Le régime Assad est accusé d’avoir perpétré trente-cinq attaques au chlore depuis la mi-mars – par Kareem Shaheen – traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier

Article  •  Publié sur Souria Houria le 2 juin 2015

 

Des bénévoles de la défense civile syrienne nous ont dit que les commentaires faits par Obama à Camp David sur l’utilisation de chlore dans des opérations militaires  n’avaient fait que donner un blanc-seing au régime Assad

Par une après-midi de la mi-mars, un baril explosif dont on soupçonne qu’il avait été chargé notamment avec du chlore est tombé sur un village dans le nord de la Syrie. Le gaz a pénétré par une ouverture servant à ventiler la maison, suffoquant tous les membres d’une famille : les trois enfants, leurs parents et leur grand-mère.

 

A man breathes through an oxygen mask after an alleged chlorine gas attack in Idlib

Après un bombardement à Idlib qui aurait comporté l’utilisation de chlore, un civil doit respirer de l’oxygène (photo Reuters).

 

« Parmi les enfants, une fillette est morte sans un mot avant que nous soyons arrivés à l’hôpital », nous dit Raed Saleh, responsable d’un service de défense civile appelé localement Casques Blancs. « Nous avons fait tout notre possible afin de la sauver, mais elle est partie en silence. Tel était son destin : mourir sans un mot, sous les yeux du monde entier… »

  1. Saleh nous dit que c’était la deuxième attaque chimique cette nuit-là, en ouverture d’une campagne durant laquelle trois douzaines de bombes analogues furent lâchées, rapportent les travailleurs médicaux et humanitaires, pour la plupart sur des cibles civiles dans la province d’Idlib qui est passée sous le contrôle d’une coalition de combattants rebelles syriens au mois de mars.

Le directeur de l’hôpital de Sarmine, M. Muhammad Tennari, était présent cette première nuit de bombardement, après quoi il a dû traiter un flot quasi incessant de victimes présentant des symptômes d’une exposition à du chlore.

« Les enfants qui nous ont été amenés suffoquaient et nous ne pouvions rien faire pour eux parce qu’ils avaient inhalé trop de chlore », a expliqué M. Tennari au Guardian à Idlib, décrivant les cas les plus critiques dont il a dû s’occuper. « C’est terrible, de voir des enfants suffoquer devant vous sans que vous puissiez faire quoi que ce soit… »

Depuis le 16 mars, les bénévoles de la défense civile et les médecins ont documenté trente-cinq attaques par barils explosifs au cours desquelles du gaz aurait été  utilisé, la dernière ayant eu lieu mercredi près de l’ancienne place forte du régime syrien à Jisr al-Shughour, causant plus de mille blessés et neuf tués. Plus de vingt bénévoles de la défense civile ont été blessés au cours des opérations de secours.

 

Une victime d’une attaque au chlore respire avec un masque à oxygène à l’hôpital de Sarmine (photo prise par un groupe de la défense civile syrienne).

 

« Dès lors que le régime a perdu le contrôle d’une région ou d’une ville, vous pouvez être sûr qu’il se vengera de manière indiscriminée contre les civils », nous dit M. Saleh, ajoutant : « les civils sont ciblés délibérément ».

  1. Tennari nous a ensuite expliqué que la plupart des victimes ne présentaient pas de blessures apparentes, mais qu’elles souffraient de problèmes respiratoires aigus et de très graves inflammations oculaires, leurs yeux étant injectés de sang. Des vidéos montrent des médecins versant de l’eau sur les victimes après les avoir dévêtues afin de diminuer l’exposition de leur peau aux produits chimiques, après quoi ils leur fournissaient des masques à oxygène et des médicaments pour les voies respiratoires.

« La plupart des cibles visées sont des zones civiles, et la plupart des victimes sont des femmes et des enfants », nous a dit M. Tennari. « Désormais, c’est presque quotidien ».

Dans leur grande majorité, ces attaques ont visé les villes et les villages de la région d’Idlib, et les bénévoles de la défense civile disent qu’ils n’ont plus de médicaments permettant de traiter les symptômes provoqués par des attaques au chlore.

Cette province du nord de la Syrie a souffert d’une campagne de bombardements punitifs perpétrés par le régime Assad après être tombée aux mains de rebelles syriens soutenus par l’Arabie Saoudite et par la Turquie à la fin mars. On trouve parmi ces rebelles connus sous le nom de Jaysh al-Fath (l’Armée de la Conquête, ndt) des islamistes conservateurs, des bataillons modérés de l’Armée Syrienne Libre et des hommes de la Jabhat al-Nuçra (Front de la Victoire, ndt), une formation armée oppositionnelle syrienne affiliée à Al-Qâ‘ida.

 

La vidéo ci-après postée sur divers réseaux sociaux affirme montrer des victimes civiles d’une attaque au chlore et traitées dans un hôpital syrien :

http://multimedia.guardianapis.com/interactivevideos/video.php?octopusid=10155569&format=video/mp4

 

L’aviation de guerre d’Assad a lancé plus de 2 000 raids contre la province d’Idlib depuis que sa capitale régionale, la ville éponyme, a été conquise par les rebelles, le 28 mars, indique l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme.

Cette campagne aérienne en escalade constante a également coïncidé avec une intensification du recours au gaz chlore en tant qu’arme de guerre, ce qu’interdit la Convention internationale sur les armes chimiques de 1993.

A victim of a chlorine attack holds an oxygen mask to his face at Sarmin hospital in a photograph taken by a Syrian civil defence group

Une victime d’une attaque au chlore respire avec un masque à oxygène à l’hôpital de Sarmine (photo prise par un groupe de la défense civile syrienne).

Une victime d’une attaque au chlore respire avec un masque à oxygène à l’hôpital de Sarmine (photo prise par un groupe de la défense civile syrienne).

Cette campagne d’attaques au chlore a débuté exactement une semaine après que le Conseil de sécurité de l’Onu eut adopté une résolution sous l’empire du chapitre 7 de la Charte des Nations Unies en condamnant l’utilisation. Une mission d’enquête de l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques, qui est chargée de vérifier la destruction par la Syrie  de son stock d’armes chimiques, a conclu que du chlore avait été utilisé en 2014 contre plusieurs villages syriens, mais sans désigner de coupable.

Les soutiens du régime Assad au sein du Conseil de sécurité dénient sa responsabilité dans l’utilisation de chlore, mais le gouvernement syrien est le seul protagoniste, dans la guerre civile syrienne, à disposer d’avions de guerre.

  1. Saleh : « Cette procrastination consistant à ne pas renvoyer le régime syrien devant la Cour International de Justice ne fait que donner à ce dernier l’opportunité de continuer à tuer toujours davantage de civils en utilisant ces armes prohibées ».

 

La vidéo  ci-après, filmée par un groupe de défense civile en Syrie le 26 mars, montrerait des victimes d’un bombardement au chlore en cours de traitement à l’hôpital de Sarmine :

https://www.youtube.com/watch?v=kTL7c4AsrJQ&feature=player_embedded

 

Mais l’administration Obama, qui pourtant considéra il n’y a pas si longtemps que les armes chimiques représentaient une ligne rouge à ne pas franchir, n’exercera vraisemblablement aucune pression sur Assad à propos de ces récentes attaques au chlore. Même s’il a déclaré que les Etats-Unis apportaient tout leur soutien et leur assistance aux enquêteurs qui investiguent sur ces allégations d’utilisation de chlore, il a stupéfait les observateurs, lors d’une conférence de presse tenue à Camp David, en affirmant que « historiquement, le chlore n’est pas considéré comme une arme chimique ».

 

« Certes, nous avons vu des rapports montrant que l’utilisation de chlore dans des bombes classiques avait eu un effet comparable à celui d’armes chimiques », a indiqué Obama. « Historiquement, le chlore n’est pas listé en tant qu’armes chimique, mais lorsque du chlore est utilisé à cette fin, cela peut être considéré comme une utilisation interdite de ce produit chimique ».

Le chlore sert à beaucoup de choses, mais il fut l’un des premiers produits chimiques à avoir été utilisé comme arme par l’Allemagne durant la Première guerre mondiale, notamment au cours de la bataille d’Ypres (en Belgique, ndt).

« Ce que raconte Obama sur le chlore est erroné », nous a dit M. Nadim Khoury, vice-président de Human Rights Watch (HRW) pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. « Mais le principal problème, c’est ce qui se passe aujourd’hui et le fait que les Etats-Unis et la Russie, qui sont les deux principaux architectes du compromis sur les armes chimiques en Syrie, n’ont pris aucune mesure pour faire mettre un terme aux attaques au chlore en Syrie. Jusqu’ici, la Russie refuse y compris de désigner nommément le coupable, tandis que les Etats-Unis condamnent ces attaques, mais n’en tolère non moins les violations par Assad des règlementations mondiales prohibant la guerre chimique ».

  1. Khoury ajoute que HRW agit en faveur d’un mécanisme permettant d’assigner les responsabilités dans les cas d’attaques utilisant du chlore et d’imposer des sanctions aux coupables, cette avancée ayant été contrée par la Russie, qui continue à soutenir Assad.
  2. Wissam Tarif, du mouvement Avaaz, qui a fait campagne en faveur d’une zone d’interdiction aérienne en Syrie, nous a dit que les déclarations faites par le président Obama à Camp David équivalent à un feu vert donné au régime syrien pour poursuivre ces bombardements au chlore dont il a été fait état.

“Les forces du régime syrien n’ont cessé de faire pleuvoir les bombes au chlore sur les quartiers d’habitation presque quotidiennement depuis ces déclarations d’Obama à Camp David, et cela n’est pas un fait du hasard », a conclu M. Tarif.

par Kareem Shaheen (Beyrouth)

source : http://www.theguardian.com/world/2015/may/24/syria-regime-accused-of-using-chlorine-bombs-on-civilians

date : 24/05/2015

traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier