusant toute relégitimation sur la scène internationale d’Assad et de ses associés.
Cela dit, le problème l’approche realpolitik qu’on retrouve dans la bouche de représentants de droite et de gauche, est de penser qu’on peut réussir à se débarrasser de Daech, al-Qaida et de leurs semblables, considérés comme ennemis principaux en Syrie et ailleurs, avec les mêmes éléments qui ont nourri leur développement : soit l’appui au maintien de régimes ou de groupes autoritaires et confessionnels, soit le soutien apporté à des politiques néolibérales et des interventions militaires…
Or il ne suffit pas de mettre fin militairement aux capacités de nuisance de Daech et consorts, au risque de les voir réapparaître à l’avenir comme ce fut le cas dans le passé ; il s’agit de s’attaquer aux conditions politiques et socio-économiques qui ont permis leur développement. Il faut se rappeler que Daech, élément fondamental de la contre-révolution, a connu une progression sans précédent à la suite de l’écrasement des mouvements populaires, en se nourrissant de la répression massive perpétrée par les régimes autoritaires d’Assad et consorts, et en attisant les haines religieuses.
L’interventionnisme des États de la région ou au-delà, conjugué aux politiques néolibérales – qui n’ont cessé d’appauvrir les classes populaires – et à la répression des forces démocratiques et syndicales, ont grandement contribué, et contribuent toujours, au développement de Daech et autres groupes similaires. Il s’agit de lutter contre ces éléments, tout en soutenant les mouvements populaires démocratiques et non confessionnels qui, malgré des reculs importants, persistent dans la région, défiant à la fois les régimes autoritaires et les organisations fondamentalistes religieuses
Eva Bartlett, une journaliste freelance auto-proclamée, il y a quelques mois, a déclaré que l’Hôpital Al-Qods bombardé en avril 2016 n’a été jamais vraiment bombardé et que les chiffres des victimes des forces d’Assad sont falsifiés par les Casques blancs. Que diriez-vous quant à cette accusation dont la diffusion a été virale sur les réseaux sociaux qui s’est présenté en tant qu’une narration alternative par rapport à celle des médias mainstram ? Ainsi que les autres déclarations des journalistes y compris celles liées à « In the Now » ? Notamment sur les Casques blancs ?
Tout d’abord Eva Bartlett n’est pas un exemple d’indépendance alors qu’elle est un soutien clair au régime d’Assad. Elle a rencontré des officiels du régime, apparue sur des chaines de télévision du régime, sans oublier qu’elle a travaillé pour RussiaToday qui relaie la propagande du régime poutinien et des sites complotistes du type SOTT.net, The Duran, MintPress and Globalresearch.ca… Donc en terme d’indépendance on fait mieux.
Mais bref, aujourd’hui il existe deux manières de défier ou remettre en cause la rhétorique des medias dominants : de manière réactionnaire et complotiste ou bien de manière progressiste. Eva Bartlett, comme de nombreux autres dits « journalistes indépendants », se trouve dans la première catégorie. Donc faire attention à ceux et celles qui se prétendent comme une information alternative, propagande aussi reprise par des réseaux d’extrêmes droites.
Cela signifie t’il que les groupes de l’opposition armées n’ont pas commis de crimes ? Non pas du tout. Il faut dénoncer toutes les violations des Droits de l’Hommes, crimes et pratiques confessionnelles et autoritaires, ce que j’ai fait systématiquement partout. Pour ma part, j’ai par exemple condamné systématiquement les bombardements des forces d’opposition armées à Alep Est, avant leurs déplacements forcés avec les civils en Décembre 2016, contre les civils des régions sous le contrôle des forces du régime et des quartiers kurdes de Sheikh Maqsoud, et autres exactions.
En même temps les plus grands criminels en Syrie sont les forces du régime Assad et ses alliés et c’est cette évidence qui est niée par des gens comme Bartlett qui reprends la rhétorique du régime en accusant tout opposants d’être des terroristes, tout en quasi-légitimant les crimes du régime contre les civils.
Concernant, les casques blancs. Ce sont des secouristes bénévoles, hommes et femmes civiles, non armés qui composent la défense civile syrienne. Ils agissent pour sauver les vies civiles à la suite des bombardements, les sauvant souvent au milieu des décombres. Ils ont sauvé des milliers de vies. Ils opèrent également pour réparer des infrastructures civiles et autres activités.
La défense civile syrienne a commencé comme une initiative populaire par en bas, lorsque des civils se sont organisés pour répondre aux besoins massifs des populations civiles dans les territoires libérées du régime.
Oui les casques blancs aujourd’hui reçoivent des soutiens extérieurs mais pour financer leurs matériels comme ambulances et autres. Beaucoup de casques blancs ont payé de leurs vies leur dévouement pour sauver des civils. On ne peut que saluer leurs actions humanitaires.
Pourquoi des gens comme Jihad Makdissi, ex-porte-parole du ministre des affaires étrangères d’Assad et Mohamed Allouche, membre de Jaysh al-Islam (un groupe islamiste qui a récemment fait fermer un magazine et cinq organisations connues de la société civile dans l’Est-Ghouta, qui est aussi accusé d’être derrière l’enlèvement du « Douma Four ») sont-ils ceux qui représentent les opposants syriens aux pourparlers de paix à Genève, mais non pas les véritables révolutionnaires ? Cela signifie-t-il leur manque de pouvoir réel et que la révolution, par conséquent, est finie ?
Le Conseil National Syrien à partir de l’automne 2011 et la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution syrienne ensuite à partir du début 2013, qui toutes deux étaient dominés par le mouvement fondamentaliste des Frères Musulmans et des forces libérales et soutenus par les monarchies du golfe et la Turquie, n’ont jamais à aucun moment été des représentants ou même un véritable relais des objectifs initiaux du soulèvement populaire syrien et des forces démocratiques et progressistes qui la constituaient. Même si ils étaient les représentants officiellement reconnus par les états occidentaux et autres.
L’absence des forces vives et composantes démocratiques et civiles du mouvement populaire (par exemple, les défenseurs et activistes des droits de l’homme, les membres des comités de coordination locaux, les groupes de jeunes et les femmes en général) est un problème. C’est sans conteste. Cela ne veut pas pour autant dire que la révolution est complètement morte ou bien qu’il n’y a plus de résistances populaires démocratiques. Mais qu’il y a un problème de représentations politiques qu’on peut retrouver dans d’autres pays de la région. Par exemple en Palestine, la domination de la représentation politique de l’autorité palestinienne (et Fatah à travers), et du Hamas ne signifie pas qu’il n’y pas plus de résistances populaires par en bas.
Malheureusement, les deux forces majeures qui se sont distinguées et dominent la scène politique de la région sont les représentants des anciens régimes autoritaires, d’un côté, les forces islamiques fondamentalistes et réactionnaires dans leurs diverses composantes, de l’autre.
Ces deux acteurs, les représentants des anciens régimes et les forces islamiques réactionnaires et fondamentalistes, sont des ennemis acharnés des objectifs initiaux des processus révolutionnaires. Les mouvements populaires, militants et groupes portant ces objectifs ont d’ailleurs été attaqués par ces deux forces.
Il s’agit de deux forces contre-révolutionnaires, par-delà les différences entre leurs discours. Les représentants des anciens régimes se présentent comme des défenseurs du modernisme, des sauveurs de l’unité de la patrie et des champions de la lutte contre le « terrorisme ». Les forces islamiques réactionnaires et fondamentalistes se présentent de leur côté comme garantes de la religion islamique, de la morale, de l’authenticité de l’identité islamique et arabe, tout en faisant le lien avec la « Ummah » (communauté des croyants ou « Nation ») islamique.
Ces deux discours, certes divergents en apparence, ne doivent pas nous faire oublier que les deux mouvements partagent un projet politique très similaire : limiter et réprimer les droits démocratiques et sociaux, tout en cherchant à garantir le système de production capitaliste et à poursuivre les politiques néolibérales qui appauvrissent les classes populaires de la région. De même, ces deux forces contre-révolutionnaires n’hésitent pas à utiliser un discours visant à diviser et opposer les classes populaires sur des bases communautaires religieuses, ethniques, de genre, régionalistes, etc.
Les différentes composantes politiques qui ont choisi et choisissent de soutenir l’une de ces deux forces contre-révolutionnaires, en la présentant comme le choix du « moindre mal », font en fait le choix de la défaite et du maintien du système injuste dans lequel vivent les classes populaires de la région. Le rôle des révolutionnaires n’est pas de choisir entre différentes fractions de la bourgeoisie et de la contre-révolution, soutenues par différents acteurs impérialistes ou impérialistes régionaux.
Le rôle des courants progressistes est de s’opposer aux différentes forces de la contre-révolution et de construire un front indépendant de ces deux formes de réaction. Les forces progressistes doivent s’inscrivent sur des bases démocratique, sociales, anti-impérialistes, s’opposant à toutes les formes de discrimination et travaillant à un changement radical de la société, dans une dynamique par en bas qui fasse des classes populaires l’acteur du changement.
Face à ces affrontements ou collaborations entre les forces de la réaction, ne choisissons pas une des formes de la réaction. Il faut soutenir, construire et organiser une alternative populaire et radicale pour les objectifs initiaux des révolutions : la démocratie, la justice sociale et l’égalité.
Le Parti Baas, le parti de Bachar al-Assad est étiqueté et reconnu historiquement comme un parti socialiste ; le Parti Communiste syrien (la faction unifiée et la faction de Bakdash, toutes les deux) défend ouvertement le gouvernement d’Assad. En revanche, il n’y a que quelques intellectuels de la gauche comme Yassin al-Haj Saleh qui sont franchement contre le régime. Pourriez-vous clarifier pour nous le rôle et la position des gauchistes syriens par rapport à la guerre ?
Le parti Baas des origines et dans sa phase de radicalisation dans les années 1960 a représenté il est vrai à un moment donné la volonté de changement radical et social contre les féodaux et la grande bourgeoise qui a dominé le pays jusqu’en 1963, ainsi que lindépendance par rapport à l’impérialisme occidental. Mais en même temps, il n’a pas hésité une fois au pouvoir à attaquer et à réprimer les mouvements de gauches et les syndicats indépendants et combatifs, tout en ayant des politiques discriminantes et racistes contre les populations kurdes en Syrie. Son modèle économique était une forme de capitalisme d’état, qui est arrivé d’ailleurs à sa fin dans les années 1970 et 1980 comme dans d’autres pays de la région. Donc nuancer la caractéristique de socialiste.
Il y a une longue tradition de gauche en Syrie. Les premiers syndicats sont apparus dans les années 1930, tandis que le parti communiste syrien au milieu des années 40. Entre les années 1940 et 1960, les mouvements nationalistes arabes et de gauche ne cessaient de voir leurs influences monter dans la société, dans la région.
Les divisions importantes au sein du parti communiste syrien menant à la création du « Parti communiste Syrien Bureau Politique » (aujourd’hui appelé Parti du peuple) datent des années 1970. Le Parti communiste syrien Bureau Politique, dont Yassin Hajj al-Saleh, s’opposait au régime Assad pour son autoritarisme et voulait une approche plus « arabiste » tandis que le Parti Communiste Syrien historique défendait et soutenait Hafez al-Assad, comme une forme de bourgeoisie nationale, tout en participant à certains de ses gouvernements. Le Parti communiste Syrien et certains des petits groupes communistes, qui ont fait scission avec le parti historique, sont membres du Front Nationaliste Progressiste (FNP), alliance de partis soutenant le régime et lui donnant un semblant de pluralité.
On trouve également d’autres mouvements de gauches qui ont résisté au régime de Hafez al-Assad comme le Parti de l’Action Communiste, représentant d’une nouvelle gauche à la fin des années 1970 et 1980 et très active politiquement et syndicalement, et dont de nombreux représentants et/ou ex membres seront présents au début de la révolution syrienne en 2011 comme Abdel Aziz Kheir, Jalal Nofal, NahadBadawiyya, etc… D’autre groupes et intellectuels progressistes également existaient comme Salameh Kaileh, Aref Dalila, etc… De même la majorité des partis kurdes en Syrie s’orientait politiquement à gauche. Les syndicalistes combatifs ont également été réprimés. Il y a une histoire des répressions des mouvements de gauche et démocratiques en Syrie et ailleurs comme au Liban (entre 1976 et 2005 durant sa présence militaire dans le pays) par le régime Assad.
