Le combat opiniâtre d’Haytham Manna, opposant de toujours au régime syrien – Benjamin Barthe
Son père est mort le premier, au douzième jour du siège de Deraa. Sa santé n’a pas résisté à la répression des manifestations qui ont secoué à la mi-mars cette ville du sud de la Syrie, berceau du soulèvement anti-Assad. Puis ce fut le tour de son cousin, il y a un mois, décédé sous la torture pour avoir refusé de parler. Le 8 août, enfin, c’est le nom de son frère qui s’est ajouté à la longue liste des martyrs de la révolution. Liquidé d’une balle dans la tête, par un officier de la sécurité syrienne, après avoir été blessé dans un cortège à Deraa, le fief de la famille. « Il venait d’être libéré sous caution, mais c’était un piège, raconte Haytham Manna, 60 ans, opposant exilé à Paris à la fin des années 1970. Plusieurs manifestants ont été assassinés comme cela ».
C’est pour eux et pour toutes les autres victimes de la barbarie du régime Assad que Haytham Manaa sillonne le monde, avec sa petite valise à roulettes. En l’espace de cinq mois, ce médecin de formation, actuel porte-parole de la Commission arabe des droits humains, a visité près de trente pays, alternant les séances de lobbying auprès des diplomates, les réunions de coordination avec les ONG humanitaires et les dépositions devant la mission d’enquête sur la Syrie, mandatée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, à Genève. Les conclusions des enquêteurs, rendues publiques mercredi 18 août, qui évoquent de possibles « crimes contre l’humanité » et appellent à la saisine de la Cour pénale internationale (CPI), ne l’ont pas surpris. « J’ai les preuves qui démontrent une politique d’assassinat et de torture systématique. Tous ces éléments sont constitutifs de crimes contre l’humanité ».
C’est en 1978 qu’il pose ses valises à Paris et obtient l’asile politique. Un de ses amis, l’universitaire français Michel Seurat, qui devait mourir quelques années plus tard dans les geôles du Hezbollah libanais et dirigeait alors le Cermoc, un centre de recherche français à Beyrouth, l’avait convaincu de quitter la Syrie, où la police politique de Hafez Al-Assad, le père de l’actuel président, était à ses trousses.
Il dirigeait alors une organisation étudiante de gauche clandestine, ce qui lui avait valu d’avoir sa photo placardée dans tous les postes frontières du pays. « Je suis parti en avion, raconte Haytham Manna. J’ai emprunté le passeport d’un ami ingénieur, dont j’ai falsifié la photo. Durant le vol, un homme a été pris de malaise et l’équipage a demandé si un médecin se trouvait parmi les passagers. Je venais de dire à mon voisin que j’étais ingénieur. Mais je me suis porté volontaire et l’homme a pu être tiré d’affaire. »
« Bataille de l’impunité »
Durant les trois décennies qui ont suivi, ce souci de l’autre ne l’a pas quitté. Médecin de garde la nuit à l’hôpital de La Salpêtrière, à Paris, militant le jour, il a publié une trentaine de livres sur les droits de l’homme et bouclé plus de quatre-vingts missions à l’étranger, sur tous les théâtres de violences de la fin du XXe siècle : Algérie, Rwanda, Bosnie, Gaza.
Fréquent visiteur de Luis Moreno Ocampo, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), à La Haye, il se bat pour que les crimes du clan Assad ne restent pas impunis, sans perdre de vue l’objectif final : la libération du peuple syrien.« La bataille de l’impunité doit être gagnée. On va choisir une liste d’une dizaine de cas d’assassinats extrajudiciaires, dont celui de mon frère et les soumettre à la CPI. Mais on doit surtout gagner l’essentiel, c’est-à-dire la démocratie. C’est ça la grande bataille. »
Source: Le monde du 20 Aout 2011, page 4