Macron face au piège Assad en 2018 | Blog Un si proche orient

Article  •  Publié sur Souria Houria le 3 janvier 2018

Jean Pierre Filiu sur le blog « Un si proche orient »

Macron face au piège Assad en 2018

Le président Macron, aveuglé par sa volonté de rupture avec son prédécesseur, est en train de tomber dans le piège pourtant grossier que lui tend Bachar al-Assad.

Emmanuel Macron a paru d’emblée bien pressé de se démarquer de la politique suivie par François Hollande sur la Syrie. Dès juin dernier, il annonçait un « aggiornamento » dont il reconnaissait lui-même le limiter à « ne pas faire de la destitution de Bachar al-Assad un préalable à tout ». C’était bien caricaturer la ligne suivie jusque là par la France que de la réduire à ce « préalable à tout ». Et on ne fera pas au chef de l’Etat l’indélicatesse de rappeler les propos assez différents qu’il avait tenus sur la Syrie en tant que candidat. L’essentiel est que, en proclamant cet « aggiornamento », Macron se défaussait d’une carte majeure dans le rapport de forces qu’il est sage d’entretenir avec la dictature syrienne, surtout si l’on envisage de renouer plus ou moins formellement avec elle.

DEUX OU TROIS CHOSES QUE JE SAIS DE BACHAR

Pour avoir pratiqué les Assad père et fils comme diplomate, j’ai toujours été frappé par la puissance qu’ils retirent de leur immobilisme. Bachar se plaît à égrener les noms des présidents français ou américains auxquels il a imperturbablement survécu, malgré les tentatives des uns ou des autres pour le déstabiliser. Tel est le privilège des despotes face aux dirigeants démocratiquement élus. Les despotes peuvent à loisir massacrer, charcuter, éventrer, piller, énucléer, torturer, martyriser, et bien sûr violer. Un Assad ne bouge pas, il campe sur des positions inébranlables et il attend que la donne internationale lui soit plus favorable, tout en serinant la même antienne.

Celle du tyran de Damas a été rabâchée ad nauseam: il n’y aurait jamais eu de protestation populaire en Syrie, mais un complot « terroriste », animé de l’étranger, contre un régime légitime. Macron a offert à Assad, sans contrepartie à son « aggiornamento », la validation du coeur de la propagande de la dictature. Selon le président français, il n’y aurait pas à ce stade de « successeur légitime » à Assad et « la démocratie ne se fait pas depuis l’extérieur à l’insu des peuples ». Oubliés, les millions de Syriens qui ont tant souffert pour enraciner sur leur terre des institutions alternatives à « l‘Etat de barbarie » des Assad. En outre, comme toujours face à un système dictatorial, obsédé par sa seule survie, c’est le premier reniement qui compte. Et le régime Assad l’a empoché, en attendant les inévitables renoncements qui allaient le suivre.

UN RENIEMENT EN APPELLE TOUJOURS UN AUTRE

Le président français escomptait sans doute par son « aggiornamento » se placer en position de médiateur entre la Russie et les Etats-Unis. Las, l’administration Trump a abandonné toute politique proprement syrienne et vante sa coopération avec le Kremlin dans la lutte contre le « terrorisme ». Macron, suspendu dans son élan, a dû se raccrocher à la seule branche russe et énoncer en août dernier une double « priorité »: « vaincre les terroristes et reconstruire la stabilité de la Syrie ». La stabilité, pas la démocratie, alors qu’une éventuelle « reconstruction » aux conditions d’Assad ne serait que la poursuite par d’autres moyens de la guerre inexpiable qu’il mène à son propre peuple.

La plus récente évolution a été exprimée par le chef de l’Etat lors de son intervention télévisée du 17 décembre. Après avoir affirmé que « Bachar al-Assad sera là », il ajoutait que « nous ne pouvons pas dire: on ne veut pas parler avec lui ou ses représentants ». L’Elysée pensait peut-être que cette main tendue serait saisie à Damas. Tout au contraire: Assad a rétorqué dès le lendemain que « la France a été le fer de lance du terrorisme et ses mains sont couvertes du sang syrien depuis le premier jour », martelant que « celui qui soutient le terrorisme n’a pas le droit de parler de paix ». Macron a eu beau juger de tels propos « inacceptables », il avait bel et bien perdu la première manche de son bras de fer avec Assad.

L’URGENCE DE RÉTABLIR UN RAPPORT DE FORCES

Macron a commis l’erreur pourtant élémentaire de s’avancer à découvert sur le terrain choisi par Assad. Il aurait pu s’épargner ce camouflet si, au lieu de « vaincre les terroristes », il avait parlé de « vaincre Daech » ou de « vaincre les jihadistes ». Il ne pouvait en effet ignorer que, aux yeux d’Assad, comme d’ailleurs de ses parrains de Moscou et de Téhéran, tout opposant est par définition un « terroriste ». Le président français avait aussi affaibli sa main en refusant, à ce jour, d’entendre les très nombreux appels à un retrait de la Légion d’honneur accordée en 2001 à Assad. Même les révélations de viols systématiques de femmes syriennes par les séides du dictateur n’ont pas suffi à Macron pour traiter Assad avec la même sévérité que Weinstein. Comme si les victimes n’avaient pas le même poids aux yeux de l’Elysée quand elles sont vedettes d’Hollywood ou Syriennes anonymes.

Le président français a affirmé avec constance depuis le début de l’été qu’il serait « intraitable » sur deux « lignes rouges »: d’une part, « l’utilisation des armes chimiques », malgré le précédent de la reculade d’Obama sur le même sujet en août 2013 et le démantèlement tout récent par la Russie du dispositif indépendant d’enquête de l’ONU; d’autre part, les « accès humanitaires aux zones de conflit ». Or, depuis de trop longs mois, la Ghouta orientale, une banlieue de Damas où l’opposition a établi des structures originales d’auto-gouvernement, est soumise à un siège implacable. Le chef du groupe de travail humanitaire de l’ONU sur la Syrie a averti que, faute d’évacuation de malades hors de la Ghouta, « les gens sont en train de mourir ». De récents appels au président Macron l’adjurent d’intervenir contre cette « mort de masse à petit feu ».

Si l’Elysée s’est rallié au principe, en soi terriblement discutable, d’un dialogue avec le régime Assad, qu’il ouvre un tel dialogue en position de force morale plutôt qu’en demandeur humilié. Qu’il soit « intraitable » dans l’exigence d’un accès inconditionnel de l’aide humanitaire à la Ghouta. Que le retour de la France à Damas s’opère sur les bases du droit international plutôt que d’un « aggiornamento » bâclé. Etre « intraitable » ne signifie pas ne pas vouloir traiter, mais refuser de le faire à n’importe quel prix.

Une bien noble résolution pour 2018 en Syrie.