« Le régime syrien n’arrêtera de tuer sa population que par la force » – Propos recueillis par Hélène Sallon

Article  •  Publié sur Souria Houria le 28 janvier 2014

Cet enfant qui a survécu a un raid aérien de l'armée syrienne est transporté par un rebelle, dans une rue d'Alep, le 21 janvier. | REUTERS/AMMAR ABDULLAH

Alors que l’émissaire des Nations unies pour la Syrie, Lakhdar Brahimi, tente denouer à Genève un dialogue politique entre les deux délégations du régime et de l’opposition syrienne, les espoirs restent minces de voir ces négociations aboutir. Au sein de l’opposition civile syrienne, rares sont ceux qui estiment que la conférence de Genève 2 apportera une solution politique au conflit syrien. Trois Syriens appartenant à l’opposition civile ont confié au Monde.fr leurs doutes sur le processus diplomatique initié sur les rives du lac Léman.

YAHIA NANAA, ANCIEN CHEF DE LA PROVINCE LIBRE D’ALEP (MARS – NOVEMBRE 2013), VIT À ALEP

« Le régime tue chaque jour plus de civils, notamment des femmes et des enfants, alors que sa délégation est à la table des négociations avec la Coalition nationale syrienne (CNS). La situation à Alep est très tendue car l’Armée syrienne libre (ALS) ne peut plusdéfendre les civils, bombardés dans les zones résidentielles. Chaque jour, des avions bombardent ces zones résidentielles avec des dizaines de barils d’explosifs. Les enfants ne peuvent pas aller à l’école. Nous travaillons dans des conditions très difficiles.

Le régime ne reconnaîtra pas officiellement les massacres qu’il a commis – les bombardements, les attaques chimiques, la torture et le meurtre des prisonniers – et n’acceptera pas un gouvernement de transition ayant les pleins pouvoirs. Genève 2 n’apportera pas de solution pacifique et ne répondra pas aux exigences du peuple syrien, à moins que les Etats-Unis et les Nations unies ne fassent pression sur le régime. Dans son discours introductif, le chef de la délégation du régime syrien, Walid Mouallem, a fait de la surenchère et n’a pas reconnu les dispositions de Genève 1, qui sont la base de Genève 2. Il a défié la communauté internationale.

En proposant un cessez-le-feu à Alep [la proposition a été faite le 17 janvier à Moscou par Walid Mouallem], le régime cherche seulement à détourner l’attention des priorités de Genève 2. Il fait cette proposition car il a perdu le contrôle de la plupart des régions d’Alep et n’a plus de forces terrestres capables de se déployer. Il veut gagner du temps pourcontinuer à détruire la région, tout en montrant au monde qu’il veut une solution pacifique.

C’est vrai qu’il y a des groupes extrémistes au sein de la rébellion, mais ils ne pèsent rien. Les combats entre rebelles, notamment entre le Front islamique (FI) et l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), perturbent également beaucoup la vie quotidienne à Alep. Même s’ils refusent le processus de Genève 2, ils seront également favorables à une solution pacifique quand sera trouvée une solution juste pour le peuple syrien.

Il faut imposer une zone d’exclusion aérienne, ouvrir des couloirs humanitaires, soutenir etarmer les bataillons modérés. Si on restructure l’opposition sur le terrain pour en faire une force d’opposition réelle et qu’on arme les bataillons modérés, alors une victoire militaire est possible avec un minimum de pertes. »

MIRNA AL-HOMSI, COORDINATEUR DE L’AGENCE D’INFORMATION SMART NEWS POUR LA VILLE DE HOMS, VIT À L’ÉTRANGER

« Homs est assiégé depuis 594 jours. Il y a des bombardements quotidiens, des arrestations et des personnes qui meurent sous la torture. Les enfants meurent de faim et de froid et les blessés meurent par manque de soin.

Si Genève 2 ne se traduit pas par le départ de Bachar Al-Assad, la conférence sera un échec car les familles de Homs continueront à mourir. Elles ne pourront accepter le maintien d’Assad. Mais nous n’attendons pas plus de Genève 2 que de Genève 1. Ce sont seulement des mots et des rencontres sans intérêt qui ne mèneront à aucun cessez-le-feu ni à desserrer le siège sur le peuple syrien qui réclame seulement sa liberté et sa dignité.

Ils ont beaucoup parlé de cessez-le-feu mais au contraire les frappes se sont intensifiées et les forces du régime bombardent désormais avec des barils d’explosifs avec leurs avions et avec des missiles sol-sol. Il y a des quartiers de Homs entièrement dévastés. Le régime ment et est malveillant.

Nous voulons une victoire politique pour éviter l’effusion de sang, mais toutes les conférences qui ont lieu sont vouées à l’échec. Le régime n’appliquera aucune des décisions. Si Genève 2 échoue, il y aura un bain de sang et des massacres de civils à grande échelle. »

AMR, COORDINATEUR DU RÉSEAU DE JOURNALISTES CITOYENS SHAM NEWS NETWORK (S.N.N.) À TARTOUS

« Il n’y a pas de combats ni d’opposition armée à Tartous. Il n’y a plus de manifestations non plus. Les services de sécurité du régime arrêtent les gens chez eux. La situation est complexe ici, du fait de la répartition démographique : 85 % d’Alaouites qui soutiennent toujours le régime et 15 % de sunnites. Les Alaouites peuvent faire ce qu’ils veulent pouraider le régime et combattre la révolution. Ils mettent sur pied des points de contrôle et arrêtent les personnes suspectes. Ils ont leurs propres prisons et sont armés. Mais il y a désormais environ 800 000 réfugiés du reste du pays, qui dorment partout dans la ville et sont à la merci des Alaouites.

La population n’attend rien de sérieux de Genève 2. Le régime ne prend pas cette conférence au sérieux. Pendant ce temps, les meurtres ne cessent pas, les arrestations continuent, les gens sont toujours en prison et à certains endroits, les gens meurent de faim. Genève 2 suscite seulement quelques espoirs mais aucune attente. La communauté internationale a essayé de résoudre le conflit politiquement. Elle a déjà échoué et échouera encore. On se bat seuls depuis trois ans. La population a perdu espoir en voyant que personne n’était intervenu pour la sauver après les attaques chimiques.

A Tartous, nous pensons, comme dans le reste de la Syrie, que la solution au conflit doitêtre politique mais l’on sait que le régime n’arrêtera de tuer sa population que si on l’arrête par la force, militairement. Malheureusement, la solution ne peut-être que militaire. Bachar Al-Assad voulait cela depuis le début mais il ne pensait pas que le peuple syrien serait si résistant.

La communauté sunnite de Tartous espère que la rébellion armée, l’Armée syrienne libre et les factions islamiques, va l’aider. Pour le moment, c’est très difficile de lancer une rébellion armée à Tartous car les réfugiés peuvent être pris en otage par les Alaouites. La crainte est grande de voir des représailles à grande échelle contre les Alaouites. »

source : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/01/25/le-regime-syrien-n-arretera-de-tuer-sa-population-que-par-la-force_4354144_3218.html

date : 25.01.2014