Au début de la révolution donc on avait une « gauche » pro régime qui était présente au sein du FNP, mais dont une large section de leurs jeunes l’ont quitté pour rejoindre la révolution, qui a continué à soutenir le régime jusuqu’à aujourd’hui et une autre gauche très explosée mais très présente participant à la révolution à travers d’autres partis politiques (l’alliance al-Watan en 2012 qui rassemblait 14 groupes et mouvements qui sera très vite réprimé, d’autres existent également, également l’assemblée marxiste de gauche dont Abdel Aziz Khayr était un membre éminent qui a ensuite aidé à établir le Comité de Coordination Nationale pour le Changement Démocratique en juin 2011 dans lequel plusieurs partis nationalistes et de gauche seront présents qui cherchaient une voie réformiste avec le régime), dans les comités de coordinations locaux, conseils locaux, intellectuels et autres groupes de jeunes (les jeunes révolutionnaires syriens, Mouvement « Nabd », mouvement Ma’an, etc…). Un grand nombre de progressistes se sont donc engagés dans le processus révolutionnaire dans la résistance populaire civile, et l’ont payé cher, assassinés, emprisonnés, ou exilés. Omar Aziz, un anarchiste, par exemple a joué un rôle fondateur en encourageant la mise en place de conseils locaux dans les territoires libérés des forces du régime pour gérer le quotidien des civils et mettre en place des alternatives populaires politiques. Il est mort dans les prisons du régime syrien en février 2013.
De même de nombreuses féministes ont joué un rôle important dans le soulèvement populaire. La liste serait trop longue pour les énumérer toutes, mais par exemple des figures de la révolution comme Razan Zaitouneh, une des fondatrices des Comités de Coordination Locaux kidnappée en Décembre 2013 par Jaysh al-Islam très probablement, Samar Yazbeck (exilée en France), fondatrice de Women Now for Development, une organisation populaire pour les droits des femmes et leur empowerment, qui avait des bureaux dans les territoires libérés, et en Turquie et au Liban, et d’autres comme Nahed Badawiyeh, Marwa al-Ghamian, Souad Nofal, Samira Khalil, Fadwa Suleiman, Keffah Ali Deeb, May Scaf, Rima Fleihan, Razzan Ghazzawi, etc…
Donc même divisée, la gauche était présente dans la révolution.
Une révolution, mais deux projets ?
Comme nous pouvons le voir rétrospectivement, l’insurrection initiale se compose de deux projets émancipateurs. Premièrement, la révolution au niveau national, à la suite du printemps arabe et puis le projet kurde du confédéralisme démocratique à Rojava qui dérive plutôt d’une origine différente, c’est-à-dire les développements idéologiques et les luttes historiques de PKK. Politiquement et idéologiquement, il semble qu’il y a deux projets. Et comme on peut le voir, il y a une rupture explicite de la solidarité entre les révolutionnaires kurdes et arabes, de plus, une accusation réciproque de « chauvinisme ». On peut voir qu’à différents niveaux, entre YPG et FSA, entre HNC et ENKS cela va au-delà de la Syrie. Par exemple, Gilbert Achcar dit ouvertement : « Je ne suis pas naïf, contrairement à trop de militants de gauche en Europe. Le PYD est une organisation politico-militaire qui verse malheureusement dans une forme de chauvinisme, laquelle vient, il est vrai, en réaction à un chauvinisme arabe. » Et à l’inverse, Polat Can ainsi déclare, lors de la chute d’Alep : « Le seul projet viable est le projet séculier et réellement patriotique du peuple kurde, le projet des forces démocratiques de la Syrie et des unités de protection du peuple, c’est le projet fédéral et démocratique qui peut résister contre l’Etat islamique (Daesh) et contre le régime et contre tous les dictateurs et garantira également un Kurdistan et une Syrie libres. » Que pensez-vous de cette dualité ou de cette différence ? Finalement, les projets syrien et kurde sont-ils plutôt complémentaire ou contradictoire l’un à l’autre ?
Premièrement, laissez moi dire quelque chose. De façon générale, aucune solution de la question kurde et pour une Syrie inclusive ne peut être trouvée sans reconnaitre les Kurdes comme un “peuple” à part entière ou une “nation”, et en apportant un soutien inconditionnel à l’autodétermination du peuple kurde en Syrie et ailleurs. Cela ne signifie pas pour autant être a-critique envers la politique de la direction du PYD ou tout autre parti politique kurde.
Le chauvinisme de beaucoup de groupes et de personnalités arabes de l’opposition syrienne, en particulier au sein du CNS et de la coalition (Etilaf) qui est dominée par les Frères musulmans et des personnalités de droite, et qui est alliée au gouvernement turc de l’AKP doivent être dénoncés. Ils ont refusé le changement de nom de l’État de la République Arabe Syrienne en celui de République Syrienne, de même qu’ils ont refusé toute forme de fédéralisme, qui est la revendication de la quasi majorité des partis kurdes du pays, malgré leurs divergences politiques et leurs rivalités. La majorité des forces arabes syriennes opposées au régime d’Assad voient malheureusement dans le fédéralisme un pas vers le séparatisme et le démembrement du pays. Selon une étude réalisée entre novembre 2015 et janvier 2016 par l’association syrienne indépendante “The Day After Tomorrow” (Après demain) 86,7 % des personnes interrogées dans les territoires contrôlés par l’opposition rejettent le fédéralisme, tandis qu’un consensus existe autour du fédéralisme dans les zones kurdes auto-administrées, avec 79,6 % d’avis favorables.
Ces chiffres montrent qu’une coupure existe entre Kurdes et Arabes et que le premier impératif en ce qui concerne tout système politique futur en Syrie est de prendre en compte la “question kurde”.
La majorité de l’opposition arabe syrienne pense que les Kurdes sont des citoyens syriens comme les autres ayant été privés de certains de leurs droits. Lors du référendum de 1962 environ 120 000 Kurdes avaient été privés de la nationalité syrienne. Déclarés comme étrangers, eux et leurs enfants ont été privés des droits civiques élémentaires et condamnés à la pauvreté et aux discriminations. Entre 250 000 et 300 000 Kurdes étaient apatrides lorsqu’a commencé la révolution en mars 2011, soit environ 15 % du total estimé de 2 millions de Kurdes de Syrie.
La grande majorité des partis politiques d’opposition ne sont en aucune manière prêts à reconnaître les Kurdes comme un “peuple” distinct ou une “nation”. Ils ne sont pas prêts à entendre les revendications de fédéralisme et de décentralisation administrative. Nous devons comprendre que la revendication d’un système fédéral par les partis kurdes de Syrie prend ses racines dans des décennies d’oppression étatique depuis l’indépendance du pays en 1946.
