« Le conflit syrien pour les Nuls » – Par Ahmad Baïdun (écrivain libanais)
« Hou là, c’est compliqué, la Syrie ! »… Excédées apparemment d’entendre répéter cette phrase en France, un petit groupe de Françaises connaissant la Syrie et de Syriennes établies en France ont décidé de faciliter la compréhension du conflit en cours en Syrie à ceux qui le désirent, et ce, aussi faible que soit leur capacité de le comprendre. De plus, les jeunes femmes à l’origine de cette initiative ont choisi de donner pour titre au petit ouvrage qu’elles ont écrit : « Le conflit syrien pour les Nuls »….
C’est là un de ces exemples où il s’avère que faire comprendre quelque chose à un « nul » exige chez ceux qui s’y attèlent une compréhension et une capacité cognitive exceptionnelles.
Les auteures de l’opuscule sont qui journaliste, qui universitaire. Mais toutes ont en partage une avidité de suivre dans les moindres détails les événements qui se déroulent en Syrie et autour de la Syrie. Elles ont créé, pour réaliser ce travail, un site internet dédié sur la toile et elles veillent à le mettre à jour autant qu’il est nécessaire de le faire. Elles l’ont organisé de belle manière en une courte présentation, cinq chapitres et une conclusion, dans laquelle elles ont résumé ce qui était résumable. Et elles n’ont jamais caché que les conséquences de la violence qui fait rage en Syrie pour la France sont l’élément qui a conféré un caractère urgent à la nécessité, pour les Français, de disposer d’une image claire de ce qui se produit dans ce pays. Les auteures ont déclaré qu’elles ne sont pas neutres, mais qu’au contraire elles sont engagées dans la défense du droit à la démocratie des Syriens. Mais en plus de cela, elles veulent présenter les réalités et les faits avec objectivité et elles veillent à faire en sorte que ce qu’elles veulent réaliser, à savoir une présentation simple, le soit au sens de facile à comprendre et non au sens de simplet et infantilisant. Le lecteur, tout au long de l’exposé, tombe sur ce qui étaye cette prétention et qui le rassure quant à la prise en compte de toutes les prises de position et de toutes les réalités sur le terrain ainsi que sur la fiabilité des sources d’information retenues. Après une présentation très condensée du pays et de la phase contemporaine de son histoire, le premier chapitre de l’ouvrage est consacré à la recension de la pertinence des motivations qui ont amené les Syriens à manifester dans les rues, au plus chaud du « Printemps arabe », soulignant le caractère pacifique de ces manifestations que les manifestants ont réussi à maintenir durant plusieurs mois et rappelant l’acharnement du régime, durant tout ce temps-là, à mater les manifestations par des tirs à balles réelles, des arrestations et le recours à la torture à grande échelle qui n’ont même pas été épargnés aux enfants, mais qui ont même commencé par les frapper. Tout cela est attesté par une statistique établie par l’ONU : cette répression en Syrie avait causé la mort d’au minimum 5 000 personnes seulement à la fin de l’année 2011.
Puis la rébellion passa à la phase armée. C’est là un choix dont la justesse est encore aujourd’hui l’objet de controverse, et les opposants [au régime] ne font pas exception parmi ceux qui le regrettent, même si la nécessité de défendre les manifestants ainsi que les quartiers et les villages qui s’étaient soulevés était évidente dans son principe. Le 31 juillet 2011, un premier groupe d’officiers ont proclamé qu’ils faisaient défection de l’armée du régime. L’« Armée Syrienne Libre » qu’ils constituèrent ne disposait que d’armes légères : cela n’empêcha pas le régime de répliquer à son apparition en recourant aux canons dans sa répression, après les fusils d’assaut.
La controverse autour du choix de recourir à la lutte armée conduit à une autre autour de la nature des événements qui se sont produits depuis lors : s’agit-il d’une « révolution » (visant à mettre fin à une dictature décidément trop ancienne, puisqu’elle avait perduré plus de quarante ans), ou bien cette révolution avait-elle tourné à l’insurrection armée ? Ou bien est-ce que cet affrontement entre des forces constituées de citoyens du pays avait transformé cette révolution en « guerre civile » ? Ou bien encore, la rivalité entre les forces armées du régime, avec ses avions, ses tanks et ses canons, et les forces révoltés contre lui, avec son armement léger extrêmement limité, avait-il fini par faire de ce conflit une « guerre menée contre les civils » ?
Et de la même manière que l’exposé dont nous parlons donne le choix entre celui qui le consulte entre toutes les dénominations contradictoires entre elles du conflit en cours, qui en définissent les différentes natures, il n’en ni nullement la dimension confessionnelle. Il ne la nie pas, mais il insiste sur le poids excessif donné à la communauté alaouite à laquelle appartient le président [Bachar al-Assad], les Alaouites ne représentant qu’environ 10 % de la population du pays, au sein de l’armée et des multiples services de sécurité, c’est-à-dire au sein de l’appareil qui domine le cœur du pouvoir.
