La stabilité en Syrie passe par le retrait d’Assad – lettre ouverte à Emmanuel Macron
Plusieurs personnalités du monde intellectuel adressent une lettre ouverte à Emmanuel Macron suite à ses dernières déclarations sur le dossier syrien. «Le retrait d’Assad et l’arrêt de ces interférences étrangères seraient les vrais points de départ d’un chemin pour la paix et la stabilité en Syrie», lui conseillent-ils.
Monsieur le Président de la République,
Nous avons suivi avec la plus vive attention, durant le mois que nous venons de vivre, votre si remarquable prise en main des réalités politiques de la France. Nous avons aussi été très impressionnés par la fermeté avec laquelle, d’emblée, vous avez fixé ses positions internationales majeures. Puis vous avez, dans une interview parue dans plusieurs journaux européens, révélé votre analyse du problème syrien : on ne saurait envisager, pour l’instant, aucun successeur légitime à Bachar al-Assad. Sa légitimité à lui – affirmée depuis des années – repose sur la mort de plusieurs centaines de milliers de personnes dont il est responsable.
Peut-être auriez-vous pu préciser que tout l’objet du règlement politique que vous appelez de vos vœux est précisément de réunir les conditions d’une « transition » à Damas – mot qui fait cruellement défaut dans vos récents propos. C’est en effet sur cet obstacle que butent les efforts internationaux depuis des années à New-York, Genève et ailleurs.
Nous comprenons bien le dilemme auquel les démocraties sont confrontées : soit accepter le maintien d’Assad aussi longtemps qu’il n’y a pas d’alternative – mais c’est programmer la poursuite de l’instabilité de cet Etat failli présidé par Assad, paradis des terroristes et repoussoir des réfugiés – soit se donner les moyens d’installer à Damas un organe de gouvernement inclusif et en capacité de reconstruire le pays et d’abord l’Etat. Résoudre ce dilemme est ce que nous attendons de vous.
Sur le choix des moyens, nous vous faisons naturellement confiance. Vous paraissez, dans vos propos, privilégier un dialogue avec la Russie. Elle nous apparaît, à nous aussi, comme un interlocuteur incontournable. Mais nous constatons que si ses obsessions étaient le terrorisme et le risque d’un Etat failli, elle se serait attaquée au cours de ces dernières années à Daech et non à l’opposition. Elle n’aurait pas sauvé du désastre un régime qui a systématiquement détruit les institutions, l’armée, les infrastructures et l’économie du pays et qui a aussi bradé l’indépendance nationale.
Il nous semble également que, face à ces acteurs – le régime, la Russie, mais aussi l’Iran et le Hezbollah -, qui n’ont raisonné depuis des années qu’en termes de solution militaire, écarter tout « dispositif militaire » est un peu étrange. N’est-ce pas plutôt un déficit de recours à la force plutôt qu’un excès de celui-ci de la part des Occidentaux qui a conduit le pays à l’état que nous connaissons aujourd’hui ? D’ailleurs, vous-même, bien qu’anti-néoconservateur déclaré, brandissez, à juste titre, la menace d’interventions ciblées pour faire respecter les lignes rouges de l’emploi de l’arme chimique et de l’accès humanitaire. Nous ne pouvons que nous en réjouir, en suggérant toutefois que la France précise dans quels délais et selon quelles modalités elle fera respecter l’accès humanitaire ; et que Paris se concerte avec Washington pour faire en sorte que l’après Daech ne renforce pas le régime et ses parrains qui ont créé les conditions de l’émergence de l’Etat islamique.
Nous sommes certains aussi qu’au-delà du dialogue nécessaire avec la Russie, la France a un rôle essentiel à jouer pour convaincre l’ensemble des acteurs régionaux de renoncer à leur implication massive dans le conflit syrien. Le retrait d’Assad et l’arrêt de ces interférences étrangères seraient les vrais points de départ d’un chemin pour la paix et la stabilité en Syrie. Les Assad sont depuis des décennies les ennemis de la France autant que du peuple syrien. Les amis de la France en Syrie sont ceux qui se sont soulevés contre la tyrannie.
Très respectueusement vôtres,
Signataires :
Joseph Bahout, politologue, chercheur au Carnegie Endowment à Washington DC, Programme Moyen-Orient ;
Jean-Claude Casanova, directeur de la revue Commentaire ;
Antoine Garapon, secrétaire général de l’Institut des Hautes Etudes sur la Justice
Isabelle Hausser, écrivain ;
Salam Kawakibi, politologue ;
Bassma Kodmani, directrice de Arab Reform Initiative ;
Olivier Mongin, éditeur ;
Bruno Tertrais, politologue.