Cette oppression a lieu sur une base ethnique :
– une politique de discrimination quasi systématique contre les Kurdes,
– une politique de colonisation dans le cadre de la “ceinture arabe”,
– une répression culturelle à tous les niveaux.
Mais elle a également des conséquences socio-économiques : les parties les plus pauvres du pays étaient celles principalement peuplées par des Kurdes, comme par exemple dans le Nord-est de la Syrie le long des frontières avec la Turquie et l’Irak.
Dans cette perspective, la majorité de l’opposition arabe syrienne n’a pas abordé ni même reconnu cette réalité, sa position faisant miroir à celle du régime.
De l’autre côté, je vais dans le sens de Gilbert Achcar lorsqu’il dit il ne fait pas romanticiser l’expérience du Rojava, malgré des points positifs comme une avancée des droits civils, une forme de coexistence pacifique, la participation des femmes à de hauts niveaux, et surtout la possibilité pour les kurdes de gérer des régions dans lesquels ils sont majoritaires, etc…
Les institutions en place dans les zones contrôlées par le PYD sont dominées par les organisations affiliées au PYD, avec un assortiment de personnalités kurdes, syriaques, et assyriennes dépendantes du PYD. Celles-ci n’ont pas grand chose à perdre en participant à ce projet, et n’ont pas de bases populaires larges.
Pour une grande majorité de partis politiques kurdes et de militants démocratiques kurdes, le Rojava n’est qu’une nouvelle forme d’autoritarisme, plutôt que le fédéralisme démocratique en action. Comme preuve de ceci, beaucoup mettent l’accent sur l’exclusion de partis d’opposition et de militants au sein de groupes de jeunes.
Les membres et les dirigeants des conseils populaires mis en place par les autorités du Rojava, sont théoriquement responsables de la gouvernance locale. Ces conseils comportent des représentants de tous les partis politiques kurdes, ainsi que des habitants non-kurdes désignés par le PYD dans les zones pluri-ethniques.
Mais le PYD reste l’autorité décisionnaire suprême, réduisant les conseils à un rôle largement symbolique pour tout ce qui n’est pas la distribution du gaz et de l’aide humanitaire. L’institution communale, un des éléments clés du système du nouveau Rojava dont le rôle est de procurer l’aide humanitaire aux habitants des environs, a été accusée de servir à renforcer la mainmise des organisations liées au PYD.
Dans le même temps, ces nouvelles institutions manquent de légitimité parmi une grande partie des arabes syriens de ces territoires. Et cela bien qu’il ait été décidé d’élire un co-président Arabe dans les conseils communaux, en plus du co-président et de la co-présidente déjà en place. Par exemple, Shaykh Humaydi Daham al-Jarba, chef d’une milice tribale arabe, et supporter connu du régime d’Assad, a été nommé en 2014 gouverneur du canton de Jazirah dans le Rojava. D’autres exemples existent. De plus, la proéminence des leaders tribaux dans les institutions du Rojava a été plutôt préservée que contestée.
L’autoritarisme du PYD a été démontré par la répression et l’emprisonnement de militants, d’opposants politiques, et l’interdiction d’organisations ou d’institutions comme la radio indépendante Arta en février 2014 et en avril 2016. Des membres de partis kurdes syriens d’opposition rivaux, comme le Parti Yekiti, le Parti démocratique kurde de Syrie et le Parti Azidi ont particulièrement été réprimés par les autorités des régions autonomes du Rojava pour leur militantisme pacifiste et leur critique du PYD.
Ibrahim Berro, le président du Conseil national syrien (CNK) a été arrêté en août 2016 à un barrage situé à Qamichli, et exilé ensuite le lendemain au Kurdistan irakien.
En réaction à cela, à la mi-septembre, les conseils locaux du CNK des régions d’Hassaka, Maabdeh, ‘Amoudah, Qamishli, al-Jawadiyeh, et Malakiyeh ont organisé un sit-in contre les pratiques du PYD et les arrestations arbitraires. Les participants demandaient la libération des prisonniers politiques emprisonnés par le PYD, dont le nombre est d’environ une centaine. De nouvelles mobilisations ont également eu lieu en octobre.
En Janvier 2017, le PYD a lancé de nouvelles campagnes de répression, d’arrestations et agressions contre des mouvements politiques kurdes et d’autres groupes, détruisant également leurs bureaux.
La politique autoritaire du PYD a rencontré à une opposition croissante au sein de la population kurde de Syrie et des militants révolutionnaires kurdes.
De plus, le PYD a été critiqué pour une politique de non-confrontation du PYD avec le régime d’Assad, qui a notamment inclus : 1) le maintien de canaux de communication établis depuis le début du soulèvement de 2011 ; 2) la cohabitation avec des forces du régime dans les villes de Qamichli et de Hassaka (malgré des confrontations occasionnelles violentes), 3) des abus et des violations des droits de l’Homme contre les civils arabes syriens dans les zones dominées par les forces armées du PYD.
C’est sans oublier une série d’autres problèmes comme par exemple : 1) son soutien à l’intervention russe en Syrie depuis septembre 2015, et 2) le fait d’avoir profité, début 2016, des bombardements russes sur les environs d’Alep pour conquérir de nouveaux territoires au détriment de l’ASL et des forces de l’opposition islamique à Bachar al-Assad.
En même temps, le PYD, et sa branche militaire YPG apparaissent comme le seul protecteur viable des Kurdes de Syrie, particulièrement contre les forces fondamentalistes islamiques et se sont pour cette raison renforcés. De plus, ce sentiment est renforcé à chaque fois que l’opposition syrienne arabe, regroupée autour de la non-reconnaissance des droits des Kurdes par la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution, profère des propos racistes et des discours contre les Kurdes.
Mais cela dit, plutôt que de considérer le PYD comme un chargé de mission (ou proxy) d’Assad, nous pouvons considérer que le PYD a joué un rôle bénéficiant à la fois à lui-même et au régime d’Assad. Il a cherché à tirer avantage du manque de sécurité, et a étendu le territoire qu’il contrôlait. Il n’existe pas à proprement parler d’alliance entre le régime d’Assad et le PYD, contrairement à ce que disent certains. Il s’agit d’un accord pragmatique de non-agression, comportant des périodes de conflits. Mais cette situation ne pouvait pas exister durablement.