Ensuite, l’exposé fait l’historique de la perte, par le régime, de son contrôle sur des régions du pays de plus en plus étendues, sur ses villes et sur des parties de villes. Il rappelle la création des « conseils locaux » qui étaient chargés d’administrer la vie quotidienne des zones libérées. Il rappelle aussi l’arrivée de la rébellion jusqu’aux frontières de la Turquie et ce que cela a permis en fait de facilitation de l’approvisionnement des révolutionnaires, mais aussi de début de l’arrivée de combattants non syriens dans le pays. L’exposé rappelle également les bombardements aériens quotidiens perpétrés par l’aviation du régime sur les régions insurgées qui avaient échappé à son emprise et les milliers de morts et les destructions énormes qu’ils ont causés, sans parler du déplacement de plusieurs dizaines de milliers de civils.
Depuis 2011, la situation en Syrie a considérablement changé. Le discours démocratique a régressé dans les rangs de la plupart des groupes combattants, quand il ne s’est pas transformé en son exact contraire. Les instances de la société civile sont restées actives, mais beaucoup de ceux qui les animaient ont été visés par une répression féroce qui les a éloignés lorsqu’elle ne les a pas exterminés.
Sur le champ de bataille, l’exposé estime à quatre les forces qui s’affrontent. La première, qui est constituée de l’armée du régime et de ses supplétifs, des milices composées d’étrangers à la Syrie, ne contrôle pas plus d’un tiers du territoire syrien, mais ce tiers englobe la plus grande partie de ce qu’il est convenu d’appeler « Syrie utile ». Cette force se repose sur l’aviation, sur ses hélicoptères et sur ses barils de TNT. Elle prend pour cibles, contrairement à ses affirmations destinées à sa propagande, bien plus les régions contrôlées par l’opposition syrienne armée que celles qui sont sous la coupe de Dâ‘esh (le prétendu « État islamique »).
La deuxième force présente sur le terrain en Syrie est constituée des formations armées de l’opposition, dans les rangs desquels la présence de l’Armée Libre Syrienne a régressé, tandis que n’a cessé d’augmenter l’influence des groupes ayant une orientation islamiste du fait de diktats de la part des sources leur apportant un soutien logistique, essentiellement des pays du Golfe. La domination de ces forces se concentre dans le nord de la Syrie, à proximité de la frontière turque, et en particulier sur plus de la moitié de la ville d’Alep. De plus, ces mêmes forces exercent leur hégémonie sur les ceintures rurales des autres principales villes du pays, notamment sur la Ghouta (oasis) de Damas.
Toutes ces régions sont exposées à des bombardements auxquels l’aviation russe participe depuis l’automne 2015. Une proportion énorme des habitants a dû quitter ces régions et se disperser tant à l’intérieur du pays qu’au-delà de ses frontières.
La troisième force belligérante est constituée par l’armée du soi-disant « État islamique », connu sous son acronyme arabe de Dâ‘esh (initiales pour « L’État Islamique en Irak et au Levant » – Ad-Dawlatu-l-’Islâmiyyatu fî-l-‘Irâqi wa-sh-Shâm), dont 80 % des combattants ne sont pas syriens, mais sont venus en Syrie de tous les coins du monde. Leur programme est axé sur la revivification du califat, ce qui dépasse largement la seule opposition au régime Assad, et il se caractérise par la barbarie des moyens auxquels il a recourt pour ce faire. Aujourd’hui, ce soi-disant « califat » est sur le recul après que les aviations de pays coalisés menés par les États-Unis ont conjoint leurs efforts pour le frapper. L’aviation russe s’est jointe à cette coalition internationale également à l’automne 2015.
La quatrième force belligérante en Syrie est constituée des formations armées kurdes qui font allégeance au Parti des Travailleurs du Kurdistan (le PKK) que dirige depuis sa prison Öcalan. Cette force ne peut être considérée comme étant opposée au régime Assad, car elle ne reconnaît pas l’opposition politique syrienne au point d’en faire partie, mais elle compte sur un « Conseil National Kurde » pour représenter les Kurdes [de Syrie]. Quant à ses forces armées, elles n’ont d’autre préoccupation que d’étendre leur contrôle sur les régions kurdes et d’y instaurer leur autonomie. Mais elles ont joué un rôle éminent en empêchant Dâ‘esh de gagner encore davantage de terrain qu’il ne l’a fait et elles ont combattu avec certaines formation de l’Armée Libre Syrienne pour chasser Dâ‘esh de la ville de Tall Abyad et de ses environs en bénéficiant de l’appui aérien que leur a apporté la coalition internationale, qui a bombardé les positions tenues par Dâ‘esh et qui leur a fourni des armes, contre la volonté de la Turquie.
Après ce passage en revue des forces armées présentes sur les divers fronts en Syrie, l’exposé passe à la définition des parties prenantes politiques et à celle de leurs positions sur le conflit et sur ce qu’elles en attendent. Cette définition requerra de notre part une nouvelle recension à venir…
traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier