Les mille et un mensonges de Bachar el-Assad

Article  •  Publié sur Souria Houria le 14 avril 2017
Le président syrien Bachar el-Assad a accordé à l'AFP sa première interview depuis l'attaque chimique de Khan Cheikhoun.

président syrien Bachar el-Assad a accordé à l’AFP sa première interview depuis l’attaque chimique de Khan Cheikhoun. © Syrian Presidency Press Office / AFP/ HANDOUT

Dans une interview exclusive à l’AFP, le président syrien a multiplié les contre-vérités sur l’attaque chimique qui a tué 87 civils à Khan Cheikhoun.
(AVEC AFP)
Modifié le 13/04/2017 à 18:14 – Publié le 13/04/2017 à 17:40 | Le Point.fr

Le maître de Damas persiste et signe dans le mensonge. Dans un entretien exclusif accordé mercredi à l’Agence France-Presse (AFP) dans son bureau à Damas, Bachar el-Assad a affirmé que l’attaque chimique présumée sur une ville rebelle de Syrie était une affaire « montée » par l’Occident. « Il s’agit pour nous d’une fabrication à 100 % », a déclaré le président, qui est apparu souriant et décontracté. « Nous ne possédons pas d’armes chimiques […] En 2013, nous avons renoncé à tout notre arsenal. »

Assad: l’attaque chimique est « une fabrication… par afplp

D’après le chercheur Jean-Pascal Zanders, « toutes les armes chimiques que les Syriens ont déclarées ont été détruites ». « Le problème est que les déclarations de Damas ne sont pas fiables à 100 % », précise cet expert des armes chimiques. « D’importantes questions restent toujours sans réponse. Chaque mois, depuis 2014, l’Organisation internationale d’interdiction des armes chimiques [OIAC] les répète dans son rapport, ce qui crée une grande frustration. » À deux reprises après 2013, l’OIAC a mis en cause le régime syrien dans des attaques contre des localités rebelles. Elle a également accusé Daech d’avoir perpétré une attaque au gaz moutarde (gaz de combat asphyxiant), le 21 août 2015, dans la localité de Marea (nord-ouest).

D’après la présidence française, citée mercredi par Le Monde , de « petites quantités résiduelles » de gaz neurotoxique resteraient bel et bien « disséminées dans le pays ». Qu’importe, le président syrien précise à l’AFP : « Même si nous possédions de telles armes, nous ne les aurions jamais utilisées. »
Survenue le 4 avril, l’attaque chimique de Khan Cheikhoun, dans la province d’Idleb (Nord-Ouest), a causé la mort de 87 civils, dont 31 enfants, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). C’est cette ONG qui, disposant d’un vaste réseau de sources en Syrie, a été la première source fiable à rapporter l’attaque, alors que, sur place, les militants liés à l’opposition et les « Casques blancs » syriens (des humanitaires à l’oeuvre en zone rebelle) publiaient sur les réseaux sociaux les images, insoutenables, des victimes.

« Nous ne savons pas si ces enfants sont vraiment morts » (Assad)

« Nous ne savons pas si toutes les photos ou les images vidéo sont vraies ou truquées », a déclaré Bachar el-Assad à l’AFP. « Nous ne savons pas si ces enfants ont été tués à Khan Cheikhoun, nous ne savons même pas s’ils sont vraiment morts. » Pourtant, les autorités syriennes, mais aussi russes, ont bien confirmé qu’un incident de type chimique avait eu lieu dans cette localité. Damas, comme Moscou, ont argué, contre toute évidence, que l’aviation syrienne avait frappé un « entrepôt » des rebelles qui contenait des « substances toxiques ».

La carte Al-Qaïda

Mais le maître de Damas n’en démord pas. « Les seules informations dont dispose le monde jusqu’à présent sont celles publiées par la branche d’Al-Qaïda », affirme Bachar el-Assad à l’AFP. L’homme fait allusion au groupe djihadiste, Fateh al-Cham, qui contrôle effectivement la ville de Khan Cheikhoun en compagnie de groupes islamistes plus modérés. Or, comme le souligne le spécialiste Olivier Lepick, qui a eu accès à des images satellites confidentielles, « il n’y avait pas d’entrepôt dans les zones frappées par l’aviation syrienne ».

