Malaise du Hezbollah face à la Syrie – par Laure Stephan

Article  •  Publié sur Souria Houria le 26 octobre 2011

Sur les influentes chaînes satellitaires Al-Jazira et Al-Arabiya, la contestation du pouvoir royal à Bahreïn a disparu des écrans. La révolte syrienne contre le régime de Bachar Al-Assad est omniprésente.

A l’inverse, le canal du Hezbollah Al-Manar accorde une vaste place à la mobilisation bahreïnie, essentiellement chiite mais aussi sunnite. La protestation en Syrie est absente. Ou plutôt, le visage des contestataires. La chaîne libanaise relaie la version des autorités baasistes et donne la parole à de simples citoyens, présentés comme des partisans du pouvoir. Les récits témoignant de la répression – plus de 3 000 morts depuis le début de la contestation le 15 mars, selon les Nations unies – y sont inexistants.

Occultant l’ampleur des rassemblements, le Hezbollah dénie à la rue syrienne la légitimité octroyée aux autres soulèvements, de la Libye au Yémen. « Nous avons exprimé notre solidarité avec toutes les révolutions qui se sont opposées aux régimes alliés aux Américains », a expliqué le secrétaire général Hassan Nasrallah, lundi 24 octobre, sur la chaîne Al-Manar.

Pour l’organisation classée terroriste par Washington, le destin de la Syrie est crucial. Damas représente un partenaire stratégique, malgré des différends. Il permet l’acheminement d’armes destinées à la branche militaire de la formation chiite, de l’Iran vers le Liban. Il est surtout, pour le Hezbollah, un pilier de l’axe contre « l’alliance israélienne » dans la région, selon son numéro deux, Naïm Qassem.

Contrairement au Hamas palestinien, qui s’est fait discret sur la question syrienne, le Hezbollah a plusieurs fois affirmé son soutien au pouvoir. Lundi, Hassan Nasrallah a de nouveau motivé son appui par le rôle de la Syrie « dans la cause palestinienne » et sa « disposition » à entamer des réformes, dont il avait plus tôt reconnu le « besoin urgent ». Il a aussi montré les « menaces » provenant « d’Israël et des Etats-Unis », cherchant à instaurer un « nouvel ordre régional » basé sur le« confessionnalisme », ainsi que des extrémistes musulmans. « Parmi les facteurs qui élaborent notre position, (il y a le fait que) ce qui se passe en Syrie va affecter notre pays, le Liban et toute la région », indiquait encore M. Nasrallah dès le mois de mai.

En fait, la crise syrienne a déjà des retombées au Liban. Le Parti de Dieu n’aura que peu de temps goûté pleinement à sa victoire politique : constituer la nouvelle majorité, après avoir renversé avec ses alliés le gouvernement de l’ancien premier ministre Saad Hariri, en janvier. Le succès a été estompé par l’irruption de la contestation en Syrie et la peur de perdre un sponsor. Le nouvel exécutif aura nécessité des mois de tractations avant d’être formé en juin. Si le Hezbollah est en position dominante sur le plan politique, des tiraillements fragilisent l’équipe au pouvoir. Le camp du « 14 mars », passé à l’opposition et affaibli, a trouvé avec la Syrie un terrain pour remonter à l’offensive. Il dénonce l’inféodation du gouvernement à Damas.

Sensible également pour le Hezbollah, l’écart qui se creuse entre son silence sur la violence contre la rue syrienne et l’attachement à la justice sociale qu’il revendique. Face à ses détracteurs, le parti islamique a su bénéficier, au-delà de la micro société qu’il a contribué à modeler, d’un cercle plus large de sympathisants – des chiites pas toujours religieux, des membres d’autres confessions, adhérant à la « résistance » contre Israël et à la vision sociale du Hezbollah. Or, au sein de ce cercle, malaise et critiques sont perceptibles alors que le sang coule en Syrie.

Le Hezbollah s’est longtemps défini comme « parti des masses », rappelle l’analyste Oraib Al-Rantawi, directeur du Centre d’études politiques Al-Qods à Amman, dans un entretien au site Middle East Mirror. Mais « en prenant position contre les masses » en Syrie, l’organisation a « renié son système moral » et est devenue à son tour « confessionnelle », poursuit l’expert, « aux dépens de son image, de sa crédibilité et de son influence dans le monde arabe ».

Le prestige gagné dans la région par la formation chiite armée, à l’issue du conflit de 2006, en tant que premier acteur arabe ayant tenu tête à Israël, semble en effet s’éroder. Il a déjà été abîmé par les conclusions du Tribunal spécial pour le Liban, qui a délivré cet été quatre mandats d’arrêt contre des membres du Hezbollah accusés d’avoir participé au meurtre de Rafic Hariri en 2005.

Le soutien à Bachar Al-Assad accentue le dénigrement du parti, ainsi que la ligne de fracture confessionnelle. Parmi les combattants libyens anti-Kadhafi, ou les révolutionnaires égyptiens que M. Nasrallah avait applaudis, la sympathie se tourne vers les protestataires syriens. Ces derniers sont en majorité sunnites, alors que lepouvoir alaouite (branche du chiisme) n’est plus cautionné aujourd’hui au Moyen-Orient que par l’Iran – dont le président a condamné les « morts » en Syrie – et le Hezbollah chiites. « Le sentiment anti-chiite existe, mais il est difficile à quantifier, assure Amal Saad-Ghorayeb, spécialiste du Hezbollah. La réputation du parti est sans doute entachée. Mais pour lui, le plus important est de sauvegarder son projet de résistance. »

Parmi les réfugiés syriens installés au Liban, les accusations d’implication de miliciens du Hezbollah dans la répression, apparues dès le printemps, continuent d’être formulées. Signe qu’il sait combien ces assertions peuvent lui être coûteuses, le Parti de Dieu a jugé nécessaire de les démentir à plusieurs reprises.

source: http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/10/26/malaise-du-hezbollah-face-a-la-syrie_1594000_3232.html