Le frémissement de la capitale ranime l’espoir en Syrie – par Marc GOGNON
On disait Damas « en retard » sur le mouvement qui agite depuis des mois la population syrienne. A la différence de nombreux endroits, nulle manifestation de masse ne s’y déroulait. On affirmait, il y a un mois, que le mouvement était sur sa décrue, que la tentation d’une révolte armée menaçait et que les activistes songeaient à l’exil. On assistait, médusé, à la fin du ramadan, à la profanation d’une mosquée en plein Damas et à des brutalités contre le cheykh Ousama al Rifa’i qui y officiait. Le doute gagnait : que faisaient les Damascènes ?
Le déploiement massif des forces armées dans la ville explique bien sûr cette situation. Sait-on que, à la différence de la place Tahrir au Caire, une caserne, un siège de l’armée ou un centre des moukhabarat jouxte immédiatement chaque place de Damas ? Sait-on que la place des Abbassides est sévèrement gardée, et que des hommes casqués s’entassent, chaque vendredi, dans les rues adjacentes ? Ces détails suggèrent insuffisamment la réalité de l’emprise sécuritaire qui s’exerce sur une ville dont les moindres faits et gestes sont épiés de mille manières : par les forces de police, par les services de renseignement dont l’uniforme classique – le blouson de cuir – rend les éléments reconnaissables entre tous, mais aussi par les marchands ambulants dont la présence est tolérée – en réalité rémunérée – pour mieux scruter ce qui se passe dans chaque rue. Nul rassemblement ne peut se faire sans provoquer l’arrivée des hordes du régime. Ces dernières cependant se fatiguent. Le régime se montre de plus en plus méfiant. Phénomène oublié au cours des années 2000, les administrations syriennes connaissent à nouveau le doublement du personnel : tout responsable – militaire ou civil – a vu s’installer à sa porte un homme fraichement embauché par les services afin de « réguler » les entrées et sorties.
Comme on l’a déjà indiqué, la répression menée en silence contre les chabâb a eu pour conséquence une diminution drastique du nombre des jeunes cyber-activitistes. Ils étaient naïfs, comme toutes les avant-gardes des mouvements de résistance. Ils en ont sévèrement payé le prix. De même, les attentes déçues des manifestations du mois de ramadan avaient conduit à espérer à d’autres solutions. Et puis, et puis… le balancier est revenu. Un peu à la manière d’autres temps en histoire, les contestataires sont passés de nouveau de la résignation à la résolution. Le combat engagé devait être poursuivi. Cela signifiait pour beaucoup accepter de vivre avec la peur et donc être en mesure de la dépasser. La libération des prisonniers torturés et la force nouvelle acquise dans cette épreuve ultime ont porté leurs fruits : le régime voulait enterrer le mouvement dans la peur, il a réveillé et enraciné les ardeurs. Les jeunes aux corps blessés sont maintenant résolus et ils entraînent derrière eux les autres grâce à leur détermination.
Les actions, même minimes et insignifiantes, se multiplient. Des balles de ping-pong répandues dans le souq du vendredi portant la mention « la chute du régime ». Des amplis installés sous un bâtiment officiel, suffisamment dissimulés pour pouvoir diffuser durant une dizaine de minute que « le peuple veut la chute du régime ». Des tags qui se multiplient. Saluons tout particulièrement ceux qui ont réussi à apposer des inscriptions sous le pont qui fait face à la gare du Hijaz. Les contestataires ont changé de registre. Ils sont devenus plus audacieux. Ils ont compris qu’ils pouvaient poursuivre la lutte sous de multiples formes. Ils portent surtout un vibrant espoir né – et c’est important – une semaine avant la décision de la Ligue arabe. Cette dernière n’a fait que les confirmer dans leur engagement. Admirons encore une fois la détermination, l’inventivité, la bravoure de ces jeunes du peuple syrien, prêts à montrer au monde que la liberté peut être arrachée à n’importe quel dictateur.
source: http://syrie.blog.lemonde.fr/2011/12/03/le-fremissement-de-la-capitale-ranime-lespoir-en-syrie/