L’opposition de Syrie : Et si nous offrions l’immunité à Assad… ? Par Rania Abouzeid

Article  •  Publié sur Souria Houria le 21 décembre 2011

Traduit de l’anglais par SouriaHouria 

Cela va être une semaine décisive pour la Syrie. Le Conseil national syrien (CNS), l’organisation parapluie représentant de fait l’opposition politique du pays, se réunit à Tunis pour essayer de mettre de l’ordre dans ses affaires et d’élaborer un plan pour faire chuter la maison Assad. En même temps, la Ligue arabe a donné au président Bachar al-Assad jusqu’à mercredi pour cesser de tergiverser sur ses propositions, vieilles de six semaines, de mettre fin à la violence et d’autoriser des observateurs dans le pays sinon – dans une escalade marquée – de porter peut-être la question jusqu’aux Nations Unies.

Même la Russie, qui a protégé Damas d’une résolution au Conseil de Sécurité de l’ONU, a proposé son propre projet de résolution la semaine dernière, appelant toutes les parties à mettre fin à la violence, « y compris à l’utilisation disproportionnée de la force par les autorités syriennes. » Bien que les associations syriennes de défense des droits [de l’Homme] aient été hérissées par le langage de Moscou, qui d’après certains activistes mettait sur le même pied le tueur et la victime, les capitales occidentales y ont vu une occasion de faire affaire avec la Russie. L’Irak aussi, qui a bafouillé mais largement penché du côté d’Assad, a envoyé une délégation de haut-rang à Damas le week-end dernier avec sa propre initiative de paix.

Pourtant, les efforts régionaux et internationaux peuvent être discutables si le CNS ne sort pas de son congrès du week-end – une première réunion de ce type du corps des 260 membres, depuis qu’il a été officiellement lancé à Istanbul le 2 octobre dernier – avec quelque chose de plus que seulement les déclarations générales tracées dans le bref programme politique diffusé fin novembre. Il a besoin d’un plan clair et détaillé pour convaincre la communauté internationale que ses rangs sont soudés et qu’il peut être le gouvernement provisoire qu’il prétend être.

Contrairement au Conseil National de Transition de Libye, qui a bénéficié d’une reconnaissance internationale importante, presque dès le début, nombre de puissances étrangères n’ont pas encore conféré une telle légitimité au CNS. L’organisation est en proie à des querelles internes, à la critique qu’elle a un biais islamiste et, en raison des nombreux exilés dans ses rangs, qu’elle n’est pas représentative des manifestants en Syrie.

La réunion de trois jours dans un hôtel 5 étoiles de la station balnéaire de Gammarth, au nord de la capitale Tunis, a été couverte du voile du secret, avec la mise en place de mesures de sécurité strictes. Beaucoup des membres du CNS n’ont même pas été informés du lieu précis de la conférence jusqu’au tout dernier moment, dans une tentative d’endiguer les fuites et de tenir les médias à distance.

Pourtant, selon plusieurs participants, on s’attend à ce que l’organisation énonce ce qu’elle attend de la communauté internationale, y compris une définition du terme « protection internationale ». Il a également été préparé une offre d’immunité et d’exil pour Bashar al-Assad. Selon un projet de proposition, il peut quitter le pays pour une destination de son choix avec une immunité totale et permettre aux militaires de prendre le relais en collaboration avec le CNS – ou bien il devrait faire face à la possibilité d’un corridor humanitaire imposé internationalement et qui deviendrait le Benghazi de la Syrie. On ignore la viabilité de la clause « ou alors ». La Turquie, autrefois un proche allié de la Syrie, a laissé entendre cette possibilité, mais n’a montré aucun réel appétit pour poser ses bottes sur le territoire syrien. L’OTAN a écarté l’option, et les États-Unis – venant juste de quitter l’Irak et envisageant également une réduction afghane, ne veut pas plonger dans un autre bourbier potentiel.

Le but réel de l’accord apporté (en supposant que les membres du CNS puissent tous être d’accord avec lui) est d’envoyer à la communauté minoritaire alaouite d’Assad le message selon lequel ils devraient dissocier leur futur de celui de leur président. «Ils doivent le laisser partir,» a déclaré un participant à la conférence qui avait vu le projet de document de trois pages. Le TIME en a également reçu une copie.

La proposition demande au pouvoir militaire de Syrie de s’abstenir d’attaquer la dénommée Armée syrienne libre (ASL), le groupe de déserteurs dont le leader, le colonel Riad al-Asa’ad, se trouve en Turquie. L’armée syrienne pourrait être « gelée » et annoncer sa neutralité « dans la lutte politique interne ». Le document exige également que tous ceux qui ont du sang sur leurs mains soient jugés.

Tout cela va être difficile à vendre. Rien ne garantit que les manifestants en Syrie, et tous ceux qui ont perdu des proches aux mains de l’armée, acceptent qu’après neuf mois de brutalité, les mêmes hommes en uniformes qui les ont terrorisés puissent prendre les rênes du pays, indépendamment du fait que le CNS fasse partie ou non du nouveau régime. Bashar al-Assad, comme son père et prédécesseur Hafez, a également nommé des coreligionnaires de sa communauté minoritaire alaouite, ainsi qu’un groupe sélectionné parmi les élites des autres communautés, aux premières positions du gouvernement et chez les militaires de haut rang, s’assurant un bouclier protecteur très soudé basé sur la parenté et des intérêts communs. Une révolution de palais ou un coup d’état militaire apporterait l’issue la plus rapide et la plus facile au soulèvement de neuf mois, qui a causé au moins 5000 morts, mais les forces spéciales, particulièrement les militaires, sont restés remarquablement unis dans leur soutien au régime.

Bien qu’il existe des rapports de défections militaires vers l’ASL, les déserteurs ont été principalement des officiers subalternes sunnites et des conscrits. Riad Al-Asa’ad a récemment rencontré le chef du CNS Burhan Ghalioun dans le but de présenter un front uni aux opposants du président Assad, mais les deux groupes diffèrent dans leurs stratégies pour faire tomber le régime. Ghalioun a insisté sur le fait que le soulèvement doive rester pacifique, alors que l’ASL a de plus en plus évolué d’attaques défensives à des attaques offensives contre l’armée. L’ASL n’a pas été représentée à la conférence tunisienne. «Pour quoi faire? » a déclaré un organisateur de la conférence, interrogé sur l’absence des rebelles. «Riad al-Asad est en charge de peut-être cinq gars.»

« L’ASL est une boîte en carton vide, » a déclaré un autre participant. « «Il ne signifie rien. Et d’ailleurs, si nous voulons essayer de convaincre l’armée, pourquoi amènerions-nous l’ASL ici ? »

Pourtant, l’ASL, contrairement au CNS, bénéficie d’un appui considérable à l’intérieur de la Syrie. Des manifestants et des déserteurs pareillement lancent des appels croissants aux armes pour prendre le dessus sur les forces impitoyables d’Assad. A moins que le CNS ne présente une alternative viable, le soulèvement syrien pourrait glisser hors de la sphère politique vers un conflit civil tous azimuts, avec de dangereux fonds communautaires. «Quelle différence le CNS peut-il faire s’il obtient une reconnaissance internationale et perd sa légitimité auprès les manifestants? Et quelle différence l’ASL peut-elle faire, si elle ne parvient pas à amener tous les groupes paramilitaires émergents à accepter l’autorité de son Conseil Militaire et de son chef ? », a déclaré récemment Ammar Abdulhamid, un dissident syrien basé aux Etats-Unis qui a été critique envers le CNS. Abdulhamid a critiqué le « manque de transparence » du CNS et a affirmé que plusieurs Syriens indépendants qui voulaient assister à la conférence en Tunisie «en tant qu’observateurs » n’ont pas été acceptés. « Tant que les dirigeants du CNS resteront plus préoccupés de gagner une reconnaissance internationale qu’ils ne le sont par leur cohésion interne ou par leur proximité avec leur propre peuple, ils sont destinés à devenir aussi hors de propos et coupés de la réalité qu’Assad l’est aujourd’hui», a-t-il déclaré.

Source : http://www.time.com/time/world/article/0,8599,2102752,00.html?xid=gonewsedit