Les options de la Turquie en Syrie (I) – par ÖMER TAŞPINAR

Article  •  Publié sur Souria Houria le 28 février 2012

Traduit de l’anglais par SouriaHouria

C’est devenu un refrain courant d’affirmer que les options en Syrie pour les Etats-Unis et la communauté internationale vont de mal en pis. Il n’y a tout simplement pas de solution miracle ou de solution magique à la division communautaire de la Syrie.

Et il semble que les choses devront aller beaucoup plus mal avant de s’améliorer. En d’autres termes, le nombre de morts devra probablement augmenter sensiblement avant qu’il n’y ait une pression plus sérieuse pour faire quelque chose. Pourtant, étant donné le calendrier politique aux États-Unis et l’absence d’appétit pour mettre les bottes sur le terrain, « faire quelque chose » en Syrie est susceptible d’équivaloir à des efforts hésitants, sous la forme d’une l’intervention humanitaire.

Une part cruciale du problème est que la Syrie, qui n’est pas sans ressembler à l’Irak, est un Etat post-colonial avec des frontières artificielles et aucun sens de la nation. Les divisions tribales et sectaires y sont la norme. Il n’y a pas d’institutions étatiques légitimes, pas de liens organiques entre l’État et les citoyens, aucune tradition de partage du pouvoir. À bien des égards, comme l’Irak, la Syrie est un Etat faible, sans «nation» correspondante . Dans de telles circonstances, ce qui est arrivé dans l’après-Saddam Hussein en Irak pourrait facilement se produire en Syrie, sous la forme d’une guerre civile communautaire qui décimerait des centaines de milliers de personnes. Comme en Irak, l’Iran et l’Arabie Saoudite mèneront une guerre par procuration et des civils innocents en paieront le prix.

Quel sera le principal moteur de la politique turque en Syrie? La réponse courte est la célèbre phrase « Les événements, mon cher enfant » – réponse pince-sans-rire de l’ancien Premier ministre britannique Harold MacMillan lorsqu’on lui a demandé quel était le plus grand défi auquel il était confronté en tant que chef. Il semble y avoir quatre manières différentes dont pourraient évoluer les événements en Syrie. Je vais évaluer les deux premiers scénarios dans cet article et me concentrer sur les deux autres la semaine prochaine.

Dans le premier scénario Bachar al-Assad réussit à se débrouiller et maintient son emprise sur le pouvoir, en dépit de poches de résistance croissantes. Les unités de Bashar continuent leur répression. Le taux de meurtres ne dépasse pas une moyenne journalière de 15 à 50 personnes. Damas fait des réformes cosmétiques et des promesses. Selon ce scénario, qui reflète plus ou moins les conditions sur le terrain aujourd’hui, la politique de la Turquie en Syrie sera également du même ordre.

Les principaux moteurs de la politique de la Turquie en Syrie ne changeront pas. Ces moteurs peuvent être résumés comme, premièrement, le problème kurde chez elle. Ankara est très préoccupée par la capacité de Damas et de Téhéran à jouer la carte du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Deuxièmement, la Turquie est extrêmement réticente à affronter l’Iran et la Russie à cause de la Syrie. N’oublions pas que la Turquie dépend de l’Iran et de la Russie pour près de 85% de ses besoins énergétiques. Troisièmement, la Turquie est préoccupée par le « diriger de l’arrière » de Washington et donc par «l’externalisation» de l’essentiel des opérations militaires à Ankara. La Turquie ne veut pas «être propriétaire » de la crise.

Compte tenu de tout cela, si Bachar se débrouille, la Turquie maintiendra sa position actuelle: Ankara montrera une certaine réticence à agir et à diriger sans un maximum d’aide multilatérale et de légitimité internationale. Elle continuera à appeler à des conférences internationales comme celle de Tunis et tracera une ligne claire entre intervention militaire et intervention humanitaire. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan continuera à appeler à la démission de Bashar, mais Ankara cherchera également à maintenir des lignes de communication avec le régime en gardant l’ambassadeur turc à Damas. En bref, plus Bashar restera longtemps au pouvoir, plus la Turquie  tentera de couvrir sa politique en Syrie. Une coexistence difficile deviendra inévitable.

Dans le deuxième scénario, Bachar accroît la violence à des niveaux sans précédent. Il maintient son emprise sur le pouvoir à Damas, mais il perd le contrôle de près de la moitié du pays. Il y a des attaques ciblées croissantes contre le régime à Damas et Alep. Les hauts gradés Alaouites intensifient la répression et le nombre de morts atteint une moyenne journalière de 100 personnes pendant des mois. Des meurtres communautaires entre factions Sunnites et Alaouites apparaissent. Plus important encore, à cause d’une telle escalade de la violence, il y a maintenant des milliers de réfugiés à la frontière turque.

Que fera la Turquie devant ce scénario? Confrontée à une crise de réfugiés, Ankara établira une zone tampon à l’intérieur de la Syrie près de la frontière turque. S’il y a une nouvelle résolution du Conseil de Sécurité des Nations unies, faire de cette zone tampon un havre de paix pour l’opposition syrienne deviendra une option. Ankara sera également prête à appuyer les opérations aériennes pour protéger le havre de paix – aussi longtemps que la mission sera dirigée par une «force régionale», composée de l’OTAN et avec le soutien de la Ligue arabe. La Turquie soutiendra aussi les efforts conjoints pour armer l’opposition syrienne, idéalement par des opérations secrètes. En contrepartie d’une telle augmentation des efforts militaires, la Turquie exigera que les États-Unis aient une action militaire décisive contre les bastions du PKK dans le nord de l’Irak. Nous continuerons à débattre des options politiques de la Turquie avec les troisième et quatrième scénarios la semaine prochaine.

source: http://www.todayszaman.com/columnist-272579-turkeys-options-in-syria-i.html