Pour autant je ne pense pas que le modèle proposé dans la réalité sur le terrain par le PYD est donc attrayant malgré des aspects positifs. Donc pour répondre à votre question, nous devons réaffirmer que la défaite de la révolution syrienne et du mouvement populaire marquerait probablement la fin de l’expérience du Rojava, et un retour à une ère de répression des Kurdes de Syrie. Le régime d’Assad et les forces islamiques réactionnaires font obstacle au développement de toute expérience politique, y compris kurde, ne figurant pas dans leur programme autoritaire.
Pour cette raison, nous ne devons pas séparer la lutte pour l’autodétermination des Kurdes de la dynamique de la révolution syrienne. Toute alternative aux forces du régime et fondamentalistes islamiques doit se faire sur certaines bases principales et venant par en bas par l’auto-organisation des masses populaires : démocratie, justice sociale, égalité, laicité, et reconnaissance de l’auto-détermination du peuple kurde.
Il faut espérer donc repartir comme au début de la révolution entre les jeunes arabes et kurdes syriens sur des bases inclusives et démocratiques.
L’Iran, le Hezbollah et la Palestine
Le signifiant “Palestine” est un élément constitutif du discours du régime iranien, justifiant son intervention en Syrie. Je suppose qu’il en est de même pour le Hezbollah. Selon ce discours la guerre en cours a en réalité lieu seulement entre Assad et Israël. Que signifie la guerre en Syrie, au prisme du conflit israélo-palestinien ?
Oui la question palestinienne a été utilisée par le régime iranien et le Hezbollah pour justifier leurs interventions militaires en Syrie et avant cela pour accumuler de la popularité dans la région. Cela ne signifie pas qu’ils n’ont pas aidé militairement des groupes palestiniens comme le Hamas et le Jihad Islamique contre Israël, mais cela dans l’optique d’augmenter son influence régionale. Mais ils ont également utilisé un discours confessionnel pour justifier leur interventions en Syrie. Hassan Nasrallah, par exemple, a déclaré que le Hezbollah devait intervenir en Syrie, non seulement pour protéger la « résistance », mais aussi pour défendre les villages chiites en envoyant des soldats du Hezbollah à la frontière. Il a également souligné le rôle du Hezbollah dans la protection des symboles religieux chiites comme le mausolée de la petite-fille du prophète Mahomet, le sanctuaire d’al-Sayyida Zaynab à Damas qui « a déjà été ciblé à plusieurs reprises par des groupes terroristes ». Nasrallah a ajouté que cela était une question très sensible, compte tenu du fait que certains groupes extrémistes ont annoncé que si ils atteignaient ce sanctuaire, ils le détruiraient. Le sanctuaire est situé dans le quartier al-SayyidaZaynab à Damas. Des rapports signalent aussi que les soldats du Hezbollah portaient des bandeaux autour de leur têtes où il était écrit « O Husayn ». Dans les célébrations de l’Achoura de 2013, des slogans tels que « Hal Min Nâsirîn Yansurunâ ? Labbayki ya Zaynab ! » (« Y a-t-il quelqu’un pour nous défendre ? Nous sommes tous à tes ordres, Zeinab ! »), « Oh Zaynab ! Nous sommes tous vos Abbas ! », et « Nous jurons par Hassan et Hussein, Zaynab ne sera pas capturée deux fois ! », ont été scandés pour appeler à la défense du sanctuaire Zaynab qui est protégé par le Hezbollah et d’autres groupes confessionnels chiites contre les attaques possibles des groupes armés de l’opposition syrienne à Damas.
La prétention du Hezbollah et de l’Iran à exprimer leurs solidarités avec la Palestine est en grande partie basée sur leurs intérêts politiques propres et non celles des palestiniens. Le régime Assad est un allié fondamental pour l’Iran dans la région et pour le transfert d’armes pour le Hezbollah, car les armes transitent par l’aéroport de Damas.
D’ailleurs l’armement du Hezbollah a été de plus en plus orienté vers des objectifs autres que la lutte militaire contre Israël, selon les contextes et les périodes, y compris des attaques militaires contre d’autres partis politiques à l’intérieur du Liban ou la prévention de tout acteur de résistance autre que le Hezbollah au Sud-Liban. Cette évolution est également liée aux alliés régionaux du Hezbollah, la Syrie (ou du moins le régime d’Assad) et l’Iran, qui voulaient tous deux une intégration du parti au sein de la scène politique libanaise après la fin de la guerre civile libanaise. Dans le même temps, l’appareil militaire du Hezbollah a été subordonné à ses intérêts politiques, orientés en particulier vers le maintien de la stabilité au Liban. Cela a conduit à une collaboration accrue avec les services de sécurité et l’armée libanaises afin d’empêcher un conflit militaire dans le sud du Liban avec Israël, de collaborer dans la lutte contre les groupes salafistes et djihadistes, et finalement de garantir la sécurité de certaines régions et zones composées de populations chiites. Cela ne signifie pas que la composante militaire du Hezbollah n’a pas joué et ne joue pas un rôle contre les agressions et les menées guerrières d’Israël, mais que l’armement du Hezbollah a été de plus en plus utilisé à d’autres fins, en particulier après la guerre de 2006.
Mais surtout la prétention de défendre le régime syrien au nom de la cause palestinienne est un mensonge énorme connaissant l’histoire de la politique de ce régime envers les palestiniens. Il existe une histoire de la répression des groupes palestiniens en Syrie ou dans la région. Lorsque Hafez Assad était ministre de la Défense en 1970, il a refusé l’ordre du président de la Syrie de l’époque, Salah Jadid, d’envoyer des forces syriennes pour soutenir les groupes palestiniens et la gauche, dans le soulèvement populaire contre le royaume hachémite, conduisant au massacre de « septembre noir ». Le régime Assad a écrasé les Palestinien·nes et le mouvement progressiste au Liban en 1976, en venant au soutien des forces d’extrême droite libanaise des phalanges et autres forces conservatrices. Il a également été partie prenante du massacre du camp palestinien Tell al-Zaataren en 1976 commis par des milices phalangistes. Tout au long des années quatre-vingt, il y a eu « la guerre des camps » qui opposaient le mouvement Amal, soutenu par le régime syrien, aux palestiniens.
