La Syrie, maillon faible de l’axe chiite au Moyen-Orient – par Renaud Girard
Les pétromonarchies sunnites du Golfe sont entrées dans une guerre froide contre l’Iran. Elles ont compris tout l’intérêt qu’elles trouveraient à la chute du régime alaouite de Damas, au profit des sunnites de Syrie.
Mis en cause par Alain Juppé, le régime syrien a démenti toute implication dans l’attentat au Liban-Sud du 9 décembre dernier, perpétré contre une patrouille française de la Finul (cinq blessés, dont un grave). On n’est pas forcé de le croire sur parole, compte tenu de son passé en la matière et du fait que ses alliés chiites du Hezbollah contrôlent l’ensemble de la zone d’une main de fer.
Depuis plus de trente ans, la dictature alaouite de Damas est une habituée de tels «messages» violents, adressés aux puissances qui s’opposent à ses prétentions hégémoniques au pays du Cèdre. La Syrie est-elle également derrière la recrudescence des attentats du PKK (parti extrémiste kurde) dans l’est de la Turquie et des troubles dans les zones chiites du littoral saoudien donnant sur le golfe Persique? Ce ne serait pas totalement impossible, dans la mesure où, comme la France, la Turquie et l’Arabie saoudite militent pour l’accroissement des sanctions internationales contre le régime de Bachar el-Assad. Le seul facteur qui pourrait plaider pour l’innocence récente des autorités de Damas est qu’elles doivent être déjà passablement accaparées par leur combat contre l’insurrection sunnite, qui s’est propagée dans maintes provinces syriennes depuis le mois de mars dernier.
Bien qu’il ait reconnu ne pas disposer de preuves formelles contre le régime syrien, le ministre français des Affaires étrangères n’est pas infondé à imaginer de sa part le recours à des actes de violence désespérés. On se souvient des attentats mystérieux qui, pendant et après l’humiliant retrait de l’armée syrienne du Liban en 2005, avaient coûté la vie au journaliste Samir Kassir ou au député Gebran Tueni, deux personnalités libanaises connues pour leurs positions publiques antisyriennes.
Retour de flamme
Quoi qu’il en soit, la dictature du clan el-Assad a toutes les raisons d’être bel et bien désespérée. Non seulement la situation intérieure du pays ne cesse d’empirer, mais, internationalement, la Syrie est clairement devenue le maillon faible de l’axe chiite au Moyen-Orient. Ce dernier, qui s’étend de la Caspienne à la Méditerranée (Iran-Irak-Syrie-Hezbollah), est aujourd’hui dominé par Téhéran.
Au printemps dernier, l’intervention militaire de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis à Bahreïn (pays majoritairement chiite gouverné par une monarchie sunnite) a fait éclater une évidence: les pétromonarchies sunnites du Golfe sont entrées de plain-pied dans une guerre – pour le moment froide – contre l’Iran, accusé de vouloir se doter de la bombe atomique pour asseoir des visées hégémoniques sur le réservoir mondial de pétrole. Dans cette confrontation globale, les puissances arabes du Golfe ont compris tout l’intérêt qu’elles trouveraient à la chute du régime alaouite de Damas, au profit des sunnites de Syrie (60% de la population), aussi islamistes soient-ils. Si la Syrie s’en retirait, l’axe chiite serait détruit et l’Iran s’en retrouverait considérablement affaibli.
Aujourd’hui, le Qatar finance généreusement la livraison d’armes de guerre à la résistance syrienne par les anciens rebelles libyens de Misrata. Les armes passent par la très poreuse frontière turco-syrienne. Écoutée par une centaine de millions d’Arabes, la télévision satellitaire qatarienne al-Jezira apporte un soutien aussi constant aux insurgés syriens que naguère aux insurgés libyens (avec une préférence, parmi eux, pour les islamistes). La chaîne avait été beaucoup plus discrète dans sa couverture du soulèvement chiite à Bahreïn.
Dans le monde arabe, l’axe chiite tenait sa force de son soutien sans faille aux mouvements «révolutionnaires» engagés dans la lutte armée contre Israël – le Hezbollah chiite au nord, le Hamas sunnite au sud. Aujourd’hui, il subit un retour de flamme qu’il n’avait pas anticipé, venu des révolutions «démocratiques» ayant renversé les dictatures «laïques» en terres sunnites. Après la chute des dictateurs Ben Ali, Moubarak, Kadhafi, Saleh, le président Bachar el-Assad est le dernier sur la liste…