L’Occident ne fait plus trembler – par Douglas Murray / Wall Street Journal
Le dictateur syrien sait que les gesticulations de l’Europe et des Etats-Unis ne mèneront à aucune action efficace contre son régime.
Le ministre des Affaires étrangères britannique,William Hague, a qualifié de “profondément choquant” le massacre d’au moins 108 civils perpétré à Houla le 25 mai. Le Royaume-Uni a annoncé la convocation [puis l’expulsion] du chargé d’affaires syrien à Londres [les ambassadeurs de Syrie ont été expulsés de France et de nombreux pays occidentaux]. Lors d’une interview donnée le 27 mai, Nick Clegg, le vice-Premier ministre britannique, est allé encore plus loin, déclarant que la Grande-Bretagne pourrait interdire l’accès des Jeux olympiques de Londres à toute personne impliquée dans le massacre de civils syriens.Voilà maintenant plus d’un an que Bachar El-Assad a commencé à utiliser ses forces de l’ordre dans une offensive de grande ampleur contre le peuple d’un pays qu’il considère comme sa propriété personnelle. Et que faisons-nous au bout de tout ce temps ? Nous faisons comprendre aux généraux du parti Baas, trop occupés dernièrement pour s’intéresser à l’équipe nationale de crosse, que, s’ils comptent toujours la soutenir cet été à Londres en sirotant un thé à la menthe, ils se trompent lourdement [la crosse n’est plus sport olympique depuis 1908]. Croyons-nous vraiment que cela suffise à faire trembler Damas ?
“La carotte ou le bâton”
Dans les affaires internationales, on dit toujours qu’il faut utiliser “la carotte ou le bâton”. Le problème, pour l’ensemble des pays démocratiques, n’est pas seulement qu’ils n’ont pas de bâton, mais encore qu’ils ne disposent plus de carottes suffisamment alléchantes. Le spectacle donné par Londres est une farce. Mais celle-ci est emblématique d’une tendance plus universelle. Alors que la situation devient de plus en plus tragique pour le peuple syrien, une nouvelle réalité du pouvoir est en train d’émerger : les dictateurs nous comprennent mieux que nous ne sommes nous-mêmes disposés à nous comprendre.
Car ce que M. Clegg sait pertinemment mais refuse d’admettre (comme tout le monde d’ailleurs), c’est que, malgré la fermeté de notre discours, nous n’allons rien faire. Les gens disent : “Mais pourquoi alors l’intervention en Libye ? Londres, Washington et Paris n’ont-ils pas empêché Muammar Kadhafi de massacrer le peuple libyen ?” C’est vrai, et, par une chance extraordinaire, les puissances alliées ont réussi à terrasser les unités de tir de Kadhafi avant que cette mission n’absorbe l’intégralité des fonds, des munitions et de la volonté politique nécessaires pour la mener à bien. L’intervention a été un succès. Mais nous ne voulons pour rien au monde la renouveler.
Tout d’abord, pour des raisons électorales parfaitement cyniques. Comme en a témoigné la défaite de Nicolas Sarkozy en France, l’opération n’a apporté aucun bénéfice politique aux parties impliquées en Libye – alors que les conséquences auraient été très lourdes en cas d’échec. Plus important, les puissances alliées occidentales ne sont pas encore totalement remises de leur intervention, même si celle-ci a été de très faible ampleur.
Reflux du leadership américain
Normalement, dans une telle situation, le monde, en particulier le peuple syrien – moins les 33 civils supplémentaires qui ont été massacrés le 27 mai à Hama et ceux qui auront été tués entre le moment où j’écris cet article et celui où il sera publié –, devrait se tourner vers les Etats-Unis pour leur demander de l’aide. Or voilà maintenant quatorze mois que la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a déclaré qu’elle déplorait la violence en Syrie, mais qu’une intervention ne deviendrait envisageable qu’“en cas de coalition de la communauté internationale, d’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité, d’un appel de la Ligue arabe et d’une condamnation universelle”. Mais elle a ajouté : “Cela ne va pas se faire, car je ne pense pas qu’on sache encore ce qu’il va se produire.” Eh bien, maintenant, on sait (depuis déjà quelque temps) ce qui s’est passé : plus de 10 000 Syriens ont été tués depuis que Mme Clinton a prononcé ces mots, en mars 2011. Pourtant, Washington en est toujours au même point et continue à estimer que rien ne peut être fait en dehors d’un règlement proposé par le Conseil de sécurité (ce qui ne marche pas) ou de la Ligue arabe (ce qui est encore moins efficace).
Ce qui se produit aujourd’hui est le résultat d’un décalage entre ce que nos politiciens prétendent pouvoir faire et ce qu’ils sont vraiment en mesure de faire, dans un domaine où tout, des ressources financières à la volonté politique, fait défaut. Même si cela est désagréable à entendre, le fait est que la dictature syrienne agit à sa guise. Et, encore plus préoccupant, ses appuis en Iran savent qu’ils peuvent faire ce que bon leur semble. Non content d’envoyer des armes et des troupes en Syrie, et de se vanter de mentir sur son programme nucléaire, l’Iran se glorifie aujourd’hui d’envoyer ces armes et ces troupes. Et personne n’intervient pour l’en empêcher.
Nous sommes tellement habitués aux subtilités des conventions internationales qu’il nous est parfois difficile de discerner le moment où la situation se met à déraper. Mettre fin à cette période de diplomatie attentiste sera difficile. Ces dernières décennies, les dirigeants d’un pays comme la Grande-Bretagne pouvaient employer de belles paroles comme“inacceptable” ou “nous condamnons fermement”, et les gens les écoutaient avec respect. Même si la puissance britannique était sur le déclin, ces subtilités étaient considérées comme une démonstration de force, et non comme du cinéma. On savait que, si la situation tournait vraiment mal, la Grande-Bretagne pourrait envoyer quelques troupes ou prêter une base ici ou là, mais que seules l’intervention et la direction politique des Etats-Unis porteraient des fruits. Et puis, il y a quelques années, la vague du leadership américain a commencé à refluer.
Source : http://www.courrierinternational.com/article/2012/06/05/l-occident-ne-fait-plus-trembler-assad