Ce qui est moins connu, c’est la répression qui s’est abattue sur les palestinien.nes en Syrie après 1982, particulièrement le camp de Yarmouk qui est un quartier de Damas peuplé de palestinien.nes, dans lequel plusieurs soulèvements ou mouvements de protestation ont eu lieu à un niveau massif pour protester contre la répression et les attaques contre des groupes palestiniens au Liban par le régime syrien. Il y a eu une répression massive par les services secrets syriens contre eux. Il y avait plus d’un millier de prisonniers politiques palestiniens à la fin des années 80 dans les prisons d’Assad.
De 1974 à 2011, le régime syrien a arrêté toutes celles et ceux qui tentaient de développer dans le pays une résistance pour la libération du Golan et de la Palestine. Assad père et fils ont toujours été prêts à conclure un accord de paix avec Israël, si ce dernier rendait une partie au moins du Golan occupé, mais Israël n’a jamais voulu. Ce n’était pas le contraire et il est très important de comprendre cela. Jusqu’à ce jour, ils considèrent Assad comme le moindre mal, comme la meilleure garantie pour leurs propres frontières. C’est pourquoi ils sont satifsaits d’une dictature affaiblie en Syrie.
Israël a perçu comme une menace le début des révolutions populaires dans la région, car ils étaient satisfaits des régimes autoritaires qui, directement ou indirectement, collaboraient avec Israël et écrasaient leur propre peuple et/ou les Palestiniens. Cela fut symbolisé par une déclaration faite par Avigdor Lieberman, ministre des Affaires étrangères en 2011, quand il déclara que la plus grande menace pour Israël était une révolution égyptienne réussie, une démocratie égyptienne et non pas l’Iran. Cela peut être étendu à la région, les peuples qui se libèrent de leurs dictateurs ont plus de chance de se tourner vers la cause palestinienne qui reste une cause centrale depuis des décennies dans la région. Donc, le régime Assad est très loin d’être un allié du peuple palestinien ou de tous les peuples qui luttent pour la liberté et la dignité.
Un des derniers exemples qu’on peut citer, c’est l’attitude du régime Assad depuis le début du soulèvement en Syrie en 2011, il y a eu une répression massive contre les Palestiniens qui ont rejoint les manifestant-e et la révolution, le camp de Yarmouk a subi un horrible siège avec des centaines de personnes mortes de faim pendant plus d’un an par les forces du régime, etc. … Au cours de la première semaine de l’insurrection Bouthaina Shaaban, conseillère de Bashar al-Assad, a accusé les Palestiniens de fomenter des tensions confessionnelles dans certaines villes en Syrie, en particulier à Latakia, etc. … Plusieurs camps de réfugiés palestiniens ont été bombardés par les forces du régime. Aujourd’hui, il y a plus de 20 000 Palestiniens recherchés par le régime d’Assad et des milliers dans ses prisons, et des centaines morts en martyrs.
Je peux donner plus d’exemples de la façon dont le régime d’Assad est complètement opposé à la libération du peuple palestinien.
D’ailleurs au Liban, le Hezbollah ne soutient pas, comme l’illustre sa défense du système confessionnel et de la bourgeoisie au Liban, des lois en faveur des travailleurs et des réfugiés palestiniens au Liban et de leurs droits civils.
Il est absolument nécessaire pour les mouvements progressistes de saisir la relation intime entre la libération des classes populaires de la région et de la Palestine, et de lutter pour rendre visible cette relation. La libération de la Palestine et de ses classes populaires est liée de manière étroite à la libération et à l’émancipation des classes populaires dans la région, contre leurs classes dirigeantes et les diverses forces impérialistes et sous-impérialistes agissant dans le cadre régional. Une logique similaire peut être aussi adoptée concernant la question de la libération du peuple Kurde dans la région. De même, il faut s’opposer à toutes les tentatives venant des régimes autoritaires et des forces réactionnaires religieuses, de diviser les classes populaires en fonction de leur sexe, de leurs dénominations religieuses, de leurs nationalités, etc. Ces opérations de division ne peuvent qu’empêcher leur libération mais aussi l’émancipation des classes populaires palestiniennes et kurdes.
Dans ce cadre ni l’Iran, ni le Hezbollah comme d’ailleurs d’autres régimes de la région et mouvements fondamentalistes islamiques ne sont véritablement capable de libérer la Palestine.
Depuis le début de la guerre en Syrie, une dispute essentielle entre l’Occident et la Russie a porté sur la recherche de critères solides afin de déterminer qui était modéré et donc qui était extrémiste ; il semble que l’Iran en quelque sorte a réussi à imposer et vendre ses propres critères en termes de séparation sunnite et chiite, tandis que les officiels américains ont été confus dans leurs efforts pour séparer les « modérés » parmi les groupes, plus ou moins, similaires. C’est tout à fait nouveau que quelqu’un comme François Fillon préconise une alliance avec l’Iran et le Hezbollah, au lieu du Qatar et de l’Arabie Saoudite. Apparemment, les chiites de plus en plus sont en train de convaincre l’occident qu’ils sont de meilleurs amis. Qu’en pensez vous ? En ce qui concerne l’orientation de l’Iran et du Hezbollah, les chiites sont-ils plus pragmatiques et plus aptes à intégrer le monde globalisé ?
D’abord, si je peux me permettre il faut faire attention avec les généralités avec le monde chiite, ou les chiites. Ce ne sont pas des entités homogènes politiques, il existe des différences. Donc je ne pense pas qu’on peut répondre à une question du type est ce que les chiites sont plus pragmatiques ou pas, de la même manière on ne peut pas associer tous les sunnites aux organisations fondamentalistes ou à l’Arabie Saoudite. Dans les deux cas il y a une multitude de divisions quelle soient politiques, idéologiques, sociales, de genres, etc. …
Pour répondre plus précisément à la question sur l’Iran et le Hezbollah. Il existe certes des collaborations tactiques et ponctuelles avec l’Iran notamment dans la lutte contre Daech en Iraq. Les combats contre Daesh sont menés par l’armée irakienne et ses groupes d’élite, mais aussi par des milices fondamentalistes chiites soutenus politiquement, économiquement et militairement par la République Islamique d’Iran, et surtout détestées par de larges sections des populations sunnites d’Irak à cause de leurs exactions contre elles et leurs discours et pratiques confessionnelles. Avant cela, il y a eu des collaborations après l’invasion américaine de l’Afghanistan en 2001 contre les talibans.
L’accord historique entre l’Iran et six grandes puissances sur le programme nucléaire de Téhéran en échange de la levée des sanctions internationales contre la République islamique signé en 2015 traduisait d’ailleurs en partie les avancées faites à travers à ces collaborations communes, même si les sanctions n’ont toujours pas été complètement levées. Le marché iranien, de plus de 80 millions de personnes, est devenu dès lors un marché très important et alléchant pour les compagnies occidentales et d’ailleurs un certain nombre ne cessent de faire des visites fréquentes pour profiter des futurs opportunités.
Cela dit il existe des problèmes avec cette approche sur différents niveaux. Tout d’abord la question d’Israël. Les pays occidentaux restent des alliés privilégiés d’Israël, et dès lors tant que l’Iran et le Hezbollah maintiennent des rhétoriques hostiles envers Israël, on ne pourra voir des collaborations tactiques se transformer en quelque chose de plus stable et dépassant le court terme. D’ailleurs il s’agit d’un contentieux politique également entre la Russie et l’Iran. La Russie depuis le début du soulèvement en Syrie a constamment évité de s’aliéner à Israël, au contraire collaborant à certains bombardements et actions militaires proche de la frontière syro-israélienne. Les relations entre la Russie sous l’ère de Poutine et Israël n’ont jamais été aussi bonnes qu’aujourd’hui
De plus penser que les pays occidentaux vont couper leurs liens avec les monarchies du Golfe n’est pas réaliste. Ces dernières dans leur grande majorité, sous l’influence de Ryad, voient d’un mauvais œil tout rapprochement avec l’Iran. La famille régnante des Saoud particulièrement voit jusqu’à aujourd’hui l’expansion de l’influence politique de la République Islamique d’Iran au Moyen-Orient comme une menace pour leur sécurité et leur ambition de jouer un rôle de leader parmi les États arabes. L’accord sur le nucléaire n’a fait que renforcer ces suspicions. Les monarchies du Golfe restent des alliés de poids des occidentaux, malgré des divergences. Leurs pouvoirs économiques (et d’investissements en Europe et achats de matériels militaires par exemple) et le poids du pétrole restent des éléments non négligeables. D’ailleurs on voit sur le dossier yéménite ces différences s’exprimer également. Les occidentaux soutiennent l’intervention menée principalement par l’Arabie Saoudite contre les Houtis alliés de l’Iran sans broncher malgré les morts et destructions causés par l’aviation saoudienne. Le rôle de l’Iran en Syrie est également très fortement critiqué par les occidentaux et les monarchies du Golfe.
On voit aussi la Russie toujours entretenir des relations économiques et politiques avec les monarchies du Golfe. Un rapprochement a même eu lieu ces dernières années et plusieurs contrats ont été conclus entre Moscou et des monarchies du golfe en 2016. En mai 2016, la diplomatie russe a ainsi fait savoir, à l’issue d’un entretien entre le vice-ministre des Affaires étrangères russe, Mikhaïl Bogdanov, et l’émir Tamim ben Hamad al-Thanin du Qatar, que les deux capitales envisageaient un rapprochement politique et économique sur une base bilatérale. Et, ce rapprochement s’est traduit, le 6 septembre, par la signature d’un accord militaire entre les deux pays. En décembre 2016, Glencore et le fonds souverain du Qatar se sont offert une partie du géant russe du pétrole Rosneft. La Russie leur a cédé 19,5% de son capital. Le rapprochement avec le royaume du Bahrain a lieu depuis 2014. En 2014, le prince héritier du Bahreïn s’est rendu à Moscou pour signer une série d’accords militaires et économiques avec le gouvernement russe. Le roi du Bahreïn a pour sa part visité à deux reprises Moscou en 2016.
Finalement l’administration américaine de Trump est beaucoup moins prête à une approche plus souple que celle d’Obama envers l’Iran, bien au contraire, menaçant d’ailleurs de mettre un terme à l’accord sur le nucléaire durant la campagne électorale. Cela reste pour l’instant simplement des menaces mais elle renforce les tensions entre les deux pays. La nouvelle administration américaine ne cesse d’avoir une rhétorique hostile envers Téhéran l’accusant d’être « le premier État du monde à soutenir le terrorisme et d’être impliquée dans les violences qui déstabilisent le Moyen-Orient ». En février, le Trésor américain a d’ailleurs pris des mesures de rétorsion contre 25 personnes et entités soupçonnées d’avoir apporté un soutien logistique ou matériel au programme balistique de Téhéran, après un tir de missile balistique le 29 janvier. À l’heure où on parle, les menaces américaines se poursuivent à l’égard de la République Islamique d’Iran.
Pourriez-vous nous parler plus de la relation entre l’Iran et le Hezbollah ? Laure Stephan et Cécile Hennion écrivent ainsi dans Le Monde : « à la différence de la guerre des 33 jours de 2006, le conflit syrien n’est pas seulement l’occasion de se mesurer à un ennemi (Israël), mais aussi à des alliés, milices pro-iraniennes – irakiennes ou afghanes – ou armée syrienne. » Que vous pensez de ce jeu interne du pouvoir ? Jusqu’où le Hezbollah obéira-t’il à l’Iran ?
Il y a un lien direct entre l’Iran et le Hezbollah que ce soit au niveau politique, économique et idéologique et cela depuis la fondation du parti libanais. Le Hezbollah est né de plusieurs éléments, dont de la politique de l’exportation de la « révolution islamique » dans la région du Moyen Orient dans les premières années de la République Islamique d’Iran par l’élite dirigeante de l’époque et le Hezbollah est sa plus grande réussite, sans conteste. Pour rappel, à l’été 1982, la République Islamique d’Iran avait envoyé plus de 1500 soldats des Pasdaran pour mettre en place des camps dans la ville syrienne de Zabadani et dans la région de la Bekaa pour aider à la fondation du Hezbollah et entrainer militairement ses membres. Cela s’est accompagné de l’imposition de certaines pratiques et discours religieux suivant l’idéologie de Khomeini dans les régions dans lesquelles le Hezbollah et les Pasdaran étaient présents. Jusqu’à aujourd’hui on peut voir des portraits de Khomeini et Khamenei dans les régions sous influence et contrôlées par le Hezbollah. Un certain nombre d’organisations et d’associations du parti libanais ont directement pris modèle sur des organisations existantes en Iran et sont financés en partie par Téhéran.
