Les vertus de la désobéissance civile
Traduit de l’anglais par SouriaHouria
La désobéissance civile est la seule manière de mobiliser les gens dans les grandes villes qui sont réputées être des bastions du régime en Syrie.
Quelque chose se passe en Syrie, loin des projecteurs des médias. Le 27 mars dernier, lorsque Damas s’est réveillé, le drapeau de l’indépendance – symbole de la révolution syrienne – était levé dans différents quartiers, de Berzeh à Mezzeh, des murs d’école aux ponts. Des groupes de désobéissance civile avaient réussi à coordonner la plus grande des manifestations anti-régime, menée simultanément dans différentes parties de la capitale syrienne.
Quand vous faites remarquer à Mutasem Abou Al Shamat que lever le drapeau de l’indépendance n’est rien de plus qu’une simple action symbolique – bien qu’elle soit belle – ce damascène d’une vingtaine d’années sourit et explique calmement : « Vous devez regarder ce qui est caché derrière cette action, et pas seulement son contenu immédiat. Faire cela simultanément signifie que finalement différents groupes non violents se réunissent et organisent des actions communes. Atteindre ce degré de coordination ne doit pas être considéré comme allant de soi à Damas, où le contrôle de sécurité est étroit, où les communications sont soit surveillées, soit défaillantes, et où se déplacer d’un endroit à un autre est extrêmement difficile. »
« Il s’agit d’une étape supplémentaire pour coordonner une opération beaucoup plus grande qui est en chantier » dit-il, mystérieusement.
Mutasem est membre du mouvement syrien non-violent. En collaboration avec de nombreux autres groupes, pour la plupart basés à Damas et Alep, il a rejoint « Al Ayyam hurryia » (Freedom days), un consortium d’individus et d’organisations libres qui partagent un objectif commun : « Renverser le régime par la résistance pacifique et la désobéissance civile ».
Une rébellion de signaux
En décembre 2011, ils ont organisé la grève générale « Idrab Al Karama ». Lorsqu’on l’interroge sur les résultats de l’initiative, Mutasem admet que « des erreurs ont été commises et nous avons beaucoup réfléchi afin de ne pas les commettre la prochaine fois. Mais c’est bien une grande réussite d’avoir montré au peuple qu’une troisième voie est possible : quelque chose que chacun de nous peut faire, plutôt que de rejoindre les manifestations ou tout simplement rester à la maison [à cause de] la peur ».
Mettre des enceintes de radio dans les places centrales de Damas et diffuser des chansons révolutionnaires ; teindre l’eau de la fontaine de la ville en rouge pour rappeler le sang des martyrs, distribuer des tracts anti-régime qui ressemblaient à des billets de banque syriens – « tout le monde s’arrêtait pour ramasser 1000 livres syriennes sur le sol ! » – sont quelques-uns des actes nuancés réalisés en défi au régime.
Mutasem est un partisan enthousiaste des tactiques de désobéissance civile. Selon lui, c’est la seule façon de mobiliser les gens dans les grandes villes comme Damas et Alep, qui sont réputées pour être des bastions régime.
« Nous devons blesser le régime en plein coeur si nous voulons le renverser. La désobéissance civile envoie un message aux habitants de Damas et d’Alep qui regardent la violence sur YouTube et à qui la propagande officielle dit que rien ne se passe dans le pays », dit le jeune militant. « Notre message est le suivant : la révolution est ici, nous sommes ici, venez nous rejoindre de toutes les manières possibles pour vous. »
Selon lui, beaucoup de gens – qui au début restaient chez eux – aident désormais les militants non-violents, fournissant soutien logistique, coordination, et même rejoignant activement la désobéissance civile. Des incidents de pneus enflammés au milieu des routes bloquant la circulation se sont multipliés au cours des derniers mois, notamment à Damas.
« Vous savez qu’une chose est réussie quand les gens l’adoptent et la répètent. La plupart des blocages routiers qui ont lieu maintenant ne sont pas organisés par nous, ils sont initiés par des gens que nous ne connaissons même pas, » souligne-t-il.
Mutasem pense que la désobéissance civile est le seul moyen de mobiliser les gens dans la capitale syrienne. Il est convaincu qu’une réponse armée des révolutionnaires ne réussira pas, car le régime est beaucoup plus fort sur le front militaire. Il pense également que la violence de celui-ci a augmenté depuis la formation de l’Armée Libre Syrienne.
Pour cette raison, il adopte le modèle de résistance civile offert par Daraya, le berceau de la résistance pacifique syrienne à Damas, où des militants comme Ghiyath Matar et Yahya Shurbaji tentaient de gagner les cœurs et les esprits des soldats à travers des actions non-violentes et symboliques, comme leur parler pendant les manifestations et distribuer des fleurs et de l’eau. Se rappeler ces scènes sonne comme une « nostalgie des jours passés », alors que Matar a été brutalement tué et que Shurbaji serait toujours détenu en prison.
Vidéos sur une lutte non-violente
Mais, tandis que les clips de YouTube – qui auraient été enregistrés il y a une semaine à Alep – passent sur l’écran, le jeune militant syrien me fait remarquer que ces manifestants chantent toujours « Vous êtes nos frères! » à l’armée, en dépit du fait que toute l’attention des médias est catalysée soit par les affrontements armés entre les soldats d’Assad et l’Armée Libre Syrienne dissidente, soit par le conflit communautaire qui serait prétendument en cours entre la minorité alaouite de Syrie et la majorité sunnite.
Néanmoins, Ayyam al hurryia produit et poste des vidéos chaque semaine, expliquant le sens de la lutte non-violente, ses tactiques et la patience pour obtenir des résultats grâce à une résistance pacifique. Quelques vidéos s’adressent aux partisans pro-régime également – la foule de « mnhibbakjia » (« nous vous aimons ») – traitant de la question de l’unité nationale et de la nécessité d’une réconciliation du peuple syrien.
Ces vidéos sont toutes réalisées par des Syriens à l’intérieur et hors de Syrie, travaillant comme bénévoles avec Ayyam al hurryia. « Ce n’est pas une foule d’artistes célèbres et de décideurs des médias. C’est la nouvelle génération de la Syrie, prête à construire un état civil », déclare Mutasem. Une jeunesse compétente composée de professionnels à qui on n’a jamais donné une chance d’émerger dans leur diversité, alors que la production culturelle en Syrie – même dans ses formes les plus avancées de critique et de dissidence – était contrôlée par une élite de producteurs étroitement surveillés par le régime.
La main-d’œuvre derrière les initiatives d’Ayyam al hurryia – qu’il s’agisse de ceux qui organisent des actions de désobéissance civile sur le terrain ou de ceux qui filment et réalisent le montage des vidéos éducatives colorées sur sa chaîne YouTube – est nourrie par un mouvement populaire syrien et vient de l’intérieur du pays.
Mutasem sourit quand je cite Gene Sharp et son manuel de 1993 « De la dictature à la démocratie » comme une source d’inspiration pour leur lutte non-violente. Selon certaines théories conspirationnistes, le chercheur américain aurait travaillé en étroite collaboration avec le renseignement américain pour aider à renverser les régimes dans le monde entier et aurait soutenu dans leur lutte politique des mouvements anti-régime comme Otpor en Serbie.
Ces théories jouissent d’un crédit certain, surtout quand il s’agit de la Syrie, où tout ce qui se passe sur le terrain aurait été manigancé par des étrangers, y compris la résistance civile. Le sourire de Mutasem se transforme maintenant en rire.
La lutte non-violente des Syriens est en effet inspirée par un érudit syrien, Jawdat Said, qui a été incarcéré à plusieurs reprises pour ses écrits sur résistance à l’oppression par la non-violence. En 2001, il écrivait : « Nous vivons dans un monde dans lequel quatre cinquièmes de la population vit dans la frustration, tandis que le cinquième restant vit dans la peur. »
Jawadat Saïd, né en 1931, vit dans le plateau du Golan syrien et travaille comme agriculteur. Je me demande ce qu’il pense de ces jeunes, engagés dans leur lutte civilisée contre Goliath, loin des des projecteurs des médias, peut-être plus proches de leur peuple.
Donatella Della Ratta est doctorante à l’University of Copenhagen, elle concentre ses recherches sur l’industrie de la télévision syrienne.
Suivez-la sur Twitter: @donatelladr
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Source: Al Jazeera