« Le CNS doit s’ouvrir à tous les opposants » – entretien de Bassma Koudmani

Article  •  Publié sur Souria Houria le 11 juin 2012

 

Propos recueillis par Christophe Ayad

De gauche à droite : Ahmed Ramadan, Bassma Kodmani, Abdoulbaset Seida et Imad Aldin Rashid à la réunion du Conseil national syrien à Istanbul, le 29 septembre 2011.

 

Le Conseil national syrien (CNS) devait se retrouver samedi 9 et dimanche 10 juin 2012 à Istanbul pour une réunion cruciale destinée à désigner un successeur au président sortant, Burhan Ghalioun, qui avait présenté sa démission en mai à la suite de vives critiques sur son immobilisme. Il devrait être remplacé par Abdel Basset Sieda, un intellectuel indépendant, seul membre kurde du bureau exécutif du CNS.

Alors que massacres et attentats se multiplient, menaçant de plonger la Syrie dans une guerre civile totale et incontrôlable, le CNS, critiqué pour son éloignement du terrain et ses divisions intestines, est à un moment crucial de sa jeune histoire. Son incapacité à incarner une relève risque d’accélérer le processus de désintégration de la Syrie et de sa société. Bassma Kodmani, porte-parole du CNS, s’en explique.

Le Conseil national syrien traverse-t-il une crise grave ?

Nous sommes dans une phase assez difficile. La formule pensée à la naissance du Conseil était relativement équilibrée en termes de représentativité entre l’intérieur et l’extérieur, entre les formations politiques traditionnelles et les mouvements sur le terrain, entre les partis et les personnalités indépendantes. Mais on a construit quelque chose qui ressemblait plus à une structure statique qu’à un moteur qui pouvait s’adapter, s’élargir et intégrer au fur et à mesure que la situation le requiert.

On a trop pensé en termes politiques et pas assez opérationnels. On a passé trop de temps à faire de savants équilibres entre les uns et les autres et pas assez à dire qui fait le travail et comment on le fait. La révolution n’a pas besoin de jeux politiques partisans, elle a besoin d’assistance humanitaire, d’aide médicale, d’argent, de bons relais médiatiques, de soutien diplomatique. C’est ce que nous demande la population.

La légitimité du CNS ne viendra pas de sa représentativité, qui reste virtuelle, mais de sa performance. C’est en étant efficace qu’on sera légitime. Il y a beaucoup d’immobilisme. On avance mais bien en deçà de ce qui est nécessaire. Nous sommes même à la traîne.

L’échec du Conseil ne risque-t-il pas de porter un coup fatal à la révolution, faute d’alternative à Bachar Al-Assad?

Le Conseil est face à une épreuve, un test de crédibilité. La crise que nous avons vécue avec la démission de Burhan Ghalioun est un signe que le CNS doit s’ouvrir et se réformer. Il nous faut créer un cadre plus souple où tous les courants soient représentés et se regroupent autour de missions humanitaires, diplomatiques voire militaires.
Nous allons d’abord nous mettre d’accord sur une personnalité consensuelle pour remplacer Burhan Ghalioun. Mais le vrai défi de ce nouveau président sera de veiller à la restructuration et à la réforme du Conseil, de manière à ce qu’il soit plus efficace et capable d’intégrer des nouveaux venus.

Lesquels ?

Tous. Le Conseil n’appartient à personne. S’il devenait l’apanage de certains, ce serait un échec. C’est un cadre national dans lequel chacun doit pouvoir trouver sa place. Cela va de certains mouvements de coordination sur le terrain à la Coordination nationale  en passant par des individus. Tout cela est très récent et fluide.

On reproche souvent au CNS d’être le jouet des islamistes…

Les minorités sont représentées, elles participent à la révolution. Il y a des chrétiens, des druzes, des alaouites, des Kurdes. Mais les Frères musulmans étant les plus organisés au sein du CNS, ils arrivent mieux à influencer sa ligne politique. C’est comme ce qui se passe en Egypte et en Tunisie. Il va falloir que les forces laïques se regroupent pour peser. Or, il y a une réticence à former des blocs politiques tant que la révolution est en cours. Mais peut-être qu’elle va durer.

Où en est-on de la participation des Kurdes au CNS ?

Le Conseil national kurde [CNK] n’a pas rejoint le CNS pour le moment. Il avait des demandes assez radicales comme l’autodétermination ou la décentralisation politique, qui est une forme de fédéralisme. C’était inacceptable pour le CNS qui n’est pas une instance élue et ne peut donc s’engager sur de tels droits portant atteinte à l’intégrité territoriale de la Syrie. Il y a eu des négociations très longues avec le CNK. Elles n’ont pas abouti, mais le terrain d’entente est là. Le CNK est revenu sur l’autodétermination et il parle désormais de décentralisation administrative.

Ce qu’il reproche au CNS, c’est de ne pas être assez laïque. L’intégration du CNK au CNS est très importante à cause de la question kurde, mais aussi parce que les Kurdes sont très présents dans les grandes villes.

Le massacre d’Houla, le 25mai [108morts], marque-t-il un tournant vers la guerre civile ?

C’est l’épisode le plus choquant d’une stratégie que le régime met en œuvre depuis plusieurs mois. Houla marque un tournant par la férocité de ce qui s’y est passé et parce que c’est un village sunnite isolé au milieu de plusieurs villages alaouites: il y a comme une tentative d’épuration afin de créer un territoire homogène.

Ce massacre et ceux qui ont suivi pourraient aussi indiquer une perte de contrôle par le régime de ses forces sur le terrain. On n’est pas encore en guerre civile, mais tout est fait pour que ça bascule. Le régime arme systématiquement et entraîne les minorités qui lui sont proches. Je note qu’il n’y a pas encore eu d’acte de revanche. Combien de temps peut-on l’empêcher?

Après quinze mois de tueries, désespérez-vous de la communauté internationale ?

La communauté internationale a toujours été en deçà de ce qui était requis. Son absence de détermination dans le discours a toujours été comprise par le régime comme la possibilité de continuer à tuer impunément. Et les mesures coercitives, c’est-à-dire les sanctions, sont efficaces mais lentes et insuffisantes. Le fait que même l’aide humanitaire ne parvienne pas à ceux qui en ont besoin est un message dévastateur pour la population, qui en conclut qu’elle ne peut compter que sur elle et sur Dieu. C’est la porte ouverte à la militarisation et à la confessionnalisation.

Où en sont les relations entre le CNS et l’Armée syrienne libre ?

L’apparition des armes est un choix spontané de la population face à la férocité de la répression. En revanche, le Conseil a la responsabilité d’organiser, d’encadrer et de structurer ce mouvement sur le terrain. Autrement dit, savoir qui sont ces groupes, qui les commande, comment on peut coordonner leur action. Sinon, il y a un grand risque de chaos.

Propos recueillis par Christophe Ayad

source: http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/06/09/syrie-le-cns-doit-s-ouvrir-a-tous-les-opposants_1715517_3218.html