Le parti a d’ailleurs répété à plusieurs reprises que le concept de Willayat al-Faqih n’est pas un sujet soumis à discussion au sein de l’organisation et tous les membres doivent y soumettre jusqu’à aujourd’hui. Ce concept du Willayat al-Faqih est d’ailleurs enseigné et propagé dans les organisations liées au parti.
Le parti a d’ailleurs été affecté par les changements politiques en Iran, surtout après la mort de Khomeini et la fin de la politique de l’exportation de la Révolution Islamique. Le nouvelle élite dirigeante qui avait succédé, notamment Rafsandjani et le nouveau guide suprême Khameini, a poursuivi une politique plus pragmatique avec les monarchies du golfe et au niveau international et a été plus intéressé par les problèmes socio-économiques qui traversaient le pays. C’est les dirigeants de la République Islamique d’Iran qui ont donné leur bénédiction à la participation du Hezbollah aux élections législatives libanaises de 1992, menant d’ailleurs à la création de l’organisation du SheikhTufayli quelques années plus tard et qui s’opposait à l’intégration du système confessionnel libanais. Il était également proche des anciens réseaux en Iran connectés à la politique de l’exportation de la révolution islamique et qui ont été mis de côté après la mort de Khomeini.
Le niveau de financement de l’Iran au Hezbollah est difficile à évaluer parce que les réseaux de financements sont non gouvernementaux, mais seraient évalués à entre 100 et 400 millions de dollars par an. Abdallah Safieddinne, représentant du Hezbollah en Iran, a d’ailleurs reconnu que son organisation recevait des fonds directement du Willayat al-Faqih, c’est à dire du guide suprême. C’est ce dernier qui a le contrôle de la distribution de ces fonds au Hezbollah, et cela n’a pas été affecté par les changements de gouvernements en Iran.
Donc ils partagent clairement des intérêts communs, et le Hezbollah est bien sûr un acteur servant les intérêts politiques iraniens dans la région. Cela ne signifie pas que le Hezbollah n’est pas un parti libanais. Le parti est inscrit complètement dans le paysage politique libanais et son élite dirigeante confessionnelle et bourgeoise, participe à tous les gouvernements depuis 2005, il a une base populaire libanaise importante. Il n’y a pas de contradiction entre les deux. Son importance économique et politique au Liban en a fait d’ailleurs un rival de plus en plus significatif pour la fraction de la bourgeoisie libanaise réunie autour de Hariri et de l’alliance politique du « 14 Mars » mené par Hariri (liée, à son tour, aux capitaux des monarchies du Golfe), en particulier après le retrait de la Syrie du pays en 2005. L’opposition politique du Hezbollah aux forces du 14 Mars, forces soutenues par les États occidentaux et les monarchies du Golfe, doit être aussi comprise comme des rivalités inter-capitalistes à l’échelle nationale entre deux forces liées à différentes puissances régionales. En dépit de cette concurrence, ces deux blocs inter-capitalistes ont coopéré à plusieurs reprises dans des moments de crises – comme le montrent leurs attitudes similaires envers divers mouvements sociaux et ouvriers, leur orientation favorable aux réformes néolibérales au Liban, et leur rapprochement mutuel au sein du gouvernement après le départ de l’armée syrienne du Liban en 2005.
Vous faites partie d’une alliance des socialistes syriens et iraniens. Pourriez-vous parler de cette alliance, sa mission et ses positions ? Comment peut-on rejoindre ou soutenir cette alliance ? Et pour finir, avez-vous un message à adresser aux iraniens ? Qu’attendent les syriens des iraniens ?
Cette alliance regroupe des personnes s’identifiant comme des socialistes qui rejettent les systèmes staliniens autoritaires qui existaient en Union soviétique et en Chine et leurs pays satellites, ainsi que les régimes autoritaires et les partis au Moyen-Orient qui prétendaient être socialistes. De même, nous nous opposons à toutes les formes de fondamentalisme religieux. Au lieu de cela, nous soutenons un socialisme qui a pour objectif l’émancipation humaine par et pour les classes populaires et qui doit encore être réalisée. Nous pensons en effet comme proclamé dans la Première Internationale, que « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». Nous luttons pour la démocratie, la justice sociale, l’égalité, la laïcité et nous nous opposons aux différentes formes d’oppressions comme le racisme, le confessionnalisme, le sexisme, etc. …
Nous reconnaissons bien sûr que nous sommes une minorité dans nos sociétés, mais ce n’est pas une raison de garder le silence sur notre vision d’une société future ou d’éviter de lutter pour développer une alternative humaniste au système capitaliste dans lequel on vit.
Nous tentons d’utiliser ce site comme plate-forme pour développer et diffuser des idées et des positions progressistes et également être un lieu d’échange. Notre objectif est de faire connaître en Iran et aux iraniens les luttes en en Syrie et vice versa. Nous visons à proposer des analyses qui traitent de la complexité des problèmes et vont au-delà des réponses simplistes. L’analyse de ces questions est nécessaire pour commencer à créer une solidarité entre les progressistes et autres en Iran et en Syrie et de trouver des solutions réelles. Il s’agit de comprendre que nos sont destins sont liés au delà des frontières.
Nous contactons d’autres socialistes anti-autoritaires d’autres régions du Moyen-Orient pour participer au site. Nous accueillons des articles d’autres personnes et nous recherchons, traduisons et réimprimons des articles de socialistes du Moyen-Orient ainsi que d’autres socialistes occidentaux et internationaux qui pourraient éclairer des questions que cette alliance vise à aborder.
Nous n’avons aucune prétention à devenir des représentants officiels de telles ou telles lignes. Nous sommes encore en train de construire cette alliance et avons toujours besoin d’élaborer collectivement nos objectifs, nos demandes et nos moyens de travailler ensemble.
Tout ce que j’ai à dire aux camarades iraniens c’est toute ma solidarité contre leur régime tyrannique et que nos destins sont liés. Il faut établir et renforcer les collaborations entre les progressistes de nos deux sociétés. Nous devons lutter ensemble contre les différentes formes d’oppression, le confessionnalisme, le sexisme, et autres moyens de divisions des forces autoritaires contre les classes populaires. La meilleure chose que les classes populaires et nos camarades en Iran peuvent faire pour aider le peuple syrien c’est de renverser leur propre régime et mettre en place un système démocratique, social et égalitaire. Cela mettra fin à l’assistance du régime iranien à la dictature d’Assad en Syrie. Nous sommes alliés dans nos luttes pour l’émancipation.