Le cri d’alarme des médecins d’Alep – par Caroline Hayek
L’Union des organisations de secours et soins médicaux (l’UOSSM) et ses médecins se mobilisent pour informer l’opinion publique de la catastrophe humanitaire à Alep.
Hôpitaux en ruines, personnel médical sur le pied de guerre de 36 à 48 heures d’affilée, médecins qui manquent à l’appel… Dans les quartiers est d’Alep, la situation humanitaire se dégrade chaque jour davantage, alors que la population suffoque depuis que les forces du régime ont repris la route du Castello, coupant ainsi toutes possibilités de ravitaillement pour les rebelles.
En moins de 24h, quatre hôpitaux de campagne et une banque de sang d’Alep ont été pris pour cible lors de raids du régime syrien. Dans la nuit du 23 au 24 juillet, les hôpitaux d’al-Bayan, al-Hakim, al-Zahra et al-Dakak ont été détruits. Ce n’est pas la première fois que Damas s’en prend à des hôpitaux. Le 15 février dernier, un hôpital soutenu par Médecins sans frontières (MSF) à Maaret al-Naaman, dans le Nord syrien, avait été touché. Le ministre français des Affaires étrangères avait condamné ces attaques « délibérées » contre les structures de santé en Syrie par « l’armée ou ses soutiens », les qualifiant de « constitutives de crimes de guerre ». En mai dernier, plus de 270 personnes avaient été tuées en seulement 12 jours à Alep-Est, quatre hôpitaux ayant notamment été touchés. La mort de l’un des derniers pédiatres de la ville, Mohammad Wassim Maaz, de l’hôpital al-Qods, avait provoqué une vague d’effroi.
Depuis le début du conflit en 2011, plus de 700 médecins et personnels médicaux ont été tués lors d’attaques d’hôpitaux, selon le président de la commission d’enquête de l’Onu sur les droits de l’homme en Syrie, Paulo Pinheiro, qui s’est exprimé à Genève le 21 juin dernier.Cette nouvelle attaque délibérée contre ces centres de soins, le week-end dernier, alors même que les 300 000 habitants sont pris au piège, viole de manière flagrante le droit international humanitaire et l’accord de cessation des hostilités. Trois hôpitaux sont désormais hors service et le quatrième, où un nourrisson est décédé, a été sérieusement endommagé. Si la manœuvre utilisée par le régime depuis le début du conflit a pour but de faire fuir les populations et de libérer la zone des civils, à Alep assiégée, l’objectif est de priver les habitants de tout pour les pousser à déposer les armes. Aucune aide internationale n’a pu entrer dans les secteurs rebelles depuis le 7 juillet.
Face à cette catastrophe sanitaire et humanitaire visant les civils, les hôpitaux et le personnel médical, des médecins et humanitaires à Alep et partout dans le monde ont lancé un appel au secours : #SOSMedecinsAlep. À travers de courtes vidéos, les derniers volontaires au service de leurs compatriotes témoignent de leur désespoir et de leur épuisement.
Certains d’entre eux vivent toujours à Alep, alors que d’autres ont exercé à Alep comme médecins humanitaires. Ils sont tous membres de l’Union des organisations de secours et soins médicaux (UOSSM), une ONG fondée en 2011 par des médecins syriens exerçant dans les hôpitaux français, qui soutient plus de 120 hôpitaux et plus de 200 centres de santé à travers toute la Syrie.
« La situation est catastrophique », rappelle le Dr Anas Chaker, un médecin anesthésiste franco-syrien exerçant en France depuis plus de 30 ans, contacté par L’Orient-Le Jour. Il ne reste qu’un seul chirurgien vasculaire à Alep-Est. « Au Canada, il y a 13 lits dédiés aux soins intensifs pour 100 000 habitants, 20 lits pour le même nombre d’habitants aux États-Unis, et actuellement à Alep, il n’y a que 12 lits pour 300 000 habitants », déplore-t-il. Depuis près d’un an et demi, les hôpitaux et les médecins sont devenus les cibles privilégiées des aviations syrienne et russe.« Les médecins à Alep sont submergés et déprimés. Ils sont littéralement piégés dans les hôpitaux et travaillent plus de 18 heures par jour. Avec la fermeture de l’hôpital M2, le système médical est en train d’atteindre son point de rupture », explique le Dr Aziz, chirurgien général et directeur de recherche de l’UOSSM à Alep, dans le dernier communiqué de l’ONG.
Le Dr Mohammad Chahine est dentiste dans une clinique de l’UOSSM à Alep. Il a pu rejoindre, le 13 juillet dernier, son épouse sur le point d’accoucher, en Turquie, malgré le siège de la ville entamé une semaine plus tôt. « Des médecins sont partis fêter le Fitr auprès de leur famille réfugiée en Turquie ou à la frontière, mais ils n’ont pas pu revenir à Alep », raconte le Dr Chahine contacté par téléphone. Il décrit la situation comme extrêmement tragique. « Elle était lamentable avant le siège, mais là c’est devenu pire, notamment à cause du fait que le régime cible expressément les centres de santé », déplore-t-il. Seuls quelques hôpitaux de campagne sont encore en activité, mais ils se retrouvent terriblement désarmés au vu du nombre de blessés qui affluent quotidiennement. Il y a quelques jours, un homme gravement atteint est décédé alors qu’il attendait son tour pour subir une opération chirurgicale, devant un personnel médical impuissant. « Il y a une hystérie dans la ville qui se propage à Alep. Après l’encerclement, le manque de pain, d’essence, ils ne peuvent même plus être secourus », dit-il.
Le 26 juillet, un appel de l’armée a été relayé par l’agence officielle Sana, exhortant les habitants des quartiers rebelles à « rejoindre la réconciliation nationale et chasser les mercenaires étrangers ». L’armée aurait envoyé des SMS aux habitants et aux combattants identifiant des « passages sécurisés » pour les civils désirant fuir et exhortant les rebelles à rendre les armes. Hier, Moscou est allée dans le même sens en déclarant que 4 corridors allaient être ouverts. Mais la crainte et l’angoisse persistent au sein de la population. « Les gens ont très peur et ils vont certainement refuser d’aller côté régime », estime le Dr Chahine. Des habitants, contactés via Facebook, confient que « les civils n’ont pas confiance en ce régime et ne seraient pas prêts à quitter ainsi la ville », affirme l’un d’entre eux.
Le silence assourdissant de la communauté internationale laisse les habitants d’Alep et ses médecins en plein désarroi. « La réponse de la communauté internationale est inexistante face à cette catastrophe, dans des conditions où les hôpitaux sont visés systématiquement, ce qui est du jamais-vu », interpelle le Dr Chaker. Même exaspération du côté du Dr Chahine, qui estime que cela fait cinq ans qu’on entend parler d’une action de la communauté internationale mais que rien ne vient. Une fois que son enfant sera né, il assure vouloir retourner aider les siens, à Alep.