Le chercheur est catégorique : « Le sarin et les neurotoxiques figuraient dans l’arsenal chimique du régime syrien et n’ont jamais été trouvés ni dans les mains ni même dans un atelier de la rébellion. » Or, d’après le ministre turc de la Santé, les premières analyses effectuées à partir des prélèvements réalisés sur les victimes de l’attaque de Khan Cheikhoun indiquent une exposition au sarin.

Dans un entretien au Monde , le président de la République affirme avoir la « certitude de l’utilisation d’une arme chimique lancée depuis un avion, qui a décollé de la base d’Al-Chaayrate pour aller [vers sa cible] ». Et le chef de l’État d’assurer : « Les Américains non plus n’ont pas de doutes. » Les images terribles des victimes à terre, saisies de convulsions, ont bouleversé le monde entier, jusqu’à la Maison-Blanche. « El-Assad a arraché la vie à des hommes, des femmes et des enfants sans défense », s’est exclamé jeudi dernier le président américain Donald Trump depuis sa résidence de Mar-a-Lago, en Floride. « Même de beaux bébés ont été cruellement assassinés dans cette attaque véritablement barbare. »

Le « prétexte » américain

Le pensionnaire de la Maison-Blanche venait d’ordonner à ses navires de guerre USS Porter et USS Ross de frapper l’aéroport militaire d’Al-Chaayrate. « Notre impression est que l’Occident, principalement les États-Unis, est complice des terroristes et qu’il a monté toute cette histoire pour servir de prétexte », affirme le président syrien à l’AFP.

Pourtant, les experts s’accordent à dire que la réaction américaine s’apparente davantage à un coup de semonce contre le président syrien, afin de le dissuader d’utiliser l’arme chimique à nouveau. Pas à une tentative de le renverser par la force. Le secrétaire d’État Rex Tillerson le confirmera d’ailleurs le soir même de l’attaque : « Je n’essaierai en aucune façon d’extrapoler nos activités militaires en Syrie aujourd’hui à un changement de notre politique ou de notre position. Il n’y a aucun changement. »

Néanmoins, il est vrai que l’attaque chimique de Khan Cheikhoun a modifié les plans de Donald Trump en Syrie. Si, à peine quelques jours auparavant, son administration paraissait prête à s’accommoder d’un maintien au pouvoir de Bachar el-Assad, elle estime désormais que le président syrien ne peut à terme rester à la tête du pays. Ainsi, Washington pourrait à l’avenir jouer un rôle plus important dans les négociations de paix intersyriennes, bloquées à Genève, et qui doivent aboutir à une transition politique.

La seule vérité de Bachar

Le meilleur moyen de savoir exactement ce qu’il s’est passé le 4 avril à Khan Cheikhoun reste d’envoyer des enquêteurs de l’ONU sur le terrain. Or, la Russie a opposé mercredi soir son veto à une résolution qui devait apporter le soutien du Conseil de sécurité aux enquêteurs de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) pour se rendre en Syrie. Le texte onusien exigeait notamment que les autorités syriennes fournissent les détails des activités militaires de l’armée syrienne le jour de l’attaque ainsi que les noms des commandants des escadrons aériens, et donnent aux enquêteurs un accès aux bases aériennes.

Comble du cynisme, Bachar el-Assad a indiqué à l’AFP qu’il allait « œuvrer » avec Moscou en vue d’une « enquête internationale », à condition qu’elle soit « impartiale ». « Nous ne pouvons permettre une enquête que si, et seulement si, elle est impartiale et en nous assurant que des pays impartiaux y prendront part pour être sûrs qu’elle ne sera pas utilisée à des fins politiques », a-t-il souligné.

Le président syrien a toutefois prononcé une vérité durant son entretien : « Notre puissance de feu, notre capacité à attaquer les terroristes n’ont pas été affectées par cette frappe », a-t-il assuré. En effet, au lendemain de la frappe américaine, deux avions militaires ont pu décoller vendredi de la base aérienne, visée la veille par les Tomahawk américains, pour bombarder des territoires contrôlés par Daech dans la province centrale de Homs.