« La Syrie est une oasis d’impunité » – par Fabrice Aubert

Article  •  Publié sur Souria Houria le 27 octobre 2011

TEMOIGNAGE – En prison au début du soulèvement, Muhanad Alhasani (à gauche), avocat syrien, a été libéré en juin dernier. Honoré par le barreau de Paris, il dénonce l’inaction de la communauté internationale face à la répression menée par le régime de Bachar al-Assad.

Avocat syrien, défenseur des libertés publiques et président de Swasiah, l’une des organisations syriennes des droits de l’homme, Muhanad Alhasani a été arrêté en 2009. Son délit est symbolique des difficultés d’exercer le métier dans le pays :  avoir critiqué le déroulement des audiences de la Cour de sûreté de l’Etat (ndlr : abolie en avril dernier, elle était particulièrement chargée de juger les « crimes politiques« ). Un an plus tard, après avoir été radié à vie du barreau de Damas, il a été condamné à trois ans de prison pour « affaiblissement du sentiment national » et « propagation de fausses nouvelles ».

Libéré de manière anticipée en juin dernier, il a décidé de voyager en Europe pour dénoncer  la délicate situation des avocats et plus globalement la répression menée par le régime. Jeudi, il était ainsi l’invité du barreau de Paris, qui était intervenu en sa faveur lors de son procès. Il a notamment reçu le titre symbolique d’avocat honoris causa. « Nous le considérons comme un confrère à part entière. Si certains des avocats syriens ont vendu leur âme au régime, les autres continuent le combat. M. Alhasani en fait partie« , souligne Jean-Yves Le Borgne, le vice-bâtonnier.

Vous étiez en prison lors du début de la révolte contre Bachar al-Assad en mars. Aviez-vous accès aux informations ?
Muhanad Alhasani :
 Ma situation ne me permettait pas d’obtenir d’informations de manière transparente. Je ne recevais que quelques visites d’une dizaine de minutes par mois. J’étais alors séparé de mon interlocuteur par une grille et la conversation était surveillée par des officiers des renseignements généraux. Néanmoins, j’avais des nouvelles au compte-gouttes grâce à d’autres prisonniers, qui me les transmettaient en secret.

En juin dernier, vous avez été libéré. Qu’avez-vous ressenti en prenant connaissance de l’ampleur du soulèvement et de la répression ?
M.A. :
 La dernière chose à laquelle je pensais en sortant, c’est que j’allais voir que toutes les choses contre lesquelles j’ai milité depuis 25 ans -les crimes, les tortures, les arrestations arbitraires, les violations des droits de l’homme…- étaient désormais appliquées à grande échelle. Et encore moins que l’essence qui alimentait ce bûcher était ma famille de pensée, c’est-à-dire celle des libertés. Je n’y croyais pas.

Qu’avez-vous fait à votre sortie de prison ?
M.A. :
 Je suis en fait resté peu de temps en Syrie. Après avoir parlé un peu dans les médias, j’ai pu communiquer avec les classes populaires de Damas. J’ai reçu des dizaines de personnes à mon bureau, originaires de tous les quartiers de la ville. Elles voulaient me saluer et me raconter leur histoire. Ensuite, j’ai estimé que le meilleur moyen de défendre les victimes, c’était de partir en Europe pour mettre en lumière les exactions du régime. Aujourd’hui, je ne sais pas quand j’y retournerais. Tout dépendra de l’endroit où mon message aura le plus de force, à l’intérieur ou à l’extérieur de la Syrie.

Comptez-vous rejoindre le Conseil national syrien (ndlr : organisme qui fédère désormais l’opposition en exil) ?
M.A. :
 Non.  Je ne fais partie d’aucun groupe politique, je suis un simple membre de la société civile. Certes, je suis en contact avec quelques membres du CNS qui vivent à Paris. On m’a même proposé d’en faire partie, ou d’autres entités politiques en cours de création. Certains ont aussi inscrit, de manière amicale, mon nom sans vraiment me demander mon avis. Mais je ne fais pas de politique. Mon domaine, c’est la défense des droits de l’homme et donc des victimes, sur la base du code des citoyens syriens.  Je préfère être aux côtés de ces victimes pour les aider. Et c’est pourquoi je parle aux médias.

Vous êtes justement en Europe pour faire connaître la situation en Syrie. Qu’attendez-vous de la France, et plus largement de la communauté internationale ?
M.A. :
 J’en attends tout. Je demande notamment à la société civile française de faire pression sur le gouvernement français pour qu’il fasse tout ce qui est possible pour stopper le bain de sang. Aujourd’hui, la Syrie est une oasis d’impunité. Et le monde entier regarde sans rien faire. Dans les journaux télévisés, il s’agit de l’un des derniers sujets abordés.

Surtout, la communauté internationale a été incapable de s’entendre sur une condamnation. Or il faut savoir, qu’en matière des droits de l’homme, la Libye n’était pas le pire régime du monde arabe.  Si personne n’aide les Syriens qui se révoltent, ils risquent de se radicaliser dans la religion.

source: http://lci.tf1.fr/monde/moyen-orient/la-syrie-est-un-oasis-d-impunite-6796794.html