L’homme de la semaine : si c’est un homme – par Aurélie Haroche

Article  •  Publié sur Souria Houria le 3 octobre 2013

Metz, le samedi 21 septembre – Ils ne sont que 55 et pourtant ils sont déjà plus nombreux que les médecins d’une des villes les plus importantes d’un pays comptant plus de 22 millions d’habitants… et qui ne fait pas partie des plus pauvres de la planète. Avant la guerre, Alep soignait sans mal ses citoyens, à l’instar de la plupart des cités de Syrie où la médecine jouissait d’une bonne réputation. Quelque 5 000 médecins exerçaient dans la ville (ils sont 36 aujourd’hui), soit un peu moins que les 55 praticiens et professionnels de santé signataires dans le Lancet la semaine dernière d’un appel pour sauver si ce n’est la Syrie tout au moins son système de soins. Parmi eux, le professeur de cancérologie Dominique Belpomme ou encore le Prix Nobel de médecine Jules Hoffman. Ils tentent de faire entendre leurs voix alors que les médecins, les infirmières et les hôpitaux sont régulièrement pris pour cible. L’ONU estime ainsi que 37 % des établissements de santé ont été détruits et 20 % fortement endommagés.

Hôpital clandestin

Le docteur Raphaël Pitti ne fait pas partie des 55 signataires de cet appel très médiatisé.

Pourtant, il est un témoin privilégié de cette extrême vulnérabilité des hôpitaux syriens. Lors d’un des multiples voyages qu’il a effectué en Syrie ou près de la  frontière libanaise ces deux dernières années, il a constaté à quel point était bafouée la neutralité censée protéger les personnels soignants dans ce type de conflit. « C’était très tôt le matin. Je dormais encore. Le bruit de l’avion s’approchant de l’hôpital m’a réveillé. Je ne peux pas expliquer pourquoi, mais j’ai eu le réflexe d’aller m’accroupir derrière le lit. Quelques dixièmes de seconde plus tard, le matelas était recouvert d’éclats de verre. La vitre avait complètement explosé sous les balles. L’avion est repassé deux fois pour mitrailler l’hôpital… Nous avons dû nous replier dans une villa qui sert d’hôpital clandestin depuis plusieurs mois », racontait-il en octobre dernier à l’Est Républicain.

Lanceur d’alerte

Sans faire partie des médecins ayant choisi les pages du Lancet pour lancer un appel à la communauté internationale, Raphaël Pitti est un des praticiens qui connaît le mieux la situation sanitaire de la Syrie en raison de ses nombreux allers et retours dans le pays. L’alerte, il a tenté d’en lancer une dès l’année dernière en envoyant à plusieurs élus lorrains depuis Al Bab, située à 40 kilomètres d’Alep, une missive qui implorait : « Monsieur le maire, je vous écris depuis la ville d’Al Bab, à 40 kilomètres d’Alep. La France doit savoir trouver le courage politique d’une intervention humanitaire ». Un an plus tard, même si la Syrie paraît aujourd’hui être au cœur des préoccupations de la communauté internationale, il n’est pas certain que son cri ait été parfaitement entendu.

Etre prêt à tout… même à la guerre

Si Raphaël Pitti s’est prioritairement adressé aux élus de Lorraine, c’est qu’il est chef du service de réanimation à la polyclinique de Gentilly à Nancy et spécialiste de la médecine de catastrophe. Avant d’exercer à Nancy, il avait par ailleurs passé quelques temps à l’hôpital Legouest de Metz ou en tant que médecin militaire, il a créé une formation à la médecine de guerre. Une expérience qu’il a également partagée avec les praticiens demeurés en Syrie ou qui œuvrent aux frontières. Au cours des derniers mois, il a ainsi ouvert deux centres de formation dans la région. Face aux blessures spécifiques provoquées par les conflits qui font rage à Damas, Alep ou Holms, les professionnels syriens se sont en effet souvent montrés démunis. « Le personnel soignant syrien n’était pas habitué à prendre en charge ce type de pathologie, qui est de la pathologie de guerre. Avec l’union des secours médicaux syrien nous avons tiré la conclusion qu’il fallait former ces personnels. Nous avons crée un cours intensifs de trois jours sur la prise en charge des blessés et traumatisés de guerre » a expliqué le docteur Pitti à France Info il y a quelques mois.

L’utilisation d’armes chimiques n’était pas imprévisible

Cette initiation des médecins syriens à un quotidien soudainement marqué par la chirurgie de guerre et les amputations concerne également la prise en charge des personnes exposées à des gaz neurotoxiques. « Nous avons développé un plan de travail spécifique. Le quai d’Orsay a débloqué 40 000 ampoules d’atropine et 50 tenues de protection pour Alep. J’ai formé un coordonnateur pour soigner les victimes de contaminations chimiques. L’idée était de développer cette formation pour Damas et Holms, mais nous avons été pris de court » expliquait Raphael Pitti la semaine dernière à l’Est Républicain. Après les attaques  d’août, durant lesquelles Raphael Pitti et ses confrères ont tenté d’apporter leur aide à distance aux personnels sur place : « l’ambassadeur de Syrie et le quai d’Orsay ont débloqué 100 000 € pour l’achat de tenues et 15 000 ampoules d’un antidote spécifique au sarin. La semaine dernière, nous avons livré 50 tenues et 50 ampoules sur la ville de Holms. Mais nous rencontrons des difficultés pour entrer et sortir du pays ».

Air tristement connu

Ces difficultés et le désastre qui touche le système de soins sont tels que Raphael Pitti n’hésite pas à parler de catastrophe humanitaire et à comparer la situation des syriens à celle des victimes des camps de concentration. Un diagnostic qui ne peut que l’inciter à poursuivre son action. Il faut dire que cet homme de 63 ans n’en est pas à sa première mission. Ce natif d’Oran a vu ses deux vocations naître dans cette Algérie d’avant et d’après l’indépendance. La forte présence militaire dans le pays a sans doute nourri une certaine fascination pour l’armée, tandis que son amitié avec un prêtre et l’histoire de sa famille ayant fui l’Italie fasciste ont contribué à développer son désir de justice et d’humanisme. Très tôt en tout cas la médecine a été son choix et les interventions sur des scènes de guerre ont été sa vie. De la Syrie, il dit d’ailleurs : « Une économie de guerre s’est mise en place. Des stations essence clandestines, des magasins de fortune… C’est toujours comme ça. C’est quelque chose que j’ai déjà vécu en Yougoslavie et ailleurs. Rien ne ressemble plus à une guerre qu’une autre guerre ».

source : http://www.jim.fr/en_direct/pro_societe/e-docs/00/02/27/4F/document_actu_pro.phtml

date : 23/09/2013