Les coups de crayon d’Ali Ferzat contre le régime syrien
Article • Publié sur Souria Houria le 25 février 2013
Ali Ferzat, le plus célèbre caricaturiste syrien, a été enlevé et passé à tabac le 25 août 2011. Ses doigts ont été brisés. Ce portrait s'est propagé sur le Net dans les jours suivants. Signé par Ali Ferzat, il est en réalité dû à un dessinateur anonyme. | NC
Le temps d’une pose, faisant mentir la réserve qu’il inspire sous ses allures dandy, Ali Ferzat révèle toute son espièglerie. Avec un large sourire, le caricaturiste syrien de 63 ans agite, menaçants face à l’objectif, ses longs doigts effilés. Ces mains devenues, pour le régime syrien, des armes à faire taire. Pendant de nombreuses années, l’homme s’est employé à dénoncer, par le filtre de représentations symboliques, la dictature du parti Baas et du régime de Bachar Al-Assad. Dès mars 2011, ses coups de crayon ont accompagné le soulèvement syrien, se débridant au fur et à mesure que sautait le verrou de la peur. Jusqu’à représenter et dénoncer sans détours les crimes du régime.
Une nouvelle audace que le caricaturiste, célébré dans tout le monde arabe, a payé au prix fort. Enlevé au volant de sa voiture la nuit du 25 août 2011 à Damas,Ali Ferzat a été molesté pendant des heures par des chabiha, les sbires du régime. Dans un geste symbolique, ils lui ont brisé les deux mains avant de lelaisser pour mort à quelques dizaines de kilomètres de Damas.
UN COMBAT SANS FRONTIÈRES
Sauvé « par miracle », l’homme n’a pas cédé aux menaces. « Quand je suis sorti de chez moi pour la première fois, un mois et demi après, je voulais marcher dans la rue, revendiquer mes droits de citoyen », assène-t-il. Sa seule peur a été que ses mains ne guérissent pas. Pour cela, il a dû trouver un refuge « temporaire » au Koweït, où ses caricatures sont depuis de nombreuses années publiées dans le quotidien El-Watan. « Mes dessins avaient déjà voyagé, je n’ai fait que les suivre », accompagnant ses mots d’un regard bleu perçant.
Un entretien avec Ali Ferzat réalisé par Samar Media TV
Le caricaturiste n’a cessé depuis d’aligner les coups de crayon, dans la presse et sur son site Internet, avec la même verve et les mêmes thèmes de prédilection.Ce combat, il le mène désormais de l’extérieur, roulant sa bosse aux quatre coins du monde. Dimanche 24 février, c’est aux côtés de son confrère et ami de longue date Plantu qu’il a dialogué, par les mots tout autant que par le dessin, avec le public venu nombreux pour le rencontrer lors de la journée de solidarité avec laSyrie organisée à l’Institut du monde arabe à Paris.
« Toutes les révolutions du monde ont besoin de plusieurs axes. La révolution de l’intérieur a besoin d’être représentée à l’extérieur, d’avoir des figures politiques. Ce qui se passe à l’extérieur, que ce soit une réussite ou non, ne freinera pas ce qui se passe à l’intérieur », défend-il, notant au passage l’embarras dans lequel est plongée la communauté internationale face à la situation en Syrie.
Quand on lui demande pourquoi il ne croque pas l’éclatement de la rébellion en différents groupes, il balaie l’allusion d’un revers. « Le régime a échoué dans sa volonté de diviser la rébellion. Il y a une volonté de défigurer cette révolution en parlant de djihadistes, de leur donner plus de poids qu’ils n’en ont. Les djihadistes n’ont pas de vrai enracinement en Syrie. Cette révolution de masse poursuit son objectif de construire un Etat civil, pluraliste et démocratique« , minimise-t-il. Le caricaturiste ne s’est jamais privé de s’attaquer, dans ses dessins de presse, au fondamentalisme religieux au point de susciter parfois des mouvements de contestation.
LA LIBERTÉ POUR SEUL MOT D’ORDRE
Ali Ferzat refuse de se voir en homme politique. « Mon engagement pour la patrie est mû par la morale. Je suis né pour critiquer ce qui a été, ce qui est aujourd’hui et ce qui sera demain », a-t-il conclu dans son échange avec le public parisien. S’empressant de revenir à sa table s’atteler à ce qu’il aime le plus faire : croquer. Dans ce processus, le geste, le message, l’échange d’idées sont plus importants à ses yeux que l’objet, le dessin.
Dans son exil, Ali Ferzat a pu emporter, en version imprimée ou électronique, toutes les œuvres qu’il a réalisées ces quinze dernières années. « Le moment venu, je ferais de ma galerie à Damas un musée pour exposer mes œuvres », a-t-il déjà prévu. Les quelque 15 000 à 17 000 caricatures réalisées avant ont été disséminées à droite et à gauche. Ce dont l’homme ne semble pas se formaliser.« Ce que la Syrie nous a appris est que ça ne vaut rien car, du jour au lendemain, on peut tout perdre. Le peuple syrien n’a pas une conception matérialiste du monde. Son seul mot d’ordre est la liberté. A aucun moment, il ne s’est plaint dans ses slogans de faim, de soif, de ne pas avoir d’argent. Le jour où cela arrivera, on pourra dire que la révolution est terminée », prédit-il.
Le combat d’Ali Ferzat, lui, ne sera jamais terminé. Récompensé du prix Sakharov pour la liberté de pensée le 27 octobre 2011, il prépare déjà de nouveaux projets : de petits films d’animation tirés de ses dessins et une nouvelle version de la revue critique Al-Doumari qu’il animait en Syrie entre 2001 et 2003.
Sur le coin d’une table, autour d’un repas, il se laisse aller à des dessins un peu plus cocasses. Comme cette saynète caustique où se dévoilent les fantasmes d’un « barbu ». Un dessin qu’il avoue « être impubliableaujourd’hui » dans le monde arabe. Le mot « aujourd’hui » étant pour lui le mot-clé. « Notre rôle est d’être à l’avant-garde de la lutte pour la liberté. On doit en payer le prix pour que les générations futures puissent publier, en toute liberté, ces dessins-là. »