L’amélioration des relations turco-israélienne : Assad en rêvait Par Subhi Hadidi

Article  •  Publié sur Souria Houria le 13 juillet 2016

L’amélioration des relations turco-israélienne : Assad en rêvait

Par Subhi Hadidi

In Al-Quds al-Arabi, 2 juillet 2016

Traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier

http://www.alquds.co.uk/?p=560013

 

Un jour, pas si lointain (c’était en 2009), Bachar al-Assad salua un rabibochage entre la Turquie et Israël en ces termes (il s’adressait alors au quotidien turc Hürriyet) :

« Si la Turquie désire nous aider face à Israël, il faut qu’elle ait des relations excellentes avec ce pays ».

Assad avait également déclaré :

« Dans le cas contraire, comment la Turquie pourrait-elle jouer un quelconque rôle dans l’opération de restauration de la paix au Moyen-Orient » ?

À l’époque, Ankara jouait pour la Syrie le rôle d’un canal secret de négociations entre le régime syrien et Israël, et les relations d’Ankara avec l’un et l’autre des deux « camps » connaissait un âge d’or.

Avant cela, en 2004, un sommet bilatéral s’était tenu entre le Premier ministre du régime syrien, Muhammad Nâjî al-‘Itrî, et son homologue turc Recep Tayyip Erdoğan. Ce sommet avait permis la signature du tout premier accord commercial général entre les deux pays. Mais il avait également comporté la signature d’un « accord d’une certaine nature », dans le plus grand secret, au sujet du liwâ’ syrien (sandjak) d’Alexandrette (Iskenderun) occupé par la Turquie depuis 1938.

C’est là un point de « détail » qui retint l’attention du commentateur américain sioniste extrémiste et likoudien jusqu’à la moelle des os Daniel Pipes – non pas, bien entendu, pour déplorer la perte par la Syrie d’une terre qu’on lui avait volée –, mais pour suggérer l’idée que le régime syrien ne voyait sans doute pas dans ses frontières avec la Turquie quelque chose de sacré et d’intangible et que par extrapolation l’on pouvait en déduire qu’il en allait de même en ce qui concernait ses frontières Sud, dans le Golan occupé [par Israël]. Il est fort vraisemblable que Pipes faisait également un lien entre la visite en question (d’Al-‘Itrî à Ankara) et une autre visite à Ankara qu’avait effectuée, quelques heures auparavant, Ehud Olmert, qui était à l’époque le vice-président d’Israël.

Parmi les données de la situation actuelle, il ne semble que non seulement l’amélioration des relations turco-israéliennes est de nature à redonner vie au vieux rêve d’Assad (à savoir son rêve selon lequel Tel Aviv oeuvrerait à modifier la position d’Ankara sur le régime syrien afin que ce dernier se rapproche [encore] davantage, s’il était possible, des considérations stratégiques d’Israël dans ce dossier), mais que ce revirement est aussi une réponse positive à une « demande » russe (et Dieu sait si les « demandes » russes sont des ordres pour Al-Assad !) après les dernières avancées auxquelles nous avons assisté en matière de réchauffement des relations entre Ankara et Moscou.

Ce qui est constant, c’est le fait que les relations turco-israéliennes, en particulier dans leur dimension historique, sont plus profondes que ne tendrait à le suggérer un feuilleton télévisé turc qu’Israël taxe d’antisémite et plus dangereuses que le retrait spectaculaire d’Erdoğan au beau milieu d’un débat des plus houleux avec Shimon Peres lors d’un sommet de Davos – et qu’elles ont plus d’importance que l’humiliation vulgaire, de bas étage, d’un ambassadeur – mais qu’elles sont néanmoins de moindres conséquences que l’attaque israélienne contre la « Flottille de la Liberté » au large de Gaza, mais toutefois trop anciennes pour que la mort de neuf citoyens turcs [sur la vedette Mavi Marmara, ndt] lors de cette attaque eût été de nature à les faire voler en éclats.

Un jour, à propos des relations turco-israéliennes, David Ben Gourion avait dit que celles-ci étaient « comme les relations entre un homme et son amante : il veut cette relation, il y tient et il les entretient… mais… à la condition qu’elles restent secrètes… ».

En recourant à cette image, Ben Gourion voulait insister sur deux points, à savoir d’une part sur le fait que les relations turco-israéliennes étaient solides, intimes et chaleureuses, propres à une histoire, à des racines et à des intérêts communs, et d’autre part que dans le même temps il s’agissait de relations « illégitimes », en un certain sens, dès lors que le secret était la condition sine qua non de leur continuation.

Depuis la conférence de Madrid (en 1991) et les accords de Wadi Arava et d’Oslo [qui y firent suite], le cours de la vie a rendu dans la pratique cette condition obsolète, et Ankara a considéré que les critiques et les reproches arabes et islamiques au sujet de tout développement par la Turquie de ses relations avec Israël étaient devenus sans objet, ou qu’il fallait qu’ils le deviennent, désormais. « Nous ne serons pas plus royalistes que le roi », ont dit alors les Turcs, et c’est ce qu’ils redisent aujourd’hui. Ils pensent que les Arabes n’ont pas à leur reprocher ce qu’eux-mêmes faisaient il n’y a pas si longtemps, à savoir établir des relations diplomatiques avec l’État juif et normaliser leurs relations politiques, économiques, culturelles et touristiques avec celui-ci…

Bien au contraire, les Turcs peuvent se prévaloir leur propre comportement : « N’avons-nous pas veillé aux droits des habitants de la bande de Gaza et à ceux des Palestiniens de manière générale, bien davantage que les Arabes eux-mêmes ne l’ont fait ? Israël ne nous a-t-elle pas présenté des excuses, elle dont les excuses ne sont ni son fort ni dans ses habitudes ? Et oyus Israël ne verse-t-elle pas, aujourd’hui, des dédommagements financiers et aux victimes turques et aux ayant-droits des tués turcs de la « Flottille de la Liberté » ?

Même si la réponse à ces questions est « oui », l’amélioration des relations turco-israéliennes n’en représente non moins la réalisation d’un vieux rêve éveillé de Bachar al-Assad…