Les Conseils locaux en Syrie, laboratoires de la vie citoyenne – par Ignace Leverrier
Les conseils locaux constituent en Syrie l’alternative à l’Etat civil absent, que ce soit dans les zones sous l’autorité du régime, ou dans celles qui lui échappent désormais pour être directement administrées par les populations de la région.
La crise humanitaire a débuté en Syrie en même temps que la révolution. La sauvagerie du régime a eu des conséquences dommageables pour une quantité impressionnante de personnes, quasiment dans chaque ville et village. Les gens ont commencé à s’entraider et à fournir aux nécessiteux les services de base. Mais la croissance exponentielle des besoins a rapidement dépassé les moyens des individus et des petits groupes, incapables désormais d’offrir aides et soutiens sans collaborer et coordonner leurs interventions avec celles les autres.
Les conseils locaux ont offert nombre de services comme, par exemple des aides humanitaires sous forme de nourriture et de logements, des services et des produits médicaux, des informations et des renseignements pratiques et des services civils comme le ramassage et la gestion des ordures, la propreté des rues et des quartiers, l’enseignement, la qualité de l’eau, l’approvisionnement en mazout et la police.
La direction de ces services était assurée par les personnes et les groupes qui s’étaient montrés en mesure d’offrir durablement les meilleures prestations au plus grand nombre de gens. Les aides matérielles et la nourriture étaient offertes par des syriens de l’intérieur ou de l’extérieur.
Mais les besoins étant devenus énormes, des campagnes d’appel aux dons ont été menées hors de Syrie. Elles ont impliqué de près ou de loin des individus et des organisations de tous les Etats. La décision de distribuer les sommes et les biens recueillis a été généralement abandonnée à celui ou à celle qui, grâce à ses efforts personnels, était parvenu à les récupérer.
Les conseils locaux sont indissociablement liés aux groupes de l’opposition, révolutionnaires ou militaires. Ils jouent un rôle important dans la révolution, puisqu’ils offrent à ces groupes, via leur aide, les moyens de poursuivre leur action. La plupart du temps, les conseils civils sont issus des conseils révolutionnaires, et, dans quelques cas, des conseils militaires qui les ont mis en place.
Les élections organisées Samedi 2 Mars 2013 pour choisir les vingt cinq membres du conseil municipal d’Alep, et celles tenues Dimanche 3 Mars 2013 pour désigner les vingt neuf membres du conseil de gouvernorat d’Alep et de sa campagne, ont constitué pour la plupart des Syriens qui y ont pris part, comme électeurs ou comme candidats, une première véritable expérience de la démocratie. Pour une fois, pour ceux d’entre eux qui avaient jadis participé à une consultation dans la Syrie de Hafez puis de Bachar al Assad, ou pour la première fois, pour ceux qui s’abstenaient jusqu’alors ou qui n’avaient pas eu l’opportunité de le faire, l’expression de leur choix avait un sens et ils ont pu voter pour qui ils voulaient.
Ceux qui ont tendance à considérer le côté vide du verre, auront sans doute des reproches à formuler : contre le mode de scrutin, qui a autorisé une liste unique à monopoliser la totalité des sièges au conseil municipal, ou contre « l’oubli » des femmes lors de l’élaboration des listes de candidats dans les deux structures. Mais ceux qui préfèrent en relever le côté plein, noteront que, pour éviter le cumul des mandats et permettre aux nouveaux élus de s’acquitter au mieux de leur mission, à l’échelon de responsabilité où ils ont été placés, aucun élu au conseil municipal de la ville ne fera partie du conseil de gouvernorat…
Alors que ni la reconstruction, ni la relance de l’économie ne sont encore à l’ordre du jour, en raison de la menace que continuent de faire peser les avions et les SCUD utilisés par le régime pour sanctionner ceux qui entendent agir en citoyens et assumer la gestion de leurs affaires par eux-mêmes, les tâches qui les attendent sont considérables. Ils ont besoin de compréhension, d’encouragements et, s’il le faut, des critiques amicales qui leur permettront à la fois d’avoir confiance en eux et de rectifier au plus vite les inévitables erreurs.
Ils auront besoin, aussi, des conseils et des soutiens techniques des hommes et des institutions locales des « pays amis du peuple syrien » qui s’estimeront en mesure de les faire profiter de leurs expériences, de leurs connaissances techniques et, peut-être de leur faire parvenir les matériels dont ils peuvent